Céleste Boursier-Mougenot a été l’un des quatre nommés par le jury du prestigieux prix Marcel Duchamp en 2010. Il fait partie de cette jeune génération française qui renouvelle les approches de l’art.
Auparavant, il s’était fait connaître par une œuvre très remarquée, un bac d’eau où des courants provoqués par une turbine faisaient s’entrechoquer des bols de porcelaine de tailles différentes, ce qui provoquait un étrange ballet scandé par des sons dérivés du Glockenspiel.
Il récidiva à la Biennale de Venise de 2011 avec des oiseaux qui, venant picorer sur des guitares électriques et sautant sur les cordes, interprétaient involontairement de curieux accords.
Ce musicien de formation, compositeur de la compagnie Pascal Rambert, s’amuse à détourner les objets et situations animales (ou humaines) pour explorer l’univers des sons. Il utilise ainsi l’incongru, le monde vivant, le mouvement des objets comme substitut à l’homme dans l’élaboration de partitions sonores d’un autre type, mais très contemporaines.
Des arts plastiques il passe directement aux arts sonores. Son imagination n’a pas de limites. Tout est subtil et onirique, support d’on ne sait très bien quelle fable.
Relais. Pour la Galerie Xippas, il a enfermé dans une pièce (vitrée et bien fermée !) une ruche et une colonie d’abeilles qui virevoltent en un grand ballet. À l’entrée de cette ruche, il a installé un micro qui enregistre les sons de la vibration des ailes, qui vont être ensuite traités et transmis plus loin dans la galerie. Ces sons qui assurent la cohérence de la colonie et que nous percevons généralement de manière confuse et inquiétante, sont ici l’objet d’une sorte de chorégraphie sonore dans une autre pièce de galerie. Le spectateur est alors placé au cœur du son modulé des abeilles, mais éloigné d’elles et bien en sécurité.
Les sons lui proviennent de haut-parleurs insérés dans cinq autres ruches carbonisées alignées comme à la parade avec une pierre par dessus. Une sorte de cimetière de ruches, sans abeilles, couronnées d’une grosse pierre, comme sur les tombeaux des justes, ou encore comme une rangée de menhirs d’un autre type. À la ruche vivante, répond une ruche morte, non pas sur le mode d’une vie après la mort, mais comme un fantôme de son, bien vivant. Et l’on se plaît à penser que la nuit, lorsque les abeilles se réfugient dans leurs cadres et s’endorment, les ruches noires s’endorment elles aussi. Le jour, l’œuvre revit !
L’abeille est porteuse d’une symbolique ancienne et très riche, son chant était ainsi assimilé au Moyen-Âge à une parcelle de l’étincelle divine. En jouant sur l’étrangeté des objets et des sons, l’artiste intrigue et ouvre à un autre chose relevant de la métaphore ou du mystère. Il nous met dans la position d’un initié, l’abeille étant d’ailleurs une figure de la francmaçonnerie.
Chorégraphie. Pour accéder à cette œuvre, l’artiste a produit une installation toute aussi initiatique qui, elle, joue avec une architecture spécifique de la galerie. En effet, elle est située au premier étage d’un immeuble que l’on atteint par un escalier rectiligne et sobrement dessiné. Sur les marches sont disposées les mêmes pierres que celles des ruches noires ; elles dessinent une sentier étroit, où le spectateur doit faire onduler son corps, pour monter (attention aux talons aiguilles…).
Ce n’est plus l’abeille qui exécute une chorégraphie, mais le spectateur qui ne sait pas ce qu’il va trouver au-dessus ! D’où le titre de l’œuvre. L’homme serait-il l’allégorie de l’abeille ?
U43. Enfin, Céleste Boursier-Mougenot a installé une dernière œuvre très étrange : un téléphone en bakélite noire, juché sur un socle étroit noir en cire d’abeille, l’analogie de forme avec la ruche carbonisée étant évidente. Le téléphone sonne parfois. En effet, branché sur Internet et l’univers de Google, il est déclenché par le mot « fantôme ».
"Ce signal sonore imprévu d’origine incertaine détourne l’objet de sa fonction initiale de transmission orale et évoque un réseau de communication virtuelle et de surveillance, ainsi que le flux continu des informations qui nous traversent", dit François Quintin, commissaire.
Dans cette exposition étrange, tout se tient : le son, la musique, le signal, la ruche vivante, la ruche carbonisée, la pierre, l’abeille, l’homme, le vieux téléphone. Tout est bien présent : la statique des objets, les chorégraphies de l’animal et de l’homme, la vibration des sons.
L’œuvre en trois parties est plus complexe, plus conceptuelle que les précédentes et les sons plus sourds ou subtils. Mais si l’on veut bien s’arrêter quelques instants et répondre à l’invitation poétique de l’artiste d‘entrer dans l’œuvre, c’est magique !
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