On connaît la prodigieuse série Maternités de la photographe néerlandaise Rineke Dijkstra qui avait saisi les premiers instants de la relation entre une mère et son enfant, nus et de plain-pied face à l’objectif : des regards d’espoir, d’inquiétude, des gestes affirmant la fragilité conjointe de la femme et de l’enfant. Il s’agissait de traquer un peu d’universel : le juste-après de la séparation spécifique à la naissance.
Dans sa série, Grégoire Korganow, lui artiste homme, se situe dans le registre de la masculinité et cherche à appréhender la relation entre un ascendant et un descendant. Il enrichit la verticalité relationnelle par l’horizontalité émotionnelle.
Il utilise une procédure analogue, cadrer strictement les sujets et les dévêtir afin de les placer à pied d’égalité, en supprimant les effets de classes ou de lieux dont les vêtements sont le signe.
Mais ensuite tout change par rapport à Rineke Dijkstra, les mères regardaient fixement l’objectif donc le spectateur. Les pères et les fils, eux, peuvent se regarder, le spectateur étant un tiers, à côté de l’artiste et des sujets, témoin d’une multitude de gestes qui sont loin d’épuiser toutes les attitudes que les pères peuvent avoir à l’égard de leur fils. Le photographe saisit la diversité des formes de la tendresse et de l’amour paternels, nourris tout à la fois de virilité et de féminité.
Les manières d’être père incluent la question de l’adoption, qui apparait nettement lorsque la différence de peau est très forte, ainsi que la transformation de la relation dans le temps, puisque les photos montrent des échelles d’âge très grandes, entre un père de 70 ans qui observe son fils de 50 alors qu’un autre très jeune fait sauter son enfant ou enserre son juste-né.
L’artiste dépasse la quête de la similitude des traits des visages et aime à montrer toute la gamme de la reconnaissance mutuelle, les jeux de regards oubliant souvent l’objectif, le positionnement des corps disant des histoires familiales muettes condensées le temps d’un clic.
Il n’y a aucune ambiguïté homosexuelle, pas de séduction. Tout est lien, mais pas à la manière des ethnologues qui analysent les modes de parentés et les questions de stratégies familiales ; le photographe scrute les individualités et leur singularité irréductible. Il révèle l’intersubjectivité.
Si chacune des œuvres impressionne et fait passer le spectateur d’une découverte à une autre et d’un commentaire intérieur à un autre, l’ensemble subjugue par l’émotion qui s’en dégage, que l’on soit homme ou femme.
JD