Reprise d’une œuvre de Gina Pane, figure emblématique de l’art corporel en France des années 70, à la galerie Saint-Séverin. Un regard sur la dimension spirituelle de son inspiration. Classique et beau.
Gina Pane (1939-1990) s’est fait connaître en France par ses actions minutieusement préparées où elle mettait en scène son corps jusqu’à le faire saigner ou créerses propres stigmates . L’époque était à la violence, à la contestation sociale, politique, et les artistes la déclinaient de multiples manières selon leur sphère culturelle. Gina Pane plaçait ses œuvres dans une perspective altruiste de façon dérangeante, au point que des commentateurs les jugeaient scandaleuses.
Elle partait néanmoins d’un socle de réflexion où les questions du sacré dans la nature et du rapport à l’autre nourrissaient sa démarche, puisqu’elle avait commencé ses études dans les Ateliers d’art sacré. Elle développa, par ailleurs, une vision de l’artiste comme intermédiaire entre le Ciel et la Terre, ce qui expliqua la présence d’une de ses photos emblématiques en introduction à la grande exposition « Traces du sacré » en 2008 (lire V&D), mais aussi son attirance pour l’histoire des saints à la fin de sa vie. Après sa disparition, l’intérêt pour son œuvre s’est maintenu, le caractère sulfureux fut oublié.
Il y a 10 ans, le Centre Pompidou a organisé une exposition rétrospective [1] , « Terre - Artiste - Ciel ». Sophie Duplaix, qui en fut commissaire, montre à nouveau une œuvre marquante : « Meurtre d’Abel d’après une posture d’une peinture de Salvatore Rosa – Partition pour une offrande », de 1983.
Formellement, « Abel » emprunte au code de l’art religieux : le triptyque. L’ensemble, esthétiquement réussi, est à l’échelle de la vitrine : au centre, une plaque noire découpée, de part et d’autre, deux séries de dessins de l’artiste. Très structuré, il allie le multiple et le minimalisme. On peut l’apprécier sous l’angle de l’histoire récente de l’art ou pour son équilibre entre sujet et forme, mais plus encore pour le sens sous-jacent.
Gina Pane a voulu nouer le mouvement des corps de Abel et Caïn, rendre inséparables l’agresseur et l’agressé jusque dans le meurtre. Ils sont frères. Dans la figure centrale, les deux corps sont dans la fusion, la couleur noire exprimant la disparition de l’altérité et la rivalité poussée à son extrême. Avec cette œuvre, Gina Pane demeure fidèle à son approche par l’art corporel, jusque dans la lecture des grands mythes. V&D - JD
Dans le portfolio, Caïn tuant Abel, l’œuvre de Salvatore Rosa (1615–1673) ayant inspiré Gina Pane.
Présentation de l’exposition par son commissaire, Sophie Duplaix.
« La question du don de soi, de l’amour de l’Autre, est au cœur de la pratique de Gina Pane, artiste fondatrice de l’art corporel en France dans les années 1970. Les actions précisément élaborées dans lesquelles elle se mettait en scène ont marqué de leur dimension spirituelle ce mouvement d’exploration des limites physique, politique et sociale du corps.
Les Partitions qu’elle conçoit dans les années 1980 reprennent des thématiques issues d’actions antérieures pour proposer au spectateur un parcours mental à travers des compositions d’objets et d’éléments réalisés dans divers matériaux tels le fer, le cuivre ou le verre.
Le Meurtre d’Abel d’après une posture d’une peinture de Salvatore Rosa – Partition pour une offrande, de 1983, appartient à cette seconde grande période de l’œuvre. C’est aussi le premier sujet biblique de l’artiste avant qu’elle ne consacre l’essentiel de ses recherches à la vie des saints.
Le relief noir en métal, dont la découpe s’inspire d’un tableau du peintre italien du 17e siècle Salvatore Rosa, insiste sur la fusion des corps du meurtrier et de sa victime. Caïn le paysan tue Abel le berger, celui dont Dieu a préféré l’offrande. Mais ici, la revanche de Caïn n’est pas tant le triomphe du mal sur le bien que la mise en scène des deux forces contradictoires qui animent tout être. »
"Elle étudie la peinture aux Beaux-Arts de Paris, et fréquente l’atelier d’art sacré d’Edmée Larnaudie.
Ses premiers travaux consistent en des peintures de plans colorés et des sculptures aux formes géométriques simples qu’elle appelle Structures affirmées. Suivent les installations et actions dans la nature (1968-1970), les actions en atelier et en public (1971-1979), puis les Partitions et Icônes (1980-1989).
Gina Pane décède prématurément en 1990 des suites d’une longue maladie.
La première monographie portant sur l’intégralité de son parcours, Gina Pane. Terre – artiste – ciel, par Sophie Duplaix, paraît aux Editions Actes Sud en 2012."
Visible, jour et nuit du 17 avril au 28 juin 2015
4 rue des Prêtres-Saint-Séverin, 75005
[1] Et plus récemment une grande galerie parisienne a exposé un ensemble significatif de ses œuvres.