Simon Hantaï (1922-2008) fait partie de cette génération d’artistes de l’immédiat après-guerre, venus d’Europe de l’Est à Paris et qui, au contact des multiples artistes s’y côtoyant, ont fait évoluer leur art de manière exigeante vers de nouvelles esthétiques. Son œuvre ne peut se résumer au « pliage comme méthode » tant elle est diverse.
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Marqué par le surréalisme en déclin et protégé par André Breton, Simon Hantaï rompt rapidement avec le mouvement, non sans avoir développé des techniques et des inspirations très personnelles : compartimentage des tableaux, ossements, collages, créatures hybrides et inquiétantes ; « Femelle-Miroir II » traduit la violence de ces inspirations.
Puis, influencé par Georges Mathieu mais surtout par Jackson Pollock, il entre dans une brève période gestuelle et il invente la technique des petites touches qui lui permettent d’occuper la totalité de la toile. « Sexe-Prime, Hommage à Jean-Pierre Brisset » (1955), une toile de 240x530 cm, montre à quel point il maîtrise les grandes dimensions.
En 1958-1959, il produit deux chefs d’œuvres qui sont ici rassemblés sur un même panneau et qui traduisent une réelle forme d’ascétisme.
« Écriture rose » ressemble à une immense feuille sur laquelle il écrit chaque matin des textes de la Bible, mais aussi des textes philosophiques de Hegel, Heidegger, Augustin dans les quatre couleurs du temps liturgique. Pour délimiter et organiser l’espace, il y répartit des signes qui ont marqué son enfance : une croix grecque, l’étoile de David et l’encrier de Luther. L’écriture, dont les couches se superposent jusqu’à rendre illisibles les textes, devient la trame de la toile, le fond et le support de la peinture. Simon Hantaï invente ainsi une autre forme de dripping en l’associant au fond d’or des primitifs italiens.
« À Galla Placidia » relève de la peinture et est exécuté par touches sombres chaque soir, à l’aide d’une petite pièce métallique. Son titre et cette technique font référence au mausolée de Ravenne et à ses mosaïques byzantines. De cet « all-over » surgit alors une grande croix qui devient un grand signe plastique.
Son imprégnation par le catholicisme depuis l’enfance est très complexe. Simon Hantaï est un grand lecteur d’écrits mystiques et nombre de ses toiles sont nommées en référence au champ religieux. Mais ses œuvres ne témoignent d’aucun dogme et ne sont pas religieuses ; avec ses grands gestes, il évoque bien plus la condition humaine et transforme une certaine métaphysique dont il est familier en physique de la peinture, mêlant éléments picturaux et religieux, dans une grande sensibilité voire sensualité. À la spontanéité, il préfère la répétition, l’usure ; Simon Hantaï est un artiste de l’effacement.
À partir des années 60, ses toiles abstraites, les « Mariales », reprennent le vieux thème de la Vierge de Miséricorde qui ouvre son manteau pour abriter l’humanité, mais il faut les lire comme une métaphore de la peinture. Pour l’artiste, elles sont à tout moment un résumé de l’histoire de la peinture et doivent avoir une fonction de rassemblement.
Dans la série des « Tabulas » (1973-1976), les pliages produisant des rectangles colorés sont liés à la dédicace à Piero della Francesca, à sa Madonna del Parto. Dans le tableau du maître, deux anges ouvrent en effet un manteau dont le fond est quadrillé.
La deuxième rupture est liée à la technique du froissage et du pliage qu’il avait déjà expérimentée en 1950.
En décrochant la toile du cadre, en la pliant de multiples manières et en la peignant sans avoir la vision des surfaces à peindre, puis en la dépliant/repliant pour peindre éventuellement à nouveau l’intérieur des plis, Simon Hantaï se libère des techniques traditionnelles de la peinture, pour affronter la toile dans une sorte de corps à corps physique, et dont le résultat n’est pas dénué d’une certaine filiation surréaliste. Une fois dépliée, la toile est accrochée comme un quartier de viande au mur de l’atelier. Mais des toiles émergent la lumière et la couleur, comme issues de l’arrière de la toile, à la manière d’un vitrail.
Les « Catamurons », les « Panses », les « Meuns » sont construits sur des techniques proches, mais donnent plus de place au blanc, aux à-plats aplats, aux monochromes. Après avoir médité Pollock, Simon Hantaï se met en résonnance avec les papiers peints de Matisse et les blancs de Cézanne.
Avec « Tabulas », Simon Hantaï invente encore une autre technique à base de nœuds, ce qui va permettre au blanc de s’intégrer à la couleur, par entrecroisements, sur des surfaces aux dimensions hors du commun.
En 1982, Simon Hantaï se retire du monde de la peinture sans donner la moindre raison.
Contrairement à bien d’autres expositions, celle-ci invitait spontanément à la visite silencieuse.
Vraiment une grande exposition.