Une posture d’artiste
Le regard de l’artiste met en avant deux ensembles de valeurs : le courage face à la maladie ; l’attention et le respect de l’autre en situation d’humiliation.
Les deux séries sont en effet fondamentalement différentes et portent sur des réalités connues, dans des environnements précis : le lieu de la réparation du corps, un hôpital, le seuil d’un lieu où s’exprime le spirituel, une église.
Et pourtant certains pourront y lire des points communs : la dépendance de l’individu à ce qui lui permet de vivre (un sang renouvelé / une aumône permettant de se nourrir) ; l’attente et la répétition de ces activités qui sont intégrées à la vie (plusieurs fois par semaine / quotidiennement) ; la solitude de celui qui les accomplit ; la fragilité et la dignité de l’homme ; l’absence du face-à-face sujet-spectateur (hormis une forme d’autoportrait voilé de l’artiste).
Or les contextes sont très différents : l’hôpital et la relation moderne homme-machine codée par des protocoles très précis / le péristyle de l’église de pierre, un cadre immuable pour l’aumône, une pratique qui occupe une place centrale dans les textes de la plupart des religions.
Les techniques et les lieux d’exposition renforcent ces différences : un drap d’hôpital comme écran où sont projetés ces treize photos au son des machines qui pulsent comme un cœur ; des tirages sans cadre déposés dans une chapelle, en-dessous de grandes fresques du XIXe.
L’essentiel est peut-être ailleurs, dans l’expérience intime de la mémoire que le spectateur fait en regardant ces œuvres. Les titres lui ouvrent larges les portes : Mauvais sang relève du registre de l’inquiétude humaine, « se faire du mauvais sang ». Errance est ce que tout homme vit personnellement, intérieurement ou physiquement, à l’occasion de certains évènements personnels.
[/Voir et Dire/]
Mauvais sang
Humain - Post Humain
Des hommes machines, voici, ce que nous montrent les photographies d’Anne Franski ; d’une grande richesse formelle, elles nous font voir des êtres aux visages cachés, reliés comme par un cordon ombilical à une machine impénétrable, formant des couples étranges. Si l’on regarde attentivement ces images qui tout d’abord nous révulsent, on voit des détails, une main gonflée, un bras, une chevelure ; ils nous dévoilent l’humanité de ces corps souffrants ne tenant à la vie que grâce à cette pompe qui lave leur MAUVAIS SANG.
Si Anne Franski peut nous montrer l’humanité de ces êtres malades, c’est qu’elle nous ne nous les montre pas en voyeur, elle est une d’entre eux, une des photographies est un autoportrait, ce lieu est celui où elle va trois jours par semaine, ce tuyau, elle y est attachée pendant plusieurs heures. Son regard de photographe est à la fois extérieur, glacé, décrivant scientifiquement ces séances de dialyse, et, ressenti de l’intérieur de son être ; dans les séries réalisées précédemment par Anne Franski "Les Familles à la plage", "Pièces anatomiques, réflexions sur le corps", elle met toujours en relief l’humanité de ses modèles, son regard apporte une qualité toute spéciale à ces images ; photographe de l’intime, elle nous montre, dans cette très belle suite dramatique, une part de sa propre vie.
[/Christian Boltanski. (In catalogue à compte d’auteur, « Mauvais sang », s.d., s.l.)/]
Les photos de dialyse ont été publiées pour la première fois dans la revue spécialisée "Rein Echo"
Errance
Ils sont là contre le mur, généralement celui de la "Chapelle miraculeuse" à Paris. Pas un regard ne va à eux, l’individu qui passe ne veut pas les voir, c’est un refus catégorique. Il y a une vraie antipathie pour les Roms, ils exaspèrent. Ces Roms ne sont pas des nomades, ils veulent s’établir. C’est au XIVe siècle qu’ils ont été obligés de partir d’Inde vers l’Europe. Ils sont alors devenus illégaux, chassés d’un pays vers l’autre.
Il n’y a pas dans mon travail de parti pris, je vois de belles personnes, généralement dans un rayon de soleil contre le mur qui les soutient. Je compatis à leur courage, à l’humiliation de mendier et je prends ces beaux visages pour leur donner de l’importance en me disant qu’il y aura une trace de leur errance…
[/Anne Franski/]
Remerciements
Ce travail très difficile n’aurait jamais eu lieu sans la persévérance de Jean-Elie, qui, un après midi au bord du canal Saint-Martin, m’a proposé de faire un travail photographique sur mes séances de dialyse. Luc m’a chaudement recommandé à "Voir et Dire" de Saint-Merry, ce qui a abouti à cette exposition.
Grand merci aux trois frères Boltanski.
[/Anne Franski/]