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De la photographie au pastel, de l’esquisse à l’inachèvement



Janvier 2011. Entretien avec Jean-Louis Guilhaumon

PrésentationS est constitués de cinq tableaux de grands formats (1,6x 1,2 m) issus d’une longue maturation artistique.

Entretien avec l’artiste

Charlotte Szmaragd : Parlez-nous de votre parcours.

Jean-Louis Guilhaumon :J’ai été formé à l’École des Beaux Arts de Sète et de Paris. Les Beaux Arts est un milieu particulièrement intéressant car il y règne une grande mixité sociale. C’est un espace de retranchement qui permet d’explorer son potentiel de création. C’est là que j’ai vraiment découvert ma passion pour le dessin et la peinture.
A la suite de mes études, j’ai travaillé de manière assez isolée, en m’efforçant de faire un travail de fond qui a structuré ma démarche. Ce n’était pas toujours évident de ménager un temps consacré à la création. Néanmoins, je peux me prévaloir d’avoir une œuvre derrière moi, aussi modeste et personnelle soit-elle.

CS : Vous évoquez avec passion le dessin et la peinture, mais vous ne vous êtes pas seulement cantonné à un travail d’atelier.

Fresque de Jean Louis Guilhaumon, Galerie Le sens de l’art, La Courneuve

JLG : Effectivement, j’ai eu la chance d’explorer la peinture murale, plus spécifiquement la technique traditionnelle de la fresque à la chaux. Un de mes collectionneurs possédait une maison en Ardèche, une demeure classée du XVIIème siècle. A l’époque, je travaillais sur un personnage de bande dessinée et l’on m’a demandé de le transposer dans une fresque. J’ai d’ailleurs repris pour partie cette composition dans une autre peinture murale pour un quartier populaire de La Courneuve.

Ce fut une expérience fantastique, un véritable bonheur car je pouvais concilier le dessin, la couleur et la matière. La fresque est un exercice très épanouissant car il s’agit de faire naître le projet d’un commanditaire tout en restant fidèle à sa propre sensibilité. Puis, lorsque l’on passe de la maquette à la réalisation réelle, il y a une totale redécouverte de l’œuvre. Aussi, est-ce une vraie prise de risque qui est essentiellement dictée par les conditions climatiques et temporelles, un travail au grand jour, à la rencontre immédiate du public.

CS : Depuis le mouvement des muralistes mexicains dans les années 1930, en passant par Fernand Léger puis Ernest Pignon-Ernest plus récemment, l’art mural , appelé aujourd’hui le « street art », redevient un mode d’expression important. Comment vous inscrivez-vous dans cette tendance contemporaine ?

JLG : En même temps qu’il s’agit d’une démocratisation de l’art, l’art mural est une proposition qui interroge et n’impose rien. C’est une interrogation qui est offerte à tous, à tous ceux qui voient l’artiste travailler, qui peuvent observer et commenter les étapes de la réalisation. L’œuvre apparaît comme une symphonie publique dont l’artiste est le chef d’orchestre.

Un nouveau regard est alors posé sur le statut de l’artiste. Dans son atelier, il est en retrait du monde, comme un observateur introverti. Lorsqu’il travaille à même la rue, on reconnaît plus volontiers ses qualités de praticien, son habileté, sa dextérité.

CS : Vous parlez de l’artiste comme d’un praticien. Devient-il alors un artisan ?

JLG :Il y a toujours une part de pratique, de technique, de travail sur le ou les médiums. Une œuvre d’art ne peut pas être uniquement une œuvre de l’esprit. Elle s’inscrit dans la matière et les moyens sont importants. Avec ses éléments concrets, on ne peut pas tricher et la virtuosité sera toujours une chose étonnante et fascinante.

CS : Parlez-nous de la série que vous présentez à Saint-Merry

JLG :Au commencement, il y a des photographies anciennes, qui auraient pu être des photographies familiales. Ce sont plus précisément des plaques photographiques et des petits clichés sépia. Elles évoquent un temps révolu, une mémoire qui pourrait être la mienne, une enfance rêvée. Les personnes représentées ont une grande dignité, une sévérité semblable à celle que l’on retrouve dans les portraits des grands maîtres, comme ceux de Hans Holbein.

J’ai voulu montrer la quintessence de l’âme de ces personnages, celle-là même qui était insoupçonnée à l’époque où ont été prises les photographies, et qui réapparait aujourd’hui avec le recul des années. Cette distance donne à voir l’épaisseur du temps.

CS : Quelle est ensuite votre démarche plastique ?

JLG :A chaque fois que j’aborde une nouvelle série, il y a une phase de découverte par le dessin et la peinture.

Il s’agit de ressusciter le modèle évanoui, de me le réapproprier. Puis j’ai redonné une carnation aux personnages de ces cliché à partir de mon vécu coloré. Je les ai reproduits sous différents angles, à différents formats, allant même jusqu’à des figures grandeur nature.

Enfin, j’ai pu dépasser les modèles pour sonder leur intérieur, leur essence et les laisser s’exprimer librement. Je n’ai fait qu’explorer le terreau du vécu, retrouver un esprit en remontant les profondeurs de la mémoire.

CS : Votre travail est très construit et réfléchi. Pourtant vos compositions semblent souvent inachevées. Que signifient ces espaces de liberté ?

JLG :L’inachevé suffit. Lorsque je crée une œuvre, je la mets de côté et je laisse venir la forme. Si la composition ne semble pas aboutie au début, il y a une sorte de grâce qui jaillit de manière spontanée au second regard. Ma technique permet ces jaillissements. Il s’agit de dessins au pastel qui sont ensuite retravaillés à la peinture à l’huile. Il y a toute une stratification. Le dessin remonte du dessous et monte en puissance au contact de la peinture. Le dessin sous-jacent souligne la sensibilité du support papier qui évolue aussi dans le temps.

Dans ce travail, je voulais mettre en avant l’étape de l’esquisse. Selon moi, l’esquisse est souvent plus fascinante que l’œuvre finie, comme on a la chance de le voir devant les œuvres des maîtres classiques. J’ai voulu retrouver et conserver la fraicheur du tracé et montrer ainsi que c’est le dessin qui a le plus d’importance. Pour en revenir à la question de l’inachèvement, ce sont les respirations qui font tenir mes compositions. Les peintures sont suffisamment construites en amont pour qu’il n’y ait pas besoin d’en faire davantage. Il y a des places vacantes, celles des manquants qui ne peuvent pas ressurgir.

CS : Votre travail évoque les œuvres de Zoran Music. Fait-il parti de vos références ?

JLG :C’est un artiste que j’apprécie, bien que que je l’ai découvert assez tard. Les personnages de Music ont des traits estompés. Il y a une belle réflexion sur l’humanité, sur la place de l’individu, l’être dans le groupe et dans le temps.

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