Chez Mélanie Delattre-Vogt, les dessins commencent souvent par une lecture. Ici, c’est « Vous et votre grossesse », Larousse, 1994. Cette inspiration, mais aussi l’expérience de la femme chez son gynécologue, se trouvent à l’origine de trois dessins qui ont été placés sous la forme classique du triptyque religieux. Ces dessins sont très petits et nécessitent un surcroît d’attention.
Différentes scènes s’y entrelacent, reprenant une iconographie de la grossesse et du sein que l’on trouve dans toute l’histoire de l’art, mêlant très tôt ce qui est nourricier à l’érotisme.
L’intérêt de cette œuvre tient à ce qu’elle évoque immédiatement à la fois les veloutés bleus des manteaux de la Vierge (il y a une pointe de bleu dans l’un des dessins), mais aussi l’anatomie du désir dans les dessins et poupées de Hans Bellmer, pour qui ce désir a quelque chose de monstrueux. Les êtres de Mélanie Delattre-Vogt sont ainsi sans tête ou ressemblent à d’étranges chimères.
Mais la question de fond se trouve ailleurs.
« Sur une chaise, asseyez-vous à califourchon, posez les bras sur le dossier, puis posez la tête : votre dos s’arrondit. Si vous préférez, installez-vous par terre, un coussin sous les fesses, qui seront surélevées ».
Ces indications d’exercices de relaxation prénatale, mystérieuses hors de leur contexte, forment le lien qui réunit les trois dessins exposés, sous la forme d’une phrase directement écrite au sol par l’artiste, mais lisible essentiellement par les dessins eux-mêmes.
Pour un homme, cela apparaît comme un autre monde auquel il n’a pas accès. Il en va de même de ces volutes de corps et de toiles, où la suggestion de l’enfant et du sein donné parle de ce lien incomparable, de cette jouissance spécifiquement féminine, qu’il faut bien rompre pour le bien de l’enfant.
Par son titre et l’imbrication des traits, l’œuvre demande aussi à être rattachée à celle d’un désir, qui lie jouissance et douleur, comme le suggère, finement dessiné, un morceau de placenta.
Dans cette œuvre, le religieux est abordé par l’allusion de l’art ; mais la Nativité dont il est question ici apparaît ancrée fondamentalement dans cet humain intime et mystérieux, ce dont témoigne l’artiste par ses traits d’un très grand talent.
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Comme souvent dans le travail de Mélanie Delattre-Vogt, c’est par un livre que tout finit. C’est dans « Le Livre de l’intranquillité », ouvrage posthume de Fernando Pessoa et chef d’œuvre de la littérature portugaise, que l’artiste est allée chercher le titre de son exposition : « On peut ressentir la vie comme une nausée au creux de l’estomac, et l’existence de notre âme comme une gêne dans tous nos muscles. La détresse de notre esprit, quand elle est ressentie avec acuité, soulève de loin des marées dans tout notre corps, et nous fait souffrir par délégation. J’ai conscience de moi dans l’un de ces jours où la douleur d’être conscient devient, comme dit le poète, langueur, nausée, et douloureux désir. » ( Daria de Beauvais Commissaire de l’exposition)