Eva Jospin
Eva Jospin. « Forêt » à la Galerie de la manufacture des Gobelins.
Eva Jospin est une jeune artiste en pleine ascension, qui s’est cependant « posée » à l’exposition d’été 2010 de Saint-Merry ; son œuvre de 3m de large sur 2 de haut avait impressionné les visiteurs (lire Voir et Dire >>> ) .
En 2013, dans le cadre d’une grande expo sur la nature, la manufacture des Gobelins lui a donné carte blanche pour Forêt : 7m x 3,5 m !
L’échelle a ainsi complètement changé ainsi que la mise en scène : une grande pièce obscure, accentuant le caractère mystérieux et le sens des œuvres de la plasticienne. Pour elle, la forêt est le lieu où l’on se perd, où l’on se retrouve, la forêt de l’enfance et des contes, représentatif peut-être de l’inconscient, un lieu aussi pour adultes, mais ici immense et éclairé par quelques spots.
La technique est toujours la même : du carton ordinaire, récupéré ou non, l’emballage de nos produits envoyés par Amazon, découpé minutieusement puis collé selon des gestes d’artisan. Alors que le sculpteur enlève généralement de la matière, Eva Jospin, au contraire, en rajoute. Sa technique est aussi proche de celle du jardinier qui bouture et créé des figures du végétal, mais ici les créations sont inertes. Finalement, cette matière pauvre et si contemporaine, servant parfois d’abri aux Sdf, n’est-elle pas liée par son origine à ce qu’elle met en image ? Le carton est de la fibre issue du papier, lui même provenant généralement de l’arbre.
Cette conception globale de « Forêt » ouvre sur une sorte de mise en abîme impressionnante par le médium et les significations. Avec délices, on peut s’y perdre…
Henrique Oliveira
Henrique Oliveira expose deux œuvres de type proliférant et surgissant des architectures des lieux : « Transubstantiation » aux Bernardins (jusqu’au 27 juillet) et « Baitogogo » au Palais de Tokyo (9 septembre).
L’artiste, né en 1973 vivant et travaillant à Sao Paolo, utilise généralement du bois récupéré dans les rues de sa ville pour en faire des installations /sculptures à grande échelle, in situ, dans les lieux où il est appelé.
Le caractère foisonnant des œuvres renvoie à une conception débordante de la vie mais semble aussi se référer à la précarité des constructions et de ceux qui y habitent. On peut hésiter dans l’interprétation : la nature et ses arbres ou bien une architecture de science-fiction, tant les œuvres gardent l’empreinte de leurs origines, des restes de palissades, de panneaux de contreplaqué.
Ces sculptures sont des êtres hybrides, éphémères, et ne sont plus liées à l’exotisme brésilien ou au ready-made social, transférant positivement l’image de favelas dans les musées : les œuvres monumentales ont conquis leur autonomie.
Avec « Baitogogo », l’artiste joue avec les structures du Palais de Tokyo qu’il démultiplie en leur donnant une dimension végétale, comme si l’architecture devanait vivante. Le spectateur pourrait imaginer être au milieu d’un cerveau d’arbre.
La forme du tronc d’arbre et de ses branches relève de la tradition surréaliste ou de la fantasy, mais aussi de toute une architecture (Gaudi, Hundertwasser) et prend corps grâce à des matériaux issus là aussi de la pulpe des arbres.
Si les œuvres de Henrique Oliveira sortent ainsi de leur contexte et laissent ouvertes toutes les interprétations, elles utilisent les effets de sidération sur le spectateur. Au Palais de Tokyo on traverse même l’installation, on s’y abrite.
De la forêt imaginaire de l’enfance d’Eva Jospin, on passe à des installations en forme de Gorgone, de la Galerie des Gobelins au Palais de Tokyo….
Giuseppe Penone
Giuseppe Penone à Versailles. Avec 19 œuvres réparties dans le parc et 3 dans le château, l’artiste exprime de manière puissante sa pensée sur la nature, l’arbre en étant l’élément de base.
De l’arte povera auquel on l’a facilement rattaché, il ne conserve que l’idée initiale : donner à voir ce qui est déjà visible dans la banalité des objets et exprimer les forces de vie qui les traversent. Loin de toute idéologie esthétique, il exprime l’invisible en allant le chercher puis en le mettant au musée.
L’histoire de Penone avec le château a commencé lorsqu’après la tempête de 1999, il a acquis un arbre abattu mais qui existait déjà au temps de Marie-Antoinette. Ensuite, il a creusé les divers cernes jusqu’à atteindre ceux de l’arbuste qu’avait connu la Reine.
Cette démarche est à la base de son attitude : l’artiste remonte le temps, se souvient de l’état de nature, cherche ses traces et, derrière elles, tous les éléments primaires qui la composent dans le végétal, le minéral.
Il s’intéresse ainsi à tout ce qui a marqué l’arbre, à son histoire, à sa lutte contre les éléments. En nous surprenant en permanence par ses formes et leurs origines, il révèle la plasticité, la fluidité de cette nature. Il creuse dans la chair même de l’arbre, il le dissèque non pas comme un voyeur mais comme un philosophe à la recherche des principes qui en expliquent la situation, les propriétés que l’on ne voit plus (la rugosité de l’écorce, l’origine des branches, le rapport avec le monde minéral, etc.).
Sa quête et sa familiarité avec les éléments le rapprochent de la pensée d’Aristote. Mais chemin faisant, il métamorphose la vision. Il va au-delà de la peau (l’écorce) et creuse pour atteindre la forme pure ; il fait de même d’ailleurs avec le marbre. Dans une œuvre « Entre écorce et écorce », le visiteur pénètre et se retrouve dans la peau de l’arbre.
Penone se refuse à dissocier la forme de la matière, la matière du temps, le matériel du spirituel. Un sens du sacré se diffuse, mais ce n’est pas un univers panthéiste qu’il transmet. Avec ses œuvres, mêlant la fragilité du bois et l’intemporalité du bronze, ce créateur dépasse la question de la religion.
Les propos de Penone ne relèvent pas de nouveaux imaginaires ou des rapports homme/nature/société mais de la question globale de la création. L’arbre est sa clef d’entrée.