Les panneaux, ordonnés par paire, commencent par une sombre évocation de la porte du tombeau fermé ; puis sont évoqués le chaos et l’élévation dans des tonalités d’un rouge de plus en plus intense. Les traces du pinceau dessinent des formes oblongues, très organiques voire féminines, entre gloire et violence à peine voilée.
L’artiste témoigne de deux choses : de son expérience de croyante, viscéralement peintre, et de son expérience de femme donnant la vie, s’en souvenant comme un moment d’intense violence pour l’enfant (et la mère) qui passe du sombre de l’utérus à la clarté du monde ; une femme nouvelle, un homme nouveau jaillit de l’obscurité. Les panneaux ne traitent pas de la mort mais d’une mise à la vie qui ne peut échapper au choc de la délivrance.
Et de citer trois auteurs qui « l’ont portée », au travers de trois phrases où tous les mots comptent :
« Tout est mémoire, l’être vivant ressent, retient. L’organisme n’oublie jamais rien » Professeur Robert Debré
« Il faut que le noir s’accentue pour que la première étoile apparaisse. » Christian Bobin
"Il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile." Friedrich Nietzsche
Alors que les tableaux classiques de résurrection mettent souvent en scène une figure de Christ relevé, debout au-dessus du tombeau, hiératique et revêtu partiellement d’un tissu rouge dans une aura blanche resplendissante, ces couleurs que l’on retrouve dans les ornements liturgiques (sang/pourpre royale et blanc de la Résurrection), Anne Gratadour se situe ailleurs.
Ses couleurs opposées (rouge/vert et bleu) renvoient à un champ symbolique collant aux réalités corporelles et imaginaires : la matrice, l’enveloppe utérine, le déchirement d’un côté, le sombre, le chaos ou le monde des êtres étranges , de l’autre.
Fondamentalement, elle exprime non pas un état de ressuscité mais un moment, le passage dans la douleur.
Le style, les références
Panneaux 1 et 2 : Portes du tombeau/fermées et s’ouvrant. Les brosses sont larges, orthogonales, mais l’horizontal domine, fermeture. Le mélange de verts et bleus, sombres mais pas opaques laisse passer le rouge ; la trame est rigide, rigidifiée.
Panneaux 3 et 4 : Les portes cèdent. L’orthogonalité des traits explose. Le rouge du centre est chaotique, un éboulis. Puis, les traits s’élancent vers le haut, jaillissement hors de l’horizon du tableau.
Panneaux 5 et 6 : Résurrection. Le rouge envahit tout, l’horizontalité recule, le vert et bleu sont emportés, il n‘en reste que des traces. Une mandorle, une forme organique apparaissent, glorieuses par la densité de lumière.
Panneau 7 : Réalisé avant les six autres. La tonalité rouge fusionne avec les bleus et jaunes radiants. Si l’orthogonalité devient toute la trame, le tableau n’a pas de limite supérieure. Une autre interprétation du sujet ou une ascension ?
La manière d’aborder ce thème a donc beaucoup changé d’une année à l’autre, sa quinzième « station » de 2013 était orientée classiquement vers la droite et multipliait les couleurs. Avec la nouvelle dominante rouge, la signification gagne en intensité.
Anne Gratadour est une scénographe de théâtre et d’expositions. Elle peint aussi et reste fidèle à ses références personnelles. Ainsi elle vit et déplie son œuvre dans l’inspiration de Barnett Newman qui, lui aussi, avait peint une 15ème toile pour son magnifique Chemin de Croix et de Marc Rothko, notamment pour la sombre « Chapelle de Houston », commande de la famille De Ménil.
Mais c’est probablement d’Alfred Manessier (1911-1993), très sensible aux vibrations de la lumière qu’il rend par des touches serrées dans ses long tableaux, tapisseries et vitraux, et dont l’inspiration puise dans les paysages de la baie de Somme, le Sud, les engagements politiques et les fondements du christianisme , qu’Anne Gratadour se sent la plus proche, à la fois par le style d’abstraction et la spiritualité. Une de ses dernières œuvres (1989), les vitraux de l’église du Saint-Sépulcre d’Abbeville, s’intitule d’ailleurs « Le Tombeau vide ou l’annonce de la Résurrection ».
Anne Gratadour aime à citer cette phrase de son aîné :
« Voilà le nœud de ma peinture : quand j’aurai exprimé Pâques, à la fois comme une allégresse spirituelle et comme renaissance panthéiste, j’aurai gagné. Le chrétien ne doit pas s’éloigner des forces de la nature... Par exemple, j’ai le rêve lointain de peindre une grande moisson liée à l’idée d’une exultation, d’une glorification, j’attends. »
Jean Deuzèmes
>>
Si vous souhaitez recevoir la lettre mensuelle de Voir et Dire et ses articles ou dossiers de commentaires d’expositions, abonnez-vous >>>
Merci de la faire connaître dans vos réseaux.