Une mise en dessin de réflexions acerbes sur les pouvoirs.
Un atlas, un lieu, des élections présidentielles . Son style expressionniste le rend immédiatement reconnaissable. Régulièrement, il rassemble ses eaux-fortes ou lithographies dans de vastes albums qui rendent compte de sa réflexion sur l’état de la Russie et de l’Occident. En 1999, Westland (Terrain vague), en 2003, Metropolis, et en 2011, Vulcanus. Pour accentuer l’esprit de ses œuvres, l’artiste ajoute un premier sous-titre « Atlas », se plaçant comme une sorte de géographe universel décrivant le monde, puis un second sous-titre : « Satires dans tous les sens », pour mieux marquer son projet et en souligner le style. Soixante et onze lithographies rehaussées de couleurs et annotées d’une phrase, ici en russe ou en anglais, comme le font certains dessinateurs engagés. La commissaire a ponctué l’exposition d’une dizaine de tableaux, notamment six grands formats explosant de couleurs, sur des thèmes proches, permettant de percevoir tout le talent de cet artiste.
Le musée de Montparnasse, blotti au fond d’une cour d’ateliers d’artistes, est ainsi rempli par une même pensée. Le lieu, petit par la taille, suscite un fantasme de Paris à la Amélie Poulain, celui du milieu artistique parisien des années 20-50 ; mais il contraste avec la violence des propos et l’horizon de l’artiste.
L’exposition a été organisée à dessein durant la campagne présidentielle car Maxim Kantor souhaitait apporter sa réflexion sur la tragédie de l’exercice du pouvoir, non pas dans le style des caricatures de nos journaux, mais en plongeant dans l’histoire. Il s’agit souvent de l’histoire russe, mais dans la mesure où l’artiste se pense comme Européen, croit en l’Europe et craint pour elle, les lithographies englobent ce qui semble le plus important à un humaniste : dénoncer les totalitarismes, soviétique en premier lieu, puis post-soviétique avec la tyrannie des marchés, exalter la place du peuple et de l’individu ; il parle aussi de sa position dans le champ de l’art et évoque des questions spirituelles. Cette œuvre brasse large, mais le style et, surtout, le souffle unifient l’ensemble.
La satire, un regard sur l’histoire et le pouvoir. Peindre en russe, signifie écrire la vie. Maxim Kantor, lui, pense la vie non pas sur un mode pessimiste, au vu des tragédies du XXe siècle, mais comme une révolution à faire et refaire, une démocratie fragilisée en permanence par des modes divers de l’exercice du pouvoir.
Maxim Kantor n’est pas un historien, et son Churchill apparaît inexact au spécialiste ; il ne commente pas l’histoire, mais il la médite sur un mode grinçant et sarcastique. Il la revisite depuis la mort d’Alexandre II en 1881 jusqu’à Poutine, avec une spécificité que l’on découvre progressivement. Il ne fait pas de la peinture d’histoire, critique ou caricaturale, qui prendrait le contrepied de celle du XIXe, nationaliste ou officielle, ou encore de celle des réalismes totalitaires du XXe.
C’est un homme de son temps, un peintre dans l’histoire. Nourri de philosophie critique et pétri d’humanisme, il est partie prenante de cette histoire. Il évoque les espoirs collectifs déçus et met de la distance par le rire. Il traque l’authenticité des grandes figures sans concession et celle de l’homme ordinaire avec compassion.
Maxim Kantor ne dissocie pas les évènements de la grande histoire politique, ceux qui ont infléchi le cours de l’humanité par les alliances, les accords et leurs violations, de la micro histoire. Ainsi il peint Fanny Kaplan la femme qui a tenté de tuer Lénine, sous les traits d’une nouvelle Charlotte Corday ; et si elle avait réussi ? Il peint enfin la petite histoire, celle de l’individu ou de lui-même, en famille ou perdu dans la foule.
Il ne fait pas de l’histoire sociale mais, dans le même dessin, il montre comment les petits participent de cette histoire, subissent les effets des politiques meurtrières des grands ou sont les témoins de ce que les leaders ou tyrans ont engendré.
La première litho et l’avant-dernière en sont de bonnes illustrations : l’une est son autoportrait face à deux portraits qu’il vient de dessiner : Lénine et Poutine ; l’autre représente sa famille et tous les proches qui comptent, comme image de l’humanité toute entière. Quant à la dernière litho, c’est un chardon, signe de la résistance et de la vie…Toute son œuvre est centrée sur l’homme en tant qu’il exerce ou subit un pouvoir politique, économique ou encore culturel.
Ainsi « Mort d’un tyran » replace la mort de Staline dans l’espace de Gulliver : un couloir d’un appartement communautaire, le lieu des conflits du quotidien pour tant de russes et pendant si longtemps, de minuscules hommes entrouvrant les portes pour voir. Par son trait de crayon, il semble vouloir nommer chacun, pour qu’il existe. Dans la phrase qui accompagne chaque litho, il met le projecteur sur l’état moral du ou des protagonistes principaux, souvent sur leur noirceur et leur cynisme tragique.
L’humour des situations, les associations d’images ou de mythes, les raccourcis visuels et les situations cocasses sont autant d’outils de l’esprit pour interpréter et approcher la vérité de ceux qu’ils dessinent.
La taupe et l’histoire. Pour conduire sa réflexion visuelle, Maxim Kantor met en scène la taupe en tant que symbole de toutes ces puissances aveugles qui travaillent avec célérité le monde et les racines de l’histoire, dans des labyrinthes invisibles.
Et de même que des taupinières apparaissent brusquement dans la nature, les animaux de cette exposition surgissent de litho en litho et s’invitent au spectacle de la tragédie. En ayant parfois des traits dionysiaques ou en dansant, ils accompagnent l’explosion du monde de leurs monticules à la forme de volcan. L’artiste a puisé cette métaphore dans Hamlet qui part pour venger son père, dans Hegel qui l’utilise pour parler des formes inconscientes de l’histoire, dans Marx qui fait référence à Hegel - sa connaissance de la culture du matérialisme marxiste est grande - mais aussi comme une menace dans les contes d’Andersen, sans oublier les « souterrains » de Dostoïevski.
Vulcanus fait référence bien sûr à Vulcain, le dieu des enfers, le maître du feu qui martèle les outils de la guerre. Par l’allégorie, Maxim Kantor descend au tréfonds du mal et pointe les mécanismes inconscients des leaders du monde ou des marchés.
Cette utilisation de la taupe et de la mythologie attestent la capacité de Maxim Kantor à creuser le sens, à jeter à notre regard une terre de souffrance ou à nous rappeler ces multiples mécanismes qui détraquent le monde ; quels que soient les temps, ils sont le fait d’hommes ivres de pouvoir. L’artiste est inquiet sur le sort de notre civilisation européenne, sa carte de l’Union représente d’ailleurs une taupe difforme ou une sorte d’Alien hideux.
La bête est malade. Pour accentuer son propos, il fait appel au mythe de l’effondrement de l’Atlantide que Platon avait déjà utilisé pour dénoncer les divisions des Grecs et les risques qu’ils faisaient courir à la démocratie athénienne. Dans cette litho, il utilise une forme, la tour, mobilisant explicitement un autre mythe : Babel, qui connaît un sort analogue. Or, sur les chemins de ronde, les canons se mêlent aux grues et les ruines sont bien présentes.
Une peinture qui se défend d’être politique. Il refuse qu’on dise que son art est politique, peut-être par crainte d’être catalogué comme l’éternel dissident. Trente ans de soviétisme l’ont marqué à vif.
Il ne se fait pas spécialiste de l’actuelle Russie, quelques dessins percutants sur Poutine lui suffisent ! Par rapport aux Atlas précédents, ses objets de méditation ont glissé, Vulcanus passant du XIXe au XXIe siècle, du monde global à Venise, du cocasse à la monstruosité. L’artiste a la position des moralistes du XVIIe, celle de La Bruyère ou de La Rochefoucauld traitant du politique, dessinant les pensées les plus sombres ou les plus absurdes, mais aussi les conquêtes difficiles de la liberté.
Le tableau d’ouverture fixe l’ambiance de ce chamboule-tout de foire. Il place les visages de seize leaders par strates du temps, de Lénine à Poutine. La dernière rangée, la plus près du sol, aligne ainsi Bush, Sarkozy, Merkel et Poutine. La caricature les rend équivalents et leur visage nous plonge avec allégresse dans l’univers des Pieds Nickelés !
Il faut être un fin connaisseur de l’histoire de la Russie et des interrelations entre ses figures intellectuelles pour comprendre toutes ces lithos. Pourtant chacun peut entrevoir le sens du regard de l’artiste. Maxim Kantor est un maître du dessin et le mode expressionniste est adapté à ce type de propos, comme il l’était en 1917 pour dénoncer la « grande boucherie ».
Maxim Kantor et ses racines
Maxime Kantor, artiste russe mais qui s’ancre en Europe, fait partie de ces grandes figures internationales qui ne sont pas connues du public français, pour des raisons les plus diverses : en dehors des modes et du marché construits par les galeristes, faibles connaissances de la part des spécialistes de l’art et des commissaires, voire même oublié des échanges entre musées (cf. l’exposition à Paris les artistes russes contemporains en 2011), etc. Esprit indépendant, mais exposé ailleurs dans de très grands musées, dont la Galerie Tretiakov, le « Louvre de Moscou », il est principalement promu par des fondations et des collectionneurs éclairés ainsi que par des réseaux d’estime les plus divers, dans des pays européens demeurés sensibles à l’expressionnisme en peinture, celui des années 1900-1920 : les pays anglo-saxons, les pays du Nord, et principalement l’Allemagne, Berlin étant l’un des lieux de création de l’artiste et de diffusion de ses œuvres.
Dissidence et position esthétique. Né en 1957 et ayant donc vécu ses trente premières années sous le système soviétique, avec un père intellectuel dissident lié à l’art, auquel il voue toujours une admiration dont la plupart de ses tableaux témoigne, il fit partie de l’underground moscovite et créa un groupe de peintres, dans les années 80, la Maison rouge. Mais il refusa de participer au courant « Sot art », tout aussi critique et politique, pour des raisons de posture esthétique, donc philosophique. Il n’a cessé d’affirmer que cet art de la dénonciation facile et complaisante des apparatchiks est demeuré un instrument idéologique. Maxim Kantor rejetait les approches conceptuelles des héritiers de Marcel Duchamp et des avant-gardes russes abstraites ou du suprématisme, pour demeurer dans la peinture, la gravure, le dessin figuratif. Il tint à distance l’abstraction, l’installation, la photo, la vidéo ou la performance. Ses talents et sa vision critique passaient par les médium traditionnels.
Deux lithos sont particulièrement virulentes : dans l’une, l’art contemporain est présenté comme une danseuse type Folies Bergère face à des collectionneurs capitalistes ivres, dans un spectacle pitoyable. Dans l’autre, toujours sur le mode du spectacle, les intellectuels occidentaux (on reconnaît Jean-Paul Sartre) sont groupés derrière l’un d’entre eux portant comme chapeau l’urinoir de Duchamp ; le rideau de théâtre va bientôt se refermer sur eux. Le jugement de Maxim Kantor, lui qui a été le représentant de la Russie à la Biennale de Venise en 1997, est sans appel. Il revendique un art de la profondeur humaine et non du factice ou de la critique facile, de la vanité largement plébiscitée par le marché. C’est un artisan produisant seul, un observateur révolté et non un chef d’entreprise artistique comme un Jeff Koons ou un Damien Hirst, même si les œuvres de ces derniers parlent avec justesse mais cynisme de la société post-moderne globalisée en quête de sens.
Héroïsme et figure du père. Dans le terreau intellectuel familial, il développa une approche idéaliste voire romantique du sens de la liberté à conquérir ou à construire. Bercé dans une vaste culture, aux côtés d’un père produisant sa propre œuvre philosophique, ce fut une carte postale de Daumier, le caricaturiste de la Révolution de 1848, représentant un père et son fils sur une barricade, qui semble avoir déclenché ce goût de peindre et de se battre pour des idées. Se situant aussi dans le sillage de Goya, Maxim Kantor manifeste de l’héroïsme dans son style et sa dextérité à graver pour réaliser des eaux-fortes le sert ; mais il aime aborder l’humilité et la dignité des humbles face aux pouvoirs. Ce sont eux les héros.
La relation du père au fils court tout au long de l’œuvre. Par la farce et le grotesque, Maxim Kantor rappelle Rabelais, les romans de Gargantua et de son fils Pantagruel qui sont des plaidoyers de la culture humaniste et critiques du Moyen-Âge. Il se veut philosophe exigeant et toujours sur la brèche, ne cédant en rien aux sirènes du pouvoir. Il ne renie pas ses origines russes, mais il s’éloigne progressivement du « Nouvel empire » qu’il a pourfendu dès 1997 et dénonce les pires traits de bien d’autres idéologies.
« Job » a le visage de l’un de ses amis, mais la figure du père est le sujet de cette litho dont la force joue sur plusieurs registres : l’homme a connu la malédiction, celle de la dissidence. Appuyé sur sa béquille, il demeure dans la dignité et accepte sa vie, à la veille de sa mort.
La justification du risible par le combat sur soi. Le risible chez Maxim Kantor n’a rien de superficiel et facile, ni de gratuitement méchant. Il est lié à une profonde introspection personnelle et, à ce titre, l’artiste n’est pas un caricaturiste de journal. Sa conquête et son combat se portent tout autant sur des idées que sur son être profond.
« Pour être en mesure de s’exprimer, et notamment d’exprimer sa colère et sa raillerie, il est indispensable de s’appartenir à soi-même. […]C’est une activité extraordinairement sérieuse que la découverte de soi, et si par la suite une réplique sarcastique est prononcée, elle n’aura de poids que dans le cas où ton propre être est suffisamment sérieux. […] Ce qui est risible, n’est pas risible en soi, mais seulement parce qu’il nous révèle une facette inattendue de ce qui est très sérieux, voire tragique. » (Maxim Kantor, Catalogue Vulcanus)
Un christianisme en creux. Depuis les années 2000, Maxim Kantor introduit dans sa peinture des sujets à connotation religieuse, directement ou indirectement, par des signes, de minuscules descentes de croix insérées dans des tableaux sur la folie du pouvoir. Il fait aussi référence dans ses titres aux textes bibliques : Job, Babel, etc. Il a une compassion pour l’homme et en nomme la source de façon très personnelle. On peut ainsi passer à côté de son vocabulaire symbolique sans le savoir. Les chiens errants de ses tableaux sont les hommes perdus en quête de sens, et le petit tableau d’un arbre isolé et cassé, qui peut sembler bien décalé dans l’exposition Vulcanus, est le symbole de la vie résurgente, une figure du Christ. Cette figure de l’arbre court dans les œuvres de la dernière décennie. Dans des tableaux de 2003, il montrait le pape Jean-Paul II, perdu et pleurant devant des journaux froissés évoquant l’Irak : un style très différent des papes hurlant de Francis Bacon. Dans le catalogue Vulcanus, il affirme discrètement son christianisme.
Maxim Kantor et l’expressionnisme
L’expressionisme en 1905 : un mouvement éphémère.
L’expressionnisme n’a connu qu’une très brève vie dans l’histoire de l’art et dans celle des avant-gardes. À l’origine, « Le cri » d’Édouard Munch (1893) introduisit l’angoisse et le malaise de civilisation, tandis que Vincent Van Gogh adopta un nouveau style où l’affirmation de la subjectivité du peintre et des « terribles passions humaines » passait par des traits ondulants et des couleurs vives. Au même moment, l’Allemagne connaissait une longue période de croissance et de conquête, l’immigration industrielle faisait exploser Berlin qui devenait le lieu du débat sur le prolétariat. Or l’art alors produit correspondait aux goûts d’une bourgeoisie dominatrice et sûre d’elle-même, à un ordre social pesant et irrespirable pour de jeunes artistes qui voulaient rompre avec l’impressionnisme français dominant internationalement et aussi avec un art marqué par l’Empereur. La pensée de Nietzsche bouleversait les esprits en filigrane et plaidait pour une transmutation des valeurs. En conséquences, une nouvelle génération s’organisa pour transformer le monde, dans un désir d’apocalypse et de régénération ; elle rêvait de détruire le confort bourgeois, de ramener le réel et de l’autopsier.
En 1906 à Dresde, Kirchner créa avec Pechstein et d’autres une association, Die Brücke, où les artistes travaillaient et vivaient ensemble, unis par un même sentiment de révolte et nourris de la découverte des arts primitifs. Renouer avec la nature élémentaire, accéder à la vérité intérieure et faire surgir l’émotion s’accompagnaient d’une valorisation de la figure du sauvage. En 1911, à Münich, un autre groupe, avec Kandinsky, Marc et Jawlensky, concrétisait un même désir intérieur, dans des formes pourtant différentes : « l’œuvre d’art, c’est l’esprit qui parle et se manifeste à travers la forme. » Der Sturm fut la revue qui les accueillit. Tout ce monde hétéroclite, exprimant une vive subjectivité, avançait avec deux principes : l’opposition à la copie du réel, l’irrespect dans les formes d’expression. Mais, dès 1916, alors qu’on parlait d’eux, le déclin s’opéra sous le coup de l’échec de la révolution allemande, mais aussi de la mort de nombreux artistes durant la grande Guerre. À partir du milieu des années 20, le mouvement laissa la place à d’autres courants. L’expressionnisme trouva quelques échos dans l’Europe centrale et du Nord, ainsi qu’en Belgique, la terre de James Ensor.
Maxim Kantor, un expressionnisme humaniste. Dans son esthétique, Maxim Kantor a adopté la vigueur, la liberté et les outrances de ce courant. La dissidence le mettait dans une attitude formelle assez proche de contestation non pas d’une pesanteur, mais d’une tyrannie bien réelle. Sa posture était avant tout la résistance : « lutter pour la liberté de l’individu face à un collectif impersonnel. « La peinture est sa parole visuelle pour ouvrir « une fine brèche où transparaît l’espoir. » (Éric Hobsbawm). Chez lui, il n’y a pas d’utopie comme chez les premiers expressionnistes, car l’artiste est ici avant tout un scrutateur de ce qui se passe en Russie, puis dans le monde, et il le fait au nom de valeurs morales anciennes qui sont, selon lui, les seules à pouvoir tenir face au tragique de l’existence, à rendre compte de la souffrance de l’homme et à lui redonner la dignité. Il n’est donc pas dans l’esprit des premiers expressionnistes, ni appel à de nouvelles valeurs ni retour à un état paradisiaque que la découverte des terres d’Océanie pouvait laisser espérer.
Si l’Apocalypse était désirée par ses lointains prédécesseurs, qui espéraient tout du nettoyage des esprits par la guerre, Maxim Kantor, lui, a donné une autre interprétations de ses quatre cavaliers : à leur tête, il a dessiné Poutine chevauchant les miliciens de l’antiterrorisme …
Il est sans nul doute expressionniste, en dépit des différences avec ses nombreux aînés. En voyant les seize têtes de « Politiciens » (2011), on songe au tableau de Victor Brauner, « L’étrange Cas de Monsieur K » (1934) qui appartenait à la collection d’André Breton. Ses dessins railleurs et violents produisent les mêmes effets que ceux sur la guerre de Georges Grosz, Max Beckmann et Otto Dix, avant que ce dernier n’adopte la froideur glaciale de la nouvelle objectivité.
Maxim Kantor est un veilleur et non un prophète : tout est déjà là, mais la nature de l’homme et les idéologies qu’on lui impose le font dérailler. Et que sont-elles réellement, ces forces sociales et politiques que rejette la taupe ? La litho 41 donne une réponse : elle montre ensemble l’épouvantail du capitalisme et le spectre du communisme dans un champ où ce qui est vrai, ce sont l’herbe et deux arbres…
Vulcanus dans la trajectoire esthétique de Maxim Kantor. L’exposition Vulcanus ne représente qu’une petite partie de la richesse de ses modalités d’expression ; elle est dominée par le genre de la satire et le médium de la lithographie. L’album dont il montre les planches marque une phase de sa réflexion dans la dernière décennie, probablement sans la clore. Les quelques tableaux, qui font respirer la charge dénonciatrice des dessins, rassemblent des manières diverses de s’exprimer par une peinture vive et ardente ; ils ont formellement évolué en trente ans.
Il faut dépasser la forme et les couleurs adoptées par Maxim Kantor et saisir que sa démarche est faite de constantes ; les principes traditionnels qui le guident, comme il aime parfois à le rappeler, sont ceux de saint Thomas d’Aquin qui théorisa les quatre ordres de l’art : rendre compte de la réalité, utiliser l’allégorie, affirmer le symbolique et ce qu’on doit croire, donner le sens profond - la visée théologique selon ce penseur chrétien. Les critères de son langage de résistance sont restés les mêmes.
Aussi ne défend-il pas un régime nouveau de l’esthétique et demeure-t-il dans les techniques traditionnelles, peinture, eau-forte, lithographie. Il s’inscrit dans l’héritage des grands peintres du passé : Rembrandt, Breughel, Goya, Daumier, Van Gogh et parfois même les icônes. C’est un humaniste plus qu’un héritier des Lumières qui regarde tout et notamment le mal pour en faire du beau et non de l’harmonieux.
Sa Renaissance est celle des pays du Nord, où sont présents les objets et les hommes du quotidien et non celle de la Renaissance italienne et de l’intemporalité. La dissonance des couleurs et des formes, la provocation sont au service d’un contenu, non d’un message, et visent un public. Maxim Kantor, l’Occidental, est fondamentalement imprégné de la culture et de l’âme russes, c’est un veilleur de l’urgence dont le regard se fait de plus en plus méditatif du fait de sa nouvelle implantation, non plus en ville, mais près de la nature, dans l’ l’île de Ré. Là, il renouvelle sa palette et son champ symbolique.
[/Michel M./]
[(Lire le remarquable catalogue de la commissaire Christina Burrus, où les lithos sont magnifiquement reproduites (22€).)]
[(Les articles de ce site vous intéressent et vous désirez recevoir la lettre mensuelle de Voir et Dire. Rien de plus simple. Inscrivez-vous ("Gardez l’œil ouvert"- colonne de gauche) en mettant simplement votre adresse mail ou encore envoyez-nous un mail sur voiretdire.net@gmail.com)]