L’exposition est composée d’une succession de vidéos très différentes : grand/petit écran ; N&B/couleurs ; multi écran aux sujets silencieux lentement abordés/ mini films narratifs, etc.
Il y a bien aussi des dessins à l’aquarelle (certaines scènes des films de Pasolini) et une pièce de mosaïque d’une scène familiale (Brothers 2010) qui pourraient ne pas retenir l’attention du fait de la force des films, mais ces œuvres confirment une des dynamiques de l’artiste : transformer, retravailler des images ou des situations vécues pour exprimer des idées, rechercher un équilibre entre la réalité et la représentation. Adrian Paci est constamment dans la quête de ses identités ou de ses racines enfouies. Son exil d’Albanie en 1997 a précipité ses questionnements.
Le fait d’être à la croisée des chemins, à la frontière de deux identités séparées, se retrouve dans toutes mes productions cinématographiques. Adrian Paci
Simples mais difficiles à décrire, ses vidéos aspirent littéralement le spectateur par le sujet ou les prises de vue. Si elles sont tirées de son histoire personnelle, la mise en tension de leurs aspects dramatiques ou merveilleux les font glisser dans la fiction et la poésie. Si le spectateur vit les mêmes émotions que face à un conteur, les sujets sont bien plus des fables en images. À chacun de faire résonner en soi ce qui est exprimé.
Centre de rétention Provisoire (2007). Un cortège de passagers silencieux s’avance sur un tarmac d’aéroport et monte sur l’escalier métallique menant à l’avion. La caméra scrute les traits graves des femmes et hommes, les plans sont des tableaux tenant de la veine réaliste paysanne de la fin du XIXe. Cette foule se transforme en une file d’attente pour une destination inconnue alors que lentement le cadrage de la caméra s’élargit : la passerelle ne mène à aucun avion, du haut de celle-là, les hommes vous regardent tandis que tout le paysage alentour est vide ! Cette puissante évocation du vécu des migrants laisse sans voix : être ensemble en transition permanente et être enfermé…par le vide.
La rencontre (2011). Sur le parvis de l’église sicilienne, San Bartolmeo de Sicli, la caméra en plongée fixe une scène au milieu des immeubles ; on imagine être au théâtre. Un homme, l’artiste, serre la main de gens qui défilent, un peu comme lors de la présentation des condoléances. Mais ici, c’est le signe le plus simple de partage et de convivialité entre les hommes et femmes. Réalisé par des dizaines de personnes en procession, il devient la racine du rituel. En se trouvant au centre du dispositif, l’artiste qui accueille les autres, expose en fait son identité face à cette communuaté de village.
Pleureuse (2002). Autre rite de passage, celui qui met en scène une pleureuse lors d’une veillée funèbre selon la tardition albanaise. L’artiste est allongé sur un lit mortuaire et le spectateur entend pendant près de 10’ (que c’est long !) des lamentations, à l’issue desquelles l’artiste se relève. Il se libère des lamentations. L’artiste passe de la mort à la vie, il transforme son identité.
À l’intérieur du Cercle (2011). Une petite carrière entourée de palissades grossières. Un cheval entre d’un côté, une femme de l’autre. Et se déroule une séance de travail où l’animal et le dresseur sont en communication par de simples signes. Mais voilà, la femme est nue ! Tout est réalisé sobrement en N&B et parfois des images de couleurs, comme signes du réel. Au travers d’une série de codes, semblent se renouer les liens les plus primitifs entre l’animal et l’homme, dans l’ignorance de la distinction entre les deux espèces. Dans ce face-à-face, où l’on retient son souffle, l’animal apparaît lui aussi comme nu. Tout est chorégraphie et merveille, comme dans des tableaux sur l’Éden perdu peints par Franz Marc, l’expressioniste allemand du XIXe, avant la grande guerre…
Home to go (Un toit à soi) 2001. Une série de grandes photographies où l’artiste, presque nu, se représente portant un fragment de toiture inversé sur le dos. Cette métaphore puissante de ce qu’est l’expérience du migrant, lourde et difficile à porter ; ces photos rappellent d’autres figures connues que les peintres ont traitées durant des siècles : la montée au Golgotha, l’ange déchu, l’oiseau à terre s’apprêtant à mourir, le paysan pauvre apportant tout ce qu’il a récolté sur son dos, dans une situation de fragilité que la nudité exprime.
Allumer (2004). Une photographie de chômeurs assis au pied d’un stade qui attendent qu’on leur propose du travail. Il fait sombre, ils ont allumé leur appareil électrogène, qui les éclaire comme des bougies placées devant des icônes. Cela n’est pas sans rappeler les travaux de Christian Boltanski et ses « autels » de personnes disparues ; mais dans ce « tableau » de Abrien Pacci, elles vivent.
Les autres vidéos sont tout autant propices à l’émervellement, à la réflexion personnelle, mais aussi à de vrai rires tant certaines situations bien réelles sont évoquées sur le mode grotesque.
Comme le titre l’indique, nous sommes en transit sur cette terre ; raison de plus pour s’arrêter !
NB : V&D a analysé précédemment une œuvre de Adrian Paci vue à la Nuit Blanche 2011 Lire
[(JEU DE PAUME. 1, place de la Concorde. 75008 Paris. Mardi (nocturne) : 11h à 21h. Mercredi à dimanche : 11h à 19h)]