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Pascale Marthine Tayou. Collection privée



Une vaste exposition faite d’assemblages et de débordements, au pavillon Paul Delouvrier (Parc de La Villette) 3 octobre-30 décembre 2012

L’exposition désarçonnante de l’artiste d’origine camerounaise, Pascale Marthine Tayou, se compose de multiples mini-installations très différentes, chacune étant formée de pièces ramassées ça-et-là de par le monde ou fabriquées à partir d’idées et de prises de positions sur le monde tel qu’il va.

Témoin de l’acculturation et de l’hybridation du monde, il utilise son imaginaire pour évoquer la mondialisation des références et bien sûr mettre en avant les siennes. Un assembleur, un recycleur, un homme de la ville galopante qui laisse des traces dans l’espace public : il est tout à la fois et même plus ! Une exposition ouverte à toutes les interprétations et surtout à un questionnement sur la singularité d’une création artistique où les traces africaines sont omniprésentes.

Une exposition qui permet de lire autrement l’exposition de Nicolas Henry se tenant en même temps dans l’église Saint-Merry, où un certain sens de l’hubris n’est pas le seul point commun entre les deux artistes. [(…)->art182}


Si vous ne connaissez pas Pascale Marthine Tayou, vous avez pourtant côtoyer l’une de ses œuvres manifestes à la gare Saint-Lazare, au milieu de la salle des pas perdus : une immense bulle, en fait un filet, sur laquelle sont accrochés plus de 3 000 sacs poubelle, image d’un monde où le gaspillage est partout, mais qu’il transmue en montgolfière imaginaire piégée par la voûte de la gare accueillant désormais la lumière.

Pascale Marthine Tayou ressemble à un cueilleur, qui ramasse toutes sortes de tributs dans les multiples villes dans lesquelles il a exposé et qui vont servir pour les expos suivantes, en d’autres lieux, à d’autres fins. Parfois ce sont des objets isolés mais bien plus souvent ce sont des installations impressionnantes, le tout formant un immense bazar. Cet artiste qui fait partie de la première génération des artistes africains globalisés pousse devant lui, tel un chasse-neige, ce bazar qui s’amplifie d’année en année,

QUE VOIR ?

Au pavillon Paul Delouvrier, vous trouvez des installations foisonnantes, parfois mouvantes et bruissantes de chants d’oiseaux, de murmures, d’échos urbains…Mais aussi des masques, totems de "Poupées Pascale" en cristal où des formes africaines s’incarnent dans le raffinement du travail des maîtres verriers italiens ; "Les Troubadours", orchestre de tambours camerounais métamorphosés en saltimbanques unijambistes ; des cases de bois, tableaux, photographies…Loin d’être une œuvre de délire, l’ensemble semble puiser ses références dans les œuvres des grands maîtres jusqu’au registre pop.

Le thème de la ville est omniprésent, dès la première pièce « Home sweet home  ». Formée de cages à oiseau, de nichoirs et de spaghettis de papier amassés sur des troncs d’arbre, cette ville chaotique fait penser à ces villages de boat people, dont la mer se serait retirée ; ce qui fait encore tenir cette forme urbaine c’est la solidarité des maisons entre elles et en-dessous du sable. Et de tout cela surgissent des chants d’oiseau ! Une version de « sous les pavés de la mondialisation urbaine, la plage ».

Avec Diamond Scape, la cime de la ville est noire et faite de bandes magnétiques (cf. une grande œuvre de Mounir Fatmi faite du même matériau et qui dessinait un skyline de New York en train de se désagréger). Du ciel pendent des diamants noirs, objets de toutes les convoitises mondiales. La ville de Dark vador ?

« La danse des ventilateurs, le vent… » est étrangement poétique avec ses palles cabossées de toutes les couleurs. Une revisitation des mobiles de Calder, après un passage par les puces.

À l’extérieur, se trouve la fameuse « Colonne Pascale » qui est une référence à la colonne sans fin de Brancusi, mais est ici réalisée à partir de soupières émaillées. Cette œuvre étrange de 7 m de hauteur résonnait d’une autre signification lorsqu’elle avait été placée en 2011 au milieu de l’église Saint-Bonaventure de Lyon et que le prêtre Luc Forestier, commentait ainsi

« Ces casseroles empilées renvoient aux incertitudes actuelles sur la capacité des humains, et non de la Terre, à suffire à leur subsistance, tout en désignant le lieu même où s’actualise pour nous le relèvement de notre humanité. »

Il faut terminer sur une note plus cocasse, ces « Totems Pascale » faits en cristal à partir de modèles africains très priapiques. Le matériau n’est pas de la culture de ce continent mais de Venise ! Une œuvre d’un entre-deux-mondes, comme l’est le gargantuesque, Pascale Marthine Tayou.

DES INTENTIONS ?

"Mon intention est de célébrer l’inconnu, de montrer l’influence des objets rituels qui façonnent nos mœurs de tous les jours, une problématique visuelle sur les choses qui nous entourent, sur ces choses qui nous observent, et la manière dont nous observons les choses qui nous façonnent."
[…]
Le matériau, c’est tout ce que je trouve sur ma route et que je détourne en lui instillant une âme"
[…]
Nous sommes dans un état de composition, de rencontres d’idées. Ma religion, si j’en ai une, serait que toutes les cultures devraient se briser afin de produire continuellement de nouvelles cultures, de nouvelles civilisations, de nouvelles approches, car en tant qu’êtres vivants, nous sommes des mutants." (Pascale Marthine Tayou)

UN TITRE, DES SENS ?

Le titre de l’exposition, « Collection privée », reprend le titre de l’une des œuvres, faute de mieux, pour désigner cette hétérogénéité déstabilisante. On aurait pu l’appeler « Cabinet de curiosités » pour désigner ce que certains riches collectionneurs rassemblaient d’étrange durant leurs voyages, pour dire les spécificités des cultures des lieux où ils étaient passés. À plusieurs différences près :

 Les références à l’Afrique, fantasmée ou réelle, sont permanentes, mais il n’y a rien d’exotique. Ce n’est pas le fameux bureau d’André Breton !
 De la culture, tout en vient et y repart, mais il y a aussi du politique, de la référence au colonialisme, à la violence du monde contemporain.
 Le collectionneur est ici un producteur très cérébral et non plus un artiste-collecteur type surréaliste des années 20.
 Ce dont il nous rend témoin, ce n’est pas d’une culture spécifique locale mais d’une hybridation des cultures. Dépassé le métissage ! Du magma de la globalisation et de ses enjeux, il fait surgir de nouveaux objets, de nouveaux alliages de matériaux. Tout est objet de détournement.
 Ce que nous voyons n’est pas la culture des autres, mais l’imaginaire d’un artiste qui se déploie tel un rhizome.
 Les objets sont souvent conçus pour des espaces publics, pour provoquer le regard en amusant d’abord le visiteur, ou pour marquer un événement (cf. Intramoulins, Le Chemin Lumineux, actuellement à la grande manifestation de Lille ; Fantastic 3000).
 Les références à des objets de culture ou d’échanges mondialisés sont à fleur de matériaux. Certes, certains objets se parent du précieux, mais la plupart sont dans l’excès, dans l’hubris, comme l’est l’exposition, en fait.
 Si l’on trouve souvent dans les cabinets de curiosité des objets de rituel, si l’artiste n’affiche aucune religion ni même un paganisme cliché de l’Afrique, en fait de rituels il y en a à foison. L’artiste les invente et tout ce qu’il touche vise à transmuer les objets, à leur « donner une âme ».

Commenter « Collection privée » nécessiterait de réexaminer toutes les œuvres une à une, de les « décortiquer », de les traverser physiquement, de les prendre au premier sens prosaïque qui vient, puis de passer à des niveaux supérieurs. Et si vous avez assez de perspective, d’imaginer le ou les fils qui les unissent ! Mais tout en vous amusant, vous pourrez crouler sous de multiples sens possibles.

Hétérogénéité des matériaux, détournements, sons, odeurs, mouvements, bricolages hautement sophistiqués, ironie mordante sur le pouvoir, l’argent ou tendresse des regards sur l’enfance ; tout y passe, non pas comme dans un tambour de machine à laver, mais comme une suite de marées évocatrices qui charrient des idées, des dénonciations ou des jouissances.

Sans nul doute la force de cette œuvre permet de mettre en perspective l’œuvre de Nicolas Henry dans le bouillonnement de l’art contemporain. Les deux artistes ont une intelligence du monde totalement différente et passionnante. Lire en fin d’article sur Nicolas Henryla comparaison entre les deux démarches.

[(Voir les films de présentation de cette exposition et lire le livret avec plan de l’expo)]

:lien Video http://www.youtube.com/watch?v=ftkAB26R0qg
:lien Video : http://www.youtube.com/watch?v=Yl83bU1KVS0



du 3 octobre au 30 décembre 2012

au Parc de la Villette, Pavillon Paul Delouvrier
du mercredi au dimanche de 14h à 19h

Accès libre