Cette exposition est différente de toutes les autres qui évoquent comment les mathématiques ou la physique ont inspiré des œuvres d’art ou des artistes, par exemple Paul Klee. En effet elle choisit de laisser la parole aux mathématiciens qui dévoilent l’intime de leur pensée, leur fascination et leur jouissance, pourrait-on dire, pour une pensée abstraite qu’ils construisent.
Ensuite, les artistes mettent en scène cette pensée. Chacun est dans son style, son médium et sa fonction. C’est là où réside le miracle de cette exposition. Elle n’est pas un dialogue et ne fait pas dans le genre pédagogique, c’est bien plus un continent qu’il nous est proposé de visiter.
En effet, artistes et mathématiciens sont avant tout témoins d’eux-mêmes, dans cette sorte d’espace où tout est différent de la réalité, mais si proche. Ils ne cessent de lancer des ponts entre eux, pour que nous puissions passer et entrer dans la magie de leur création.
« Un dépaysement soudain » s’aventure ainsi dans ce qui leur est commun : créer.
Il suffit de voir à l’aide de deux vidéos quelle admiration ils portent sur le travail de l’autre. Et leurs regards s’entremêlent, comme semble l’indiquer cette splendide construction avec les noms des uns et des autres.
C’est ainsi que Jean Michel Alberola a réussi une vibrante vidéo sur la main du jeune prodige français, Cédric Villani. En déplaçant sa caméra au même rythme que celle du mathématicien faisant une démonstration difficilement compréhensible à la craie sur un tableau noir, il fait de cette main le danseur d’une étrange chorégraphie, avec crissement et poussière blanche !
C’est ensuite qu’il parle de sa présence au mathématicien.
Visionner Jean Michel Alberola
De son côté, Cédric Villani parle de sa vision de l’artiste.
Visionner Cédric Villani
Deux trajectoires de pensée et pourtant la même recherche de l’essentiel et le même souci de l’élégance et de la beauté du geste. Nous palpons les rapports entre l’esthétique et les mathématiques, entre l’utile et la beauté.
Un moment intense de l’exposition survient lorsque sur un immense écran, Raymond Depardon projette sept monologues de mathématiciens, parlant simplement de ce qui fait le fond d’eux-mêmes, de leur recherche. On touche alors à l’identité profonde ces grands esprits de tous âges.
Le grand écran renforce l’émotion : leur visage de 2 mètres de haut, celui des géants donc, est face à celui du petit spectateurs assis. On ne vous a jamais raconté de telles histoires ! Après avoir si bien parlé dans d’autres films du monde paysan en voie de disparition, le photographe vidéaste nous introduit à un autre, toujours très vivant, qui nous échappe généralement, mais qui ici se fait proche.
Il est bien souvent question d’histoire dans cette exposition ; ainsi dans l’intérieur d’une sculpture en forme de zéro, il nous est présenté des ouvrages fondamentaux écrits depuis plus de deux mille ans, qui sont autant d’intuitions géniales de ces savants qui ont transformé la pensée de leur temps, semer de l’universel pour les autres savants suivants. David Lynch excelle dans cette mise en scène.
Et si vous voulez savoir pourquoi un oiseau vole, cela tient en une courte formule, mais cela ne gâche en rien le plaisir de le voir dans le ciel !
Il n’y a pas de volonté démiurgique ou matérialiste dans ces approches mathématiques, mais une sorte de jeu à rendre compte de merveilles (les taches d’un guépard) et de soulever le voile des mystères de la nature.
À ne pas manquer, le ballet de petits robots de l’INRIA qui s’apprennent mutuellement lors de votre passage et qui se saluent lorsqu’ils sont d’accord.
Tout est drôle, car tout est léger, coloré et sérieux sans asséner.
On en sort avec une âme d’enfant, non pas celle qui s’épuisait à résoudre des problèmes de train ou de robinet, mais celle du joueur et du découvreur, celle qui s’est approprié un éclat de pensée.