L’œuvre et ses références
La vitrine de la Galerie Saint Séverin accueille des « pièges à rêves » formés de cadres à broder en osier, au centre desquels se trouvent un papillon (comme dans les vanités) et des perles chatoyantes comme des étoiles.
En dessous, un faon empaillé, planté de clous qui dessinent la constellation du faon et supportent de grandes chaînes de perles, comme si la bête était prise dans un filet, avant d’aller au sacrifice : une interprétation de l’image sacrificielle de l’agneau pascal.
La complexité de l’univers de l’artiste renvoie à la fois au chamanisme et au christianisme , et fait référence à la voûte céleste, cet espace fascinant et qui a sous-tendu bien des discours sur le sacré. L’artiste puise ainsi dans la force symbolique des éléments naturels qui appartiennent aux règnes animal, végétal, minéral. Il traduit formellement ses associations mentales en combinaisons d’objets, qui a leur tour amplifient ses intuitions.
Voici comment l’artiste parle de son univers de formes :
Mes œuvres découlent d’un travail sur les grottes de Lascaux et d’une étude de Chantal Jègues-Wolkiewiez, une anthropologue assez critiquée. Elle met en évidence que, dans la salle des Taureaux de la grotte de Lascaux, où le soleil entre lors du solstice d’été, la place de chaque peinture zoomorphe correspond à celle d’une étoile sur la carte de la voûte céleste. Elle en conclut donc que les Solutréens devaient y tenir un culte solaire. Mon travail sur les animaux-constellations s’inspire de ces théories. Les clous plantés dans le corps de ces animaux empaillés et les fils et broderies qui les relient viennent amplifier le volume du corps et la frontière de la peau devient poreuse.
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Je me suis mis à travailler sur des insectes, en tentant d’associer le sauvage (en référence à mon expérience en Guyane) au domestique (en référence à ma vie en métropole). D’une part grâce à des assemblages entre des corps d’insectes et des ailes (de papillons, d’oiseaux…), d’autre part grâce à des ornementations (objets artisanaux des peuples amérindiens, parures de carnaval ou ornements médiévaux). Deux pratiques que j’ai ensuite réunies pour amplifier la force de l’imaginaire.
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Ce qui m’intéresse dans la religion, notamment dans le chamanisme ou l’animisme, c’est toute la capacité qu’a le divin à se manifester dans les esprits animaux.
Interprétation de l’étrange
"La rRsée du crépuscule" est la rencontre des mondes diurnes et nocturnes. Elle évoque la fin et le renouveau, dans un espace d’exposition justement ouvert jour et nuit. À l’occasion de son exposition à la Galerie Saint-Séverin, le jeune artiste français Julien Salaud propose deux œuvres inédites, images du ciel et de la terre, mettant en valeur le rôle de l’animal dans nos cultures.
Au sol, la « Constellation du faon » représente un faon allongé, paré d’un entrelacs de perles. Une métaphore de l’Agnus Dei, victime sacrificielle destinée à expier les péchés du monde. Du plafond, apparaît un ensemble de « Pièges à rêves » à base de papillons : à la fois rempart contre les cauchemars et évocation de l’âme débarrassée de son enveloppe charnelle, devenue bienfaitrice et bienheureuse.
Ces deux animaux sont également des figures récurrentes dans les natures mortes et ancrent la pratique de l’artiste dans une histoire de l’art séculaire. Son travail touche, entre autres, à l’ornementation, la broderie, le travail des perles ou encore l’enluminure : des activités rares dans la scène artistique actuelle, qui rendent ses œuvres profondes d’autant plus étranges et précieuses.
Ainsi que l’artiste le dit lui-même, ses productions artistiques « sont autant d’irruptions de la conscience collective », lui permettant de participer « à l’équilibre entre les représentations de Vie et de Mort. »
Daria de Beauvais. Commissaire de l’exposition