La sacristie des Bernardins formait un écrin parfait pour ces objets secrets. Cette sorte de grotte où sont montrés des objets mystérieux en accentue pour moi le caractère sacré.
Judith Scott trisomique, muette, sourde, a reconnu, au toucher de la laine, son outil de langage. Découverte qu’elle fait, enfin, à 44 ans. Reconnaissance instinctive, sensible, qui lui a permis de dire quelque chose d’elle, de sa prison intérieure, dont le sens n’appartient qu’à elle-même. Elle a enfoui ces objets, glanés autour d’elle, dans des cocons plus ou moins colorés faits de bouts de laine enchevêtrés, noués, serrés, lâches, fruits d’une longue élaboration telle une gestation. Puis d’autres formes sont nées, plus élaborées, plus colorées. L’exposition nous montre une progression, une force créatrice à l’œuvre. Une parole a pu se libérer.
Bien sûr la démarche est obsessionnelle, mais elle n’est pas angoissante. J’en ressens l’urgence, une sorte de joie d’avoir trouvé où s’exprimer grâce à un matériau chaleureux, vivant, rassurant. On ne peut qu’avoir un grand respect face au mystère que dégagent ces œuvres.
[/Marie-José Ledru/]
Un objet caché pourquoi, pour sa valeur, pour le protéger, et comment l’artiste l’a -telle caché ?
Un objet trouvé, usuel ? Et si c’était elle-même la chose précieuse qu’elle veut protéger, enfermer, qu’elle ne peut montrer, qu’elle veut oublier ?
De toutes façons, chose précieuse qu’elle veut cacher aux yeux de tout regard au souvenir de toute mémoire.
Geste mortifère… pas forcément ? Le cocon de soie et le fœtus ne sont-ils pas attente d’une naissance ?…
L’objet caché dans un enchevêtrement de fils autour d’un bois qui fait songer à une guitare, n’est ce pas pour chanter sa plainte et faire entendre sa voix, un jour, enfin ! ( l’artiste est muette…)
Un autre dissimulé dans un grand paquet, sac à dos ? Pour entreprendre une marche sur un chemin qui la ferait partir très loin.…
Et cet autre enfoui dans cette forme élancée … Un oiseau immense, migrateur prêt à l’envol pour franchir un espace autre que le sien qu’elle ne connaît pas.
Jour après jour, l’artiste a glané autour d’elle tous ces fils, bouts de laine de toutes couleurs vibrantes, si bien assemblés.
Au fil du temps, ce temps là, qui la fait vivre vraiment, elle les touche, les regarde et dans son silence, elle enfouit son objet aimé, peu importe sa valeur, nul ne sait ce que c’est. Sa valeur est ce qu’elle en fait. Un objet d’art.
Forme de tissage sensuel, par le contact direct de ses mains, on y sent l’énergie, la détermination et la détresse à la manière dont certains fils sont ficelés ainsi que la fantaisie, comme dans ce bout d’échantillon de tricot rouge sang, accroché "au sac à dos".
Dans son atelier, elle n’est pas seule, y trouve-elle chez les autres des chutes, des bouts de ficelle qui ne servent plus à rien, matériel pris discrètement ou non… C’est son secret.
Dans la documentation qui accompagne l’exposition, on y voit Judith Scott enlacer une de ses œuvres, comme un être aimé, comme son enfant, son trésor qu’elle aurait du mal à quitter, douleur de l’œuvre accomplie qui sépare l’artiste de sa création ?… C’est encore son secret.
Une exposition que je vous recommande, une œuvre qui ne laisse pas indifférent.
Elle a beaucoup de choses à nous dire, de la part de cette artiste qui était sourde et muette. Superbe harmonie des couleurs, il n’y a rien de triste, ni de tragique à première vue… L’objet caché devient trésor, devient beauté.
L’image crée la parole et les mots, nous dit Marie José Mondzain
[/Jacqueline Casaubon /]
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Née à Cincinatti dans l’Ohio, Judith Scott (1943-2005), atteinte de trisomie (syndrome de Down), a été placée dans diverses institutions spécialisées dans lesquelles elle eut du mal à trouver sa place. En 1986, prise en charge par sa sœur jumelle Joyce, elle rejoint le Creative Growth Art Center à Oakland, centre d’art consacré à l’art brut qui aide les personnes handicapées en les invitant à développer leur expression artistique. Judith Scott s’est spontanément engagée dans la création à 44 ans.