Pour sa première exposition personnelle à la galerie Bugada & Cargnel, intitulée Les Débutantes, Claire Tabouret (née en 1981 à Pertuis, vit et travaille à Paris) présente un ensemble de neuf toiles de même grand format, librement inspiré par le Bal des débutantes, événement mondain annuel qui se tient à Paris et où de jeunes héritières de l’aristocratie française et de la jet set internationale font leur entrée dans le monde.
Les œuvres ont pour modèle les photographies de groupe officielles de différentes éditions du Bal, dont l’artiste s’affranchit toutefois radicalement, elle qui ne peint pas d’après photographie, mais justement pour pallier ce qu’elle perçoit comme un manque, une absence dans la photographie. Sur chaque toile, un groupe de personnages féminins, d’âge variable et souvent indéterminé – entre l’enfance, l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte – prend la pose, dans des robes de gala stylisées.
Ces tenues de soirée sont généralement de couleur unie sur chaque œuvre, et s’entremêlent de sorte que l’on ne sait plus où s’arrête la robe de l’une et où commence celle de l’autre. Cet enchevêtrement figure le lien social qui unit les jeunes femmes, dont on ne pourrait dire si elles le subissent ou si elles en tirent parti, et si elles sauront ou non un jour s’en affranchir ; en somme, si elles seront prisonnières ou maîtresses de leur destin.
En effet, si le Bal des débutantes est le point de départ de cet ensemble, il est surtout prétexte pour Claire Tabouret à continuer à explorer des thèmes qui traversent ses dernières séries, comme par exemple la place de l’individu au sein du groupe et sa capacité à s’en extraire, ou le destin et de sa prédétermination. Ici s’y ajoutent notamment des questionnements liés à un rite social d’entrée dans l’âge adulte. Bien que les jeunes femmes tendent à se ressembler par leurs traits et leurs atours, elles sont toutes singulières, chacune tentant de résister et de s’extraire du groupe.
À travers ses portraits de groupe, il s’agit pour l’artiste d’imaginer les liens que les personnes présentes sur les photographies d’origine ont entre elles, de les rendre visibles, par les cheveux ou les tissus. Les habits semblent juste posés sur les épaules des personnages, et entrent en conflit avec leur propre individualité, que trahissent leurs regards. Ici les robes et draperies s’inspirent du travail de Gaëtan Gatian de Clérambault, figure de la neuropsychiatrie et professeur de Lacan, qui avait conçu pour le motif du drapé une passion si obsessionnelle qu’elle finit par lui coûter sa carrière.
Dans ce nouvel ensemble, si l’inspiration et l’intensité sont restées les mêmes, le geste de l’artiste a pris de l’ampleur, et tend parfois vers l’abstraction. Surtout, sa palette s’est largement ouverte : le fond de chaque toile est peint dans une couleur acrylique fluo, ensuite assombrie par la superposition de multiples strates plus foncées. Cette première couche donne au tableau sa lumière, comme éclairé de l’intérieur. Visible sur la tranche de la toile, la couleur initiale forme un halo qui déborde sur le mur. On a le sentiment d’être baigné dans une lumière colorée et mentale, électrique mais presque sourde, indéfinissable.
Le spectateur se trouve ainsi plongé au milieu de dizaines de regards braqués sur lui, le confrontant à une forme de saturation visuelle, de vertige. L’artiste rejoue ainsi, plus ou moins consciemment, son rapport primitif à la peinture, quand une visite au Musée de l’Orangerie et une immersion picturale dans les Nymphéas de Claude Monet décida de sa vocation de peintre à l’âge précoce de quatre ans. Dans ces nouvelles toiles se retrouve ainsi le thème du liquide et du mouvant, qui traverse toute son œuvre. Cerné par ces toiles monumentales, le regard glisse dans le pli d’un drapé, et passe d’une robe à une chevelure, à une tenture, d’une toile à l’autre, où chacun se projettera différemment : ici le thème du masque, là des cariatides, là encore des écorchées sorties d’une planche anatomique.
Frédéric BUGADA.
JD de V&D
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