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Pascale Peyret, Anamorphose (les misères)
À Saint-Merry, la Nuit Blanche 2013 dure 12 jours ! Avec Pascale Peyret, une étonnante installation esthétique et sonorisée a envahi la nef ; cette démarche collective a ouvert sur une perspective : repousser la misère.
Le samedi 5 octobre 2013, Pascale Peyret est revenue dans la Nuit Blanche et cela pour 26 000 visiteurs qui se sont arrêtés à Saint-Merry ! En 2012, elle avait produit une œuvre magnifique en créant un tapis féérique de lumière (Lire article V&D) à partir d’écrans d’ordinateur à la casse. Pour 2013, elle est partie des mots et de la manière dont on les traduit puis réalise, ici, une œuvre sensible en invitant à regarder le monde autrement.
Chacun connaît le tradescantia [1], plante modeste dépositaire d’une symbolique forte connue sous le nom de « misère ». En Amérique du Sud et en Espagne cette plante porte-bonheur est nommée « amor de hombre » : « amour de l’homme ». Dans les pays francophones, elle est appelée « misère » en raison de sa facilité à résister à la sécheresse et à l’ombre et de sa capacité à croître dans des conditions précaires. Ainsi ce nom renvoie à une réalité sociale et plus encore à la dynamique de bien des associations qui veulent la repousser. Mais que de liens entre les expressions de ces deux langues !
L’œuvre de Pascale Peyret a pris l’aspect d’une sculpture vivante faite de poches de perfusion reliées entre elles et dans lesquelles s’épanouissent des boutures de tradescantia. Cette installation réalisée par de multiples anonymes dans l’église a fait ensuite l’objet d’une désinstallation le 17 octobre, journée du refus de la misère et un démontage le 20. 2013, une Nuit Blanche de tous les excès : la durée, la foule.
L’installation était lumineuse et sonore comme l’est le sens du projet conjoint d’une artiste et d’une église au cœur de Paris. C’est réellement une œuvre, venue non pas des arts démonstratifs ou engagés, mais d’une esthétique où l’émerveillement ouvre sur la question de l’insertion des exclus.
[**Chronique photographique de la fabrication de l’œuvre : du 18 septembre au 5 octobre**]
18 septembre, livraisons des supports de poches de perfusion
20 septembre, les supports s’installent dans la nef.
23 septembre, on accroche les fils supports
24 septembre, on monte les premiers fils et on remplit les poches de transfusion
25 septembre, monter les fils prend beaucoup de temps
30 septembre, les fils se sont emmêlés fâcheusement, on recommence, avec précision
1er octobre, les poches de transfusion sont accrochées.
2 octobre, on met les plants de tradescantia, on continue à accrocher les fils aux structures
3 octobre, on emplit les poches de transfusion, on les regarde
4 octobre, dernière nuit avant la Nuit Blanche, on pose les led pour éclairer les poches
5 octobre après-midi, surchauffe, c’est la pose finale (des led), avant la montée des palans supportant les fils et les poches
Crédits photos : MJ L
Fin de cette chronique photo
[**Chronique photographique de la Nuit Blanche et du lendemain matin **]
>>>> consultez le portfolio de la colonne de droite
ou
[**Visionnez le film de la Nuit Blanche et de sa déinstallation**]
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« J’aime regarder les plantes. C’est une façon de regarder la vie » Anselm Kiefer
[2].
L’œuvre a pris racine durant l’exposition d’été de Saint Merry où étaient abordées diverses questions portant sur les rapports entre homme et nature (Lire article V&D). Les visiteurs se voyaient proposer de bouturer les premiers pieds de tradescantia, dans de modestes gobelets de plastique. Ce fut symbolique dans tous les sens du terme, et ce fut le moment fondamental de l’engendrement.
Début octobre, les multiples participants ont mis les boutures et branches qui croissent si vite, dans des poches de perfusion transparentes, ces objets essentiels pour maintenir la vie dans les hôpitaux et l’ensemble sera installé dans les airs. Ici tous les objets et matériaux utilisés, les moindres gestes entrent en résonance avec le projet et accroissent sa signification sociale et individuelle.
A la manière d’une fable, ce dispositif simple et épuré est une invitation poétique à méditer et à se questionner sur notre monde où croît la misère.
Anamorphose ? Beau choix de nom pour cette installation. En effet, pour lire une œuvre en anamorphose [3] il faut modifier légèrement son point d’observation, ici le point de vue sur la misère et l’exclusion [4]
.
C’est aussi une évasion poétique des mots, simultanément dans deux langues, qui nous propose un nouveau regard sur l’exclusion. (Re)pousser la misère pour construire l’amour de l’homme, des hommes.
En créant un lien symbolique avec le bouturage de nos petites misères, chacun a été invité à participer à un rituel de collecte, de dispersion, d’essaimage de l’œuvre comme l’idée qui fait son chemin, la prise de conscience de chacun face à la crise que traverse notre société. L’œuvre est participative et sera peut-être performative…
Pour la préparation et la mise en œuvre de l’installation de la Nuit Blanche 2013, je me suis rapprochée de l’association "Aux captifs, la libération" qui intervient auprès des personnes de la rue. Plus encore que donner accès à l’art contemporain à des publics qui en sont le plus souvent exclus, il s’agit ici de leur proposer d’en être les acteurs. La dimension symbolique d’Anamorphose prend alors toute sa mesure, la création artistique devient passerelle, moteur de réinsertion.
La création artistique sous toutes ses formes est pour "Aux captifs, la libération", un axe fort d’aide aux gens de la rue, personnes sans-abri et personnes en situation de prostitution. Une collecte via une plateforme de financement participatif est lancée ce lundi 23 septembre pour financer la production de Anamorphose et les prochaines actions , confie Pascale Peyret
Cette exposition à suivre, cette aventure artistique ouverte sur le public a été vue par 24 000 visiteurs venus durant la nuit.
Avant, pendant et durant le déroulement de l’événement, Voir et Dire a tenu une chronique photographique.
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Souscription pour la fabrication de l’œuvre
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Cette œuvre est fabriquée par des gens de la rue, des exclus de l’association "Aux captifs, la libération".Elle nécessitait les dons de chacun. C’est pourquoi une plateforme originale et sécurisée de dons a été ouverte.Lire article de V&D ou
[*Cliquez sur la plateforme*]
Si vous faites un don, vous bénéficierez de :
- 5 - 10 € : un grand merci
- 50 € et plus : un café partagé et un lien vers la vidéo qui sera produite cette nuit du 5 octobre, à Saint-Merry
- 100 € et plus : le café, le lien, la déduction fiscale et votre nom au générique du film Anamorphose
- 500 € et plus : le café, le lien, la déduction fiscale et votre nom au générique du film Anamorphose ainsi qu’une invitation au Banquet des amis d’Anamorphose
Faire pousser les misères
Repoussez la misère
Participez !
Dispersion des misères
Le 17 octobre, à l’occasion de la journée mondiale du refus de la misère, a eu lieu la dispersion des bouquets de misère que chacun pouvait prendre,
garder ou offrir. Puis tout s’est terminé autour d’un repas dans l’église même, en compagnie des exclus.
PS : Voir-et-dire.net : un site à visiter sans modération…
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[1] Dérivé de Tradescant, nom d’un botaniste hollandais (1608-1662) qui découvrit cette plante en Virginie.
[2] Anselm Kiefer est un artiste de renommée internationale qui, à l’aide d’œuvres monumentales, relie l’histoire humaine (notamment l’histoire allemande faite de conquêtes et de désastres) à une cosmogonie, où les graines et fleurs de soleil prennent une dimension quasi métaphysique, dans un univers de plomb, de zinc et de matériaux durs, lourds et constitutifs de l’habitat humain
[3] Felix Varini est l’artiste contemporain qui réalise les anamorphoses les plus spectaculaires.
[4] Ainsi l’œuvre de Pascale Peyret est construite sur deux jeux de mots :
– « misère » / « amor de hombre », « amour de l’homme ».
– anamorphose visuelle / anamorphose dans notre comportement
Le sens profond de cette œuvre n’est pas une affirmation artistique (du végétal peut flotter « magiquement » dans une église de pierre) mais une question : comment passer de l’observation de la présence de la misère dans le monde à celui du partage concret pour l’amour de l’homme. La fabrication avec les exclus par la communauté de saint-Merry en est une marque.
Cette démarche de Pascale est dans le sillage celle du grand artiste Joseph Beuys, qui affirmait dans les années 60 et 70, que « Tout homme est un artiste » et que l’art est une sculpture sociale.
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