[*La passion du Christ et celle de Mahomet*]
Cette œuvre, peinte en 1989 à la veille de la première guerre du Golfe, porte les interrogations de l’artiste face à l’affrontement de deux puissances symbolisées par les deux monothéismes qu’ils affichent. Le tableau apparaît comme un désordre visuel et exprime la situation intérieure de l’auteur ainsi que sa révolte. On y retrouve les symboles de ses autres œuvres, mais aussi de petits dessins comme un couple renversé pour dire les effets de la guerre, un éléphant pour exprimer l’identité ivoirienne du peintre, la croix, l’étoile, le vert, des morceaux de journaux faisant référence à l’actualité d’alors. « Quel sens cela a-t-il puisque l’homme perd ? » s’interroge Kra
[*Why ?*]
Ce tableau dont le sujet sort littéralement du cadre rectangulaire a été réalisé à Abidjan toujours en 1989, dans un double contexte : la guerre du Golfe et les premiers troubles en Côte-d’Ivoire. Le Christ quasi expressionniste, en peinture noire et en sable brun, traduit une douleur extrême. Les morceaux de bois découpés et collés ont souvent des angles acérés. À droite, un ensemble de signes semble un écho au « INRI [1] » accroché sur la plupart des crucifix, mais prend l’allure d’un journal asiatique plein d’idéogrammes. En effet, l’artiste avait séjourné en Corée du Sud l’année précédente et avait été fasciné par cette écriture. Mais, ici, les colonnes sont remplies à la fois de signes géométriques, de syllabes coréennes, de hiéroglyphes, de signes africains traditionnels et notamment de la symbolique Akan avec ses motifs ornementaux végétaux, animaux, et même des svastikas, les branches orientées à droite signifiant le masculin, à gauche le féminin. C’est l’assemblage d’écritures qui donne le sens de l’émotion de l’artiste, sur le mode d’un rébus visuel.
[*Crucifiés de Saint-Bernard*]
Ce tableau longiforme et très stylisé a été réalisé en 1997 à l’occasion d’un mouvement de solidarité chrétienne à l’égard de sans-papiers, lorsque l’église Saint-Bernard (Paris 18e) avait hébergé quelques dizaines d’entre eux. L’intervention des forces de l’ordre pour les disperser a créé de vives protestations politiques et sociales et a marqué durablement les esprits. Le Christ noir surgit d’un fond disloqué de petites surfaces monochromes. Cette forme crucifiée est décorée de motifs africains et exprime la compassion à l’égard de ce groupe d’accueillis dans l’église.
[*Les enfants de Mahomet chez Saint-Bernard*]
Cette œuvre peinte aussi en 1997, au titre explicite, est composée de plusieurs personnes bras étendus : une expression en miroir de l’église qui a ouvert les bras aux sans-papiers de toutes religions. Les êtres noirs, métis ou blancs symbolisent l’humanité sur terre. Ces hommes sont dans la souffrance, le peintre faisant référence à Guernica – femme à gauche. On y voit deux figures du Christ crucifié, décorées sur le mode africain et au premier plan une femme noire riche de vie qui selon une expression artistique africaine classique symbolise la mère nourricière, bras largement ouverts, ses seins blancs ayant les fonctions des yeux. Sur le sol vert et bleu, représentant la vie, des traces de pas, ceux d’hommes sortis de la situation de violence. Des signes sont peints sur le fond disloqué, certains morceaux collés ayant même la forme de bras déployés.
[*La Croix en Noir et Blanc et en couleurs*]
Cette grande œuvre faite en 2005 sur une natte domestique est une bonne image du mouvement Vohou-Vohou et de ses assemblages complexes. Ce qui est peint sur ce collage de journaux peut être lu selon deux manières :
• Une référence à la lecture publique de la presse quotidienne francophone, ici « La Croix ». Dans les rues de Côte-d’Ivoire, les vendeurs de journaux affichent les multiples titres sur un même panneau ; avant d’acheter l’un d’entre eux, les passants lisent et commentent de vive voix, ce sont « les titrologues ». Ceux qui ne savent pas lire peuvent alors avoir accès à l’information. Ici l’artiste a repris ce mode populaire et a transformé son panneau/tableau en une sorte de collage d’ex votos de l’actualité, à partir d’un jeu de mots sur le titre : « Pour moi c’étaient des demandes adressées au Christ, de la culture à la politique ».
• Un questionnement plus politique : avec un Christ aux traits africains, l’artiste aborde la question raciale, le titre y faisant explicitement référence. Cette œuvre s’inscrit dans un mouvement personnel de révolte face aux multiples violences du monde et à l’utilisation de la thématique chrétienne dans les conflits.
Jean Deuzèmes