Une œuvre radicale : bruler une sculpture religieuse ancienne en bois et lui substituer simultanément la même forme en verre. Une technique fascinante. Une voie matérielle pour exprimer ce qu’on appelle mystère ? Déstabilisant.
Quand on est face à la vitrine de la galerie Saint-Séverin, on est intrigué par la forme exposée, un morceau reconnaissable de statue de Christ gisant au sol. La couleur est inhabituelle, grise, et partiellement translucide ; le matériau est étrange, on l’identifie progressivement comme étant du verre et non du marbre. Le titre, Cristallisation, renvoie à la fabrication de l’objet que le cartel décrit ainsi :
« Trouvez un vieux Christ en bois. Dépoussiérez et brosser la surface…Enlevez les rebouchages douteux... Coffrez l’ensemble et coulez le moule réfractaire autour du Christ… Cuisez jusqu’à 550°C et appréciez visuellement la combustion de l’original en bois… commencez à alimenter en verre… Laissez refroidir… commencez à démouler précautionneusement… Consolidez si nécessaire… Réparez les fissures… Patinez l’ensemble. » : telles sont, dans la bouche du maître-verrier de l’artiste Pascal Convert, quelques-unes des étapes de fabrication des œuvres de la série « Cristallisation », dont fait partie la sculpture exposée. Cet énoncé, saisissant de pragmatisme, décrit le long processus par lequel une statue de bois se consume pour laisser place à une statue de verre. »
Le processus mis en œuvre évoque l’alchimie médiévale mais semble aussi une référence géologique à la fabrication des matériaux qui ont formé la terre, par compression et élévation des températures, notamment les cristaux de roche. Le cartel insiste sur la dimension du temps de fabrication ; l’œuvre questionne le temps.
Il y a sans nul doute du religieux, d’un côté, respectueux de la forme initiale et du sculpteur anonyme qui l’a produite et, d’un autre côté, de l’iconoclasme, puisque l’œuvre est détruite.
Il s’agit du passage d’un état à un autre, d’une ancienne œuvre à une nouvelle, d’une création d’artiste lointain appropriée par un autre très contemporain, le nom même de ce dernier accentuant le donner-à-voir, le frère « convers » étant dans les couvents le préposé aux choses matérielles.
Cette œuvre déstabilisante, mutilée et belle à la fois, pose des questions plus profondes de langage et d’interprétation.
La commissaire de l’exposition conclut le cartel ainsi :
« La nature de l’objet d’origine en rend sa destination inquiétante : un Christ, chargé tout à la fois d’une aura religieuse et d’une valeur artistique, devient poussière dans un acte radical, celui de la destruction par le feu. Mais cet acte essentiel lui confère une seconde vie. Désormais contenu dans les contours d’un bloc de verre par endroits noirci et fendu, le corps du Christ garde la trace du procédé violent qui l’a engendré.
La « Cristallisation », terme aux consonances bien choisies, pourrait ainsi tenter de résoudre « l’équation mystérieuse entre sacrifice, sacrilège et sacré ».
Sophie Duplaix
Le moment dans lequel se déroule l’exposition, la montée vers Pâques, ouvre à d’autres approches interprétatives. La sculpture en bois a disparu, elle est passée par le feu et a donné naissance à une autre, identique dans la forme humaine mais à la nature totalement différente.
Cette approche du concept de résurrection ne se dit pas explicitement, l’œuvre restant dans le domaine des objets inertes. En effet, les mots sont insuffisants pour exprimer ce que les chrétiens désignent et vivent sous ce terme et c’est pourquoi de multiples expressions, comme « corps glorieux », ont été utilisées pour en rendre compte.
Toute l’histoire de l’art, en sculpture et en peinture, est traversée par cette question : comment représenter l’irreprésentable ? Les artistes ont souvent figuré le Christ sortant du tombeau, avec un corps humain et lumineux, marqué par ses stigmates, glorifié.
Pascal Convert, lui, demeure dans une certaine modestie voire en retrait : sa pièce inerte a changé de matière, elle garde ses stigmates, le verre n’est pas traversé par la lumière et n’irradie pas.
Par ses actes, l’artiste reprend la question, sa réponse ne relève pas d’une affirmation religieuse. Il se tient dans le champ de la matière.