Comme le présente Sylvie Bethmont-Gallerand, professeur à l’École cathédrale de Paris et commentatrice invitée
« Créer un alphabet n’est pas anodin, puisqu’il s’agit de communiquer avec le plus grand nombre et donc d’en obtenir une forme de reconnaissance et d’acquiescement pour que la lecture, puis le dialogue soient possibles. Ainsi se créent toutes les civilisations de l’écriture et du signe. Cette idée d’alphabet a patiemment germé dans le cours du travail de Jacques Villeglé, jusqu’en 1969, après l’efflorescence au printemps 68 des slogans peints sur les murs du Quartier-Latin de Paris, dont Saint-Séverin fait partie. »
Et c’est bien là où git l’innovation : mêler le grand et bel art, classique, avec l’amusement à découvrir des symboles faisant fonction de lettres, immédiatement reconnaissables et permettant d’accéder à du sens immédiatement, mais permettant de faire d’autres découvertes : le religieux et le politique d’aujourd’hui. Une croix de Lorraine, la croix de David, le Yin et le Yang, le Tau grec, etc.
Et la commentatrice de poursuivre
« Dans son désir de dialogue avec le monde contemporain, Jacques Villeglé utilise des signes typologiques simples, modifiés par l’usage, en particulier celui des graffiti. Comme il le note : - les graffiti caviardent la typologie murale. Les A sont encerclés, les O coupés en quatre, les S, le I striés, les V étoilés… - [2]. Cependant cet alphabet n’emprunte pas seulement à ces « caviardages » de graffeurs et à leur message socio-politique.
Le texte d’Aristote est ici transcrit au moyen de signes plastiques (des dessins schématiques) entremêlés avec des signes graphiques (une typographie). Au centre de la composition, un O fait yin et yang et rappelle la bipartition et l’ambivalence qui font qu’un signe devient symbole.
Il invite le spectateur à confronter les lettres ici en tension : les signes pacifistes et religieux - où le signe de la croix domine en nombre, y compris la croix de Lorraine (« I strié ») - avec des symboles usés par les dictatures du XXe siècle comme la faucille et le marteau du G.
Dans le A se cache une étoile de David à six branches, (ou plutôt le « bouclier de David » selon son nom hébreu). Il côtoie le F travesti en svastika l’ambivalente. Signe de vie - c’est l’un des signes universels les plus anciens - mais aussi de mort quand elle est faite croix gammée. Parfois, je suis heurté par mes choix », dit lui-même Jacques Villeglé [3], mais en bon sismographe il ne fait qu’enregistrer la violence du monde. »
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