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Nicolas Henry. Les cabanes de nos grands-parents



Une œuvre de débordement, une installation-crèche, décembre- janvier 2012 à Saint-Merry

Les crèches sont traditionnellement des œuvres-installations populaires, familiales artistiques, régionales comme en Provence ou à Naples.

Pour Saint-Merry, !e photographe Nicolas Henry a réalisé en 2011 une œuvre singulière en transformant la chapelle de Communion en un espace peuplé de l’imaginaire de familles du monde entier. Dans cette installation géante, qui est une mise en scène de ses propres photos et d’objets divers, il a placé les personnages traditionnels de la crèche.

Fondamentalement baroque dans une chapelle elle-même baroque, l’œuvre globale amplifie l’architecture, les récits tout en images que sont les matériaux photographiques, ainsi que les sens donnés par l’artiste et les textes bibliques.

Telle un jeu de miroirs, elle donne un aspect jubilatoire à ce mode d’expression contemporain : l’installation.

Le visiteur n’y voyait pas seulement une crèche, il y entrait et était invité à s’y insèrer.

L’installation

Dans la chapelle baroque du XVIIIe, devant le chef d’œuvre de Charles Coypel, « Les disciples d’Emmaüs » (1749), le photographe Nicolas Henry a monté une installation débordante, baroque d’un nouveau genre, faite de branches de châtaigniers venant de Bretagne, de rotin venant d’Indonésie ainsi que de morceaux de bois, de tissus ou d’objets les plus divers trouvés dans les caves et le bric-à-brac de Saint-Merry.

Accrochées à ce matériau hétéroclite, de splendides photos de toutes tailles (180 à 35 cm) qui viennent de faire l’objet de son dernier livre « Les cabanes de nos grands-parents ». Un patchwork de photos de femmes et d’hommes, seuls ou en groupes, du monde entier, qui ont deux points communs : être grands-parents et avoir engagé avec Nicolas Henry un dialogue , qui s’est traduit par la réalisation d’une cabane de leur enfance, bricolée à partir de matériaux locaux. L’installation est construite sur les mêmes principes que chacun des clichés.

Bien sûr, le livre n’a pas été conçu selon une quelconque vision religieuse, mais les photos, qui repésentent les imaginaire de familles de tous les continents, dialoguent avec les images de ce temps liturgique et de cette fête familiale. Les cabanes rencontrent et entourent la crèche.

Au cœur de cette œuvre, l’artiste a placé Marie, Joseph, l’Enfant, les bergers et les animaux.

Le sens premier est évident : Noël est une fête de famille universelle, pas seulement celle des enfants, mais aussi celle des grands-parents du monde entier. L’artiste met en valeur les anciens. C’est la fête de LA famille universelle.

Saint-Merry, point particulier du globe, est devenu une chambre d’écho théâtralisée des imaginaires des hommes. L’artiste organise une rencontre d’un autre type : la singularité d’un lieu avec des messages multiples se voulant universels.

Un grand-père musulman de la vallée du Jourdain et son petit-fils, sous un arbre, avec des tissus venant de chez lui. Il parle de lui, de son imaginaire d’enfant, une cabane construite avec les moyens alentour. Les analogies sont fortes avec celle des images les plus traditionnelles de la crèche.

Histoire de l’œuvre photographique de Nicolas Henry

Lorsque j’étais petit, mon grand-père m’a appris à manier le bois, ma grand-mère l’art de coudre. Un jour, presque naturellement, j’ai voulu retrouver avec eux ces jeux d’autrefois, riches de cette transmission, de ces savoir-foire, et une cabane est née. Une parole aussi, entière et spontanée. Alors m’est venue l’idée des « cabanes de nos grands-parents », pour ne pas laisser perdre cette parole, et pour saisir cette forme de liberté que les anciens acquièrent en perdant le sens des vanités.

L’artiste a parcouru le monde en allant au devant des « anciens » des villes et villages traversés. Sans connaître la langue, mais à l’aide de son carnet de croquis et de photos d’autres cabanes, il a engagé le dialogue et proposé à ces grands-parents de tous âges, car on peut l’être à 38 ans dans certains pays, de construire la maison imaginaire de leur enfance, et cela avec des matériaux tout proches, des végétaux, de la récupération ou encore en modifiant temporairement le décor de leur propre habitat.

Les photos mêlent à la fois les paysages de tous les continents, les lieux du quotidien familier, les liens sociaux, l’imaginaire des personnes rencontrées et la traduction matérielle d’un dialogue avec l’artiste.

Une analyse de l’œuvre

« Matériaux mixtes ». Que n’avons-nous pas lu cette mention dans les cartels de présentations contemporains ! Il en va de même avec « Installation », terme qui veut se distinguer du tableau (2 dimensions), de la sculpture (3D, autour de laquelle on tourne). On parle aussi d’ « environnement », pour désigner ces empreints matériels au monde réel (parfois des pneus, des intérieurs de maison, des morceaux d’espace urbain, etc.). L’artiste d’aujourd’hui ne met aucune limite à son imagination. Ce n’est plus l’objet qui compte mais l’attitude mentale. L’art se saisit de tout pour créer un univers inédit et pour faire que le spectateur soit cerné ou confronté par ce qui est un spectacle plastique.

Avec cette crèche, l’installation apparaît comme un environnement construit sur le principe de la poupée russe :

Chaque photo est une installation d’un espace imaginaire des personnes rencontrées.

En étant accrochées sur le mode du bazar, ô combien maitrisé et mis en scène, à ces rotins et branches et mélangé avec le bric-à-brac de saint-Merry, ces photos forment installation.

Au centre de cela, l’artiste a installéla crèche, qui est elle-même une installation totalement imaginaire (codes picturaux artistiques, évoquant des scènes populaires rurales du XVIIIe revues au XIXe !)

Et le tout est placé dans une chapelle baroque qui comprend des sculptures, des tableaux d’intérêt inégal (du XVIIIe au XIXe), un autel et un monument aux morts du XXe. L’œuvre de l’artiste nous permet de regarder autrement la chapelle qui sert de cadre original : elle ressemble un peu à une installation que la communauté paroissiale transforme régulièrement en lieu d’exposition ou en bazar permanent ! Avec le caractère visuellement fouillis de son œuvre, que certains visiteurs ont pointé, l’artiste a, sans le savoir, repris les pratiques de débordement matériel dans cette partie de l’église. Elles sont liées en effet à l’effervescence des évènements culturels qui s’y déroulent, ce qui peut surprendre souvent les personnes s’attendant à y trouver un cadre religieux propret.

On a une mise en abîme du concept d’installation.

À Saint-Merry, l’attention à la scénographie et à l’architecture est une constante des manifestations artistiques. Cette œuvre est donc bien « saintmerryenne » et, malgré la différnce de conception, elle n’est pas sans rappeler la Séptima, œuvre présentée à la Nuit Blanche 2011 : la transposition en vidéo de la réalité, de la culture et de l’imaginaire d’une rue de Bogota, en occupant la totalité de la nef de l’église (scénographe-réalisateur Jacques Mérienne)

Par ailleurs, Saint-Merry est une communauté ouverte au monde mais vieilliss

ante et dont une grande partie des membres sont grands-parents. Ils sont partie prenante de tout ce qui se passe au CPHB, ils réagissent avec leur imaginaire. Les personnes des photos sont souvent de leur âge ! Cette installation contemporaine peut être perçue comme une mise en images d’eux-mêmes par l’intermédiaire de l’ailleurs.

Dernier effet de miroir, le visiteur regarde les photos dont les sujets regardent l’objectif du photographe, donc le visiteur ... La frontalité des regards est bien moderne ; entre les deux, le cadre de la photo, une sorte de fenêtre où les imaginaires peuvent communiquer, à la manière de Lewis Carroll.

La démarche de l’artiste

À travers le monde, devant mon objectif, des papis et des mamies renouent avec les cabanes de leur enfance. Ils transforment un tapis en océan, avec le balancement du rocking chair pour roulis, sous les cris des goélands...
Tous sont photographiés chez eux, dans leur univers. On scelle une amitié quand on fait visiter sa maison ou son jardin. On fait entrevoir l’intime.
Ensemble nous avons bâti une cabane, reflet de leur imaginaire. Ils sont les artistes de leurs propres installations. La place de la cabane et des objets dans notre vie révèle une part du sens poétique ou politique que chacun choisit de transmettre à travers son image...

…/…

La série de photographies « Les cabanes de nos grands-parents » nous entraîne à la rencontre des anciens à travers le monde, de l’Irlande au Vanuatu en passant par l’Inde, le Brésil, le Maroc, ou encore la Nouvelle Zélande et la Suède. En cinq années de travail, une trentaine de pays, pour 400 portraits à ce jour.
Avec tous ces grands-parents du monde et leurs objets familiers, nous avons construit un abri éphémère, une cabane, reflet de leur histoire et de leur imaginaire, dans laquelle ils se sont mis en scène.

Un poisson-hélicoptère lors d’une pêche à l’arc miraculeuse au Vanuatu. Une skyline refaite avec des bouts de rien, dans un campement ouvrier à Shanghaï.

Vieillesse-Jeunesse

L’intention première du projet est un constat, notre monde est aujourd’hui dominé par l’image de la jeunesse, et celle d’une réussite sociale formatée.

Aujourd’hui, se pose la question de l’image et de la place des personnes âgées dans notre société. Le vieillissement de la génération du baby boom se traduit davantage en considérations économiques et préoccupations sociales, et laisse peu de champs à un débat moral et humaniste. Le dossier sur l’avenir de nos retraites, leur poids sur la sécurité sociale, la solitude et la détresse que les campagnes de sensibilisations n’arrivent pas à endiguer sont les images habituelles présentes dans nos médias. Le projet des cabanes de nos grands-parents peut être l’acteur d’une revalorisation de leur image et de la reconstruction d’un lien positif avec les anciens.

Dans le monde où sont nés nos grands parents, une large majorité des générations passait toute leur vie ensemble…

…. Aujourd’hui la transmission de la langue, des histoires et des traditions, ainsi que la connaissance de la nature et de la biodiversité, sont supplantées par les médias et les systèmes d’éducation. Le « savoir-vivre » local est remplacé par un modèle global. La désillusion d’une majeure partie des milieux urbains est quotidiennement spectatrice d’une réussite qui les a abandonnés en chemin. Parallèlement, les milieux ruraux produisent désormais des générations inadaptées à un mode de vie communautaire puisant ses ressources dans son savoir-faire de la nature. L’image des anciens n’est plus synonyme de sagesse et d’autorité, mais souvent reléguée à celle de la solitude et du sourire adressé aux touristes.

Les différents thèmes sont devenus récurrents à travers les voyages. On peut y ajouter les changements radicaux de la nature. Un modèle individualiste qui entraîne la rupture des liens familiaux. La perte du lien social de la veillée qui amène la solitude avec l’accès généralisé à la télévision. La performance des industries ne permettant plus aux groupes de vivre d’une production commune, on assiste alors à un éclatement des communautés.

La série a démarré sur l’idée d’un répertoire d’objets agencés de manière décalée ou narrative, comme l’état des lieux d’un monde aux objets multipliés. L’enjeu du projet s’est rapproché au fil du temps de celui d’un théâtre itinérant. Les installations sont de plus grands formats et souvent réalisées en extérieur avec l’aide d’une partie du village ou du quartier. Elles deviennent alors des événements symboliques reflétant l’imaginaire collectif qui détermine le vocabulaire d’une représentation qui va se jouer le soir même.

Loin d’un regard dénonciateur, cynique, ou désabusé, « les cabanes de nos grands parents » expriment les changements d’un monde à l’autre à travers les outils du rire et de la poésie. Réunir le village, créer un espace pour la parole et la créativité. Avec les moyens du bord, s’exprimer à travers le caractère extraordinaire du langage plastique qui est universel.

La rivière qui mène aux jardins, l’arbre du centre du village, le toit d’un immeuble, sont devenus des terrains formidables pour raconter les histoires. Avec la couleur et la poésie, dresser le portrait des habitants de notre terre. Quand on vient vers l’autre avec une histoire à lui faire conter, le monde entier nous accueille à bras ouvert.

Jean Deuzèmes

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Nicolas Henry est né en 1978, il est scénographe, photographe et désigner

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