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Jeff Koons. Rétrospective au Centre G. Pompidou



Une vaste rétrospective de l’artiste le plus coté, mais très populaire et engendrant un débat permanent : un joueur du marché de l’art ? un cynique ? un observateur avisé des temps post-modernes ? Analyse. Jusqu’au 27 avril.

Imaginons un pays nommé Culture contemporaine à la recherche d’un président, Jeff Koons serait sans nul doute un candidat très sérieux.

Il est beau et encore très jeune, sa com. est efficace ; ses œuvres pop et kitsch sont immédiatement reconnaissables ;

star populaire comme l’atteste le succès de ses expositions, ses œuvres flashy et rutilantes en acier sont autant de miroirs déformants où les visiteurs aiment à se prendre en photos, avec amis et famille bien souvent ; il ouvre à l’imaginaire de l’enfance, affirme la culture la plus classique en l’hybridant, intègre le sexe et la culture porno qui désormais a obtenu reconnaissance muséale, se montre libre.

La politique, les sujets de guerre, les atrocités du monde, les grandes questions métaphysiques qui « prennent la tête » sont exclus ; au contraire l’artiste touche au cœur des préoccupations immédiates de nos contemporains : la consommation, le divertissement, le loisir. Son œuvre milite pour que le musée ne soit plus réservé aux élites et devienne du ludique d’un autre genre ; ses œuvres comme son nom relèvent d’une marque valorisant ceux qui peuvent se les offrir ou faire rêver de richesses ceux qui fréquentent les musées ; il crée de l’emploi directement, puisque son atelier/entreprise comprend plus de 100 assistants et se situe dans le monde capitaliste sans état d’âme ; c’est un innovateur dans la technologie de l’art qui maîtrise tous les médiums et affiche sa vision du monde : la réussite et l’optimisme américains ayant conquis le reste du globe.

Pour être un bon candidat, fort peu « normal » d’ailleurs, il faut qu’il y ait des opposants. Ceux-ci se font connaître, comme lors de son exposition au Château de Versailles, où son homard rouge, pendant du plafond le plus classique et aux moustaches faisant explicitement référence à Dali a créé le tollé. Sa forme de bonheur américain serait faussement naïve et directement sexuel, comme son lapin à la Playboy. S’il séduit le public et les nouveaux milliardaires, il ne tient devant nombre de critiques cultivés ; kitsch et « bankable », son œuvre serait tournée vers le profit personnel, contrairement à Andy Warhol qui réinvestissait ses gains dans l’underground pour promouvoir d’autres artistes ; beau gosse, hâbleur, toute son œuvre serait tournée vers la célébration de sa personne. En somme, on serait pour ou contre, par tempérament, par conception de la vie et vision de ce que doit être un artiste.

Or l’œuvre va certainement plus loin comme le montre l’exposition.

L’exposition est sensiblement chronologique, mais les œuvres sont classées par grandes séries, ce qui est le propre de la manière quasi industrielle de produire de l’artiste. Quand il investit un sujet, il le décline soit strictement par couleur, soit par thème : Inflatables, the New, Banality, Made in heaven, Popeyes, Celebration, Easyfun, Antiquity, Gazing Ball. En ce sens, c’est un « serial créateur » qui maîtrise tout, s’appuie sur des artisans pour atteindre la perfection du kitsch et son idéal d’illusion, mais qui limite le nombre des œuvres produites pour en maintenir la rareté et le prix. Andy Wharol faisait des prix dégressifs. Pas lui ! Il s’est construit son propre personnage et la référence régulière à Dali est significative. Il jouit de son autocélébration et y entraine le spectateur ou l’acheteur.

En trente-cinq ans de production, cet artiste connaisseur de l’art de son temps, mais aussi collectionneur des maîtres du passé notamment Gustave Courbet, n’a pas cessé de défier la critique, mais aussi l’art contemporain et ses circuits de valorisation, qu’il a investis économiquement en subvertissant leurs propres codes, en utilisant toutes les possibilités offertes par la communication. À la différence d’un Damien Hirst, qui joue aussi avec le marché et vise souvent la perfection, Jeff Koons ne tourne pas autour de la mort, mais d’un certain bonheur, celui qui est lié à la consommation, au divertissement, à la réactualisation de l’imaginaire de l’enfance ou des sujets de la grande histoire.

Il personnifie l’idée américaine de réussite, investit des objets cultes populaires et les transforme en icônes de l’art. Il produit des idoles nouvelles avec grand talent. C’est un fin observateur de la société capitaliste, mais sa critique éventuelle s’opère à des niveaux supérieurs.

Son art repose sur l’utilisation d’archétypes devenus universels, ou régionaux comme ses boules brillantes placées sur des statues grecques en plâtre peint que l’on retrouve dans les maisons de la côte Est. D’une manière délibérée, il utilise les motifs ou objets de la consommation de masse ou de la culture populaire sans volonté critique, mais en les exaltant, voire simplement en les citant, comme ces grandes toiles de publicité auxquelles il donne valeur artistique.

Kitsch et neo pop, c’est un descendant de Marcel Duchamp parce que la question de l’objet est centrale. Alors que le créateur du Ready Made avait troublé le monde de l’art en accordant à un objet ordinaire un statut d’œuvre par son dépôt au musée, Jeff Koons associe l’homme à l’objet, à la part de soi qui pense et intègre les objets dans son imaginaire.

C’est le sens qu’il faut donner au caractère lisse et réfléchissant de ses sculptures. L’important est que le visiteur puisse voir tout l’univers alentour et lui-même dans son Ballon Dog. Jeff Koons est une sorte d’humaniste de la consommation : tout part du spectateur et se retrouve dans l’objet, la valeur de soi rencontre la valeur de marché. Se refléter dans des miroirs à de tels prix est peu fréquent, le musée le permet ! Rien à voir avec Pistolleto et ses grandes plaques d’acier dépolioù le spectateur entrait dans l’œuvre et se trouvait compagnon du sujet peint. Pour Jeff Koons, l’art, dont il déborde les limites en permanence, commence à partir du lieu où l’on se place. « Je suis en charge de chaque surface, de l’émotion du regardeur. Ensuite le visiteur apporte son propre sentiment, son interprétation. »

Jeff Koons est un sensuel et un excitateur, on aurait envie de caresser les surfaces de ses œuvres, mais la moindre trace de doigts les dévalueraient immédiatement…
L’artiste ne cache pas que son art choque, et la salle Made In Heaven va loin par sa mise en scène impudique de sa sexualité. Mais cette provocation n’a pas pour but de détruire la société - il a trop besoin du marché et des circuits-, mais bien plus d’aller au fond de lui-même, de sa toute-puissance d’artiste et d’entrepreneur artistique se maintenant au faîtes de sa gloire. Il se situe dans une société où l’art existe à l’état gazeux, c’est-à-dire partout, mais, lui, produit des repères durs, qui émergent. Jeff Koons est un miroir grossissant et triomphaliste de l’occident, sûr de lui et se nourrissant d’un optimisme sur lequel semblent glisser tous les enjeux contemporains de l’humanité.

Un cynique ? Peut-être. Un connaisseur de la société ? Certainement. Un joueur de nos imaginaires ? Pour ceux qui aiment la culture américaine sans nul doute. Un homme de culture ? Oui. Un artiste critiquable ou discutable ?

Jean Deuzèmes


Jusqu’au 27 avril au Centre Georges Pompidou

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