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LUTZ BACHER. THE SILENCE OF THE SEA
lundi 23 avril 2018
Une œuvre radicale, un geste de résistance pour inaugurer La Fayette Anticipations, le « laboratoire d’anticipation Galeries Lafayette » ce nouvel espace de production et d’exposition de Paris, 9 rue du Plâtre, au cœur du Marais.
Conçu par Rem Koolhaas qui n’avait pas encore construit à Paris, ce bâtiment très discret et contraint par les règlements d’urbanisme et de protection du patrimoine de la ville de Paris, se présente comme un bijou d’architecture et de programmation, destiné à faire découvrir de nouveaux artistes internationaux et à favoriser le débats public autour de questions de société.
En invitant Lutz Bacher, François Quintin, directeur délégué de Lafayette Anticipations, fait fort. Cette « jeune » artiste de 75 ans, qui a pris un nom d’homme à ses débuts, inconnue (ou presque) en France conceptuelle de la côte Est des États-Unis est considérée comme l’artiste des artistes, libre et radicale, disciple (peut-être) de Duchamp. Son œuvre dont le titre en anglais, The silence of the sea, en référence au roman de Vercors publié en 1942, est un geste de résistance aux multiples dimensions.
Résister à une telle architecture, dans l’art d’aujourd’hui, à l’époque du 45e président des USA, à tous les commentaires que l’on pourrait faire, voire même au commanditaire !
Lutz Bacher. The Silence of the Sea. La Fayette Anticipations / avril 2018 from Voir & Dire on Vimeo.
Rem Koolhaas a commencé à réfléchir en 2012 à la transformation d’un petit bâtiment de trois étages en U, dont le cœur était recouvert d’un toit de pavés de verre au 1er niveau.
Il a choisi d’y insérer une tour transparente qui dépasse légèrement du toit et dont le dispositif des trois planchers mobiles (offrant 17 possibilités) permet de multiples configurations. Au dernier étage, un petit atelier avec des machines légères, au sous-sol un grand atelier avec machines à outil : l’application du concept de lieu de production pour des artistes qui trouvent là tout ce qu’il faut pour pousser le plus loin possible leur création dans un lieu de 2 200 m2. Un concept à l’opposé de l’originalité extravertie de la fondation Louis Vuitton, imaginée par Franck Gehry.
L’enjeu de la première occupation (terme dont l’un des sens renvoie aussi incidemment à Vercors) était grand. L’artiste plasticienne n’a pas voulu combattre une telle œuvre architecturale et l’a laissée vide de tout objet, préférant laisser ses propres signes sur les murs : une seule vidéo qui court sur les murs des deux niveaux et un revêtement semi-réfléchissant sur les vitres du 3eme étage.
Artiste conceptuelle de son temps, elle adopte l’outil commun à tous : son téléphone portable avec lequel elle a saisi les Blockhaus du Cap Ferret, à la manière d’un amateur. Il en ressort des séquences saccadées imparfaites, mais prenantes car elles sont projetées sur 10 m de large, avec comme son, la mer qui roule, proche du vacarme de la guerre. Les Blockhaus, tagués aujourd’hui, étaient les instruments de résistance de l’armée allemande ! Elle retourne le terme et y introduit le sens de la résilience du territoire et des sociétés démocratiques. Au dernier étage, le visiteur est confronté au vide de par la transparence du mur de verre, sans l’appui visuel d’une protection de balcon : il est mis en danger et l’artiste ne fait rien pour s’opposer à cela. Au contraire, elle amplifie l’effet avec un revêtement semi-réfléchissant sur les vitres. Les nuages le traversent et s’y reflètent à l’infini (on voit jusqu’au toit de Beaubourg dans une sorte d’hologramme magique). Au sol, non pas du sable (comme au Cap Ferret), mais des paillettes multicolores brillantes, celles de la société du spectacle, qui vous collent aux chaussures, dans les escaliers, jusque dans la rue ! Le visiteur y allait pour du sérieux et il en retourne avec des traces de divertissement populaire ! Ne serait-ce pas un souvenir de poussière de la grande œuvre de Duchamp : « La mariée… » ?
Pas d’objet, pas de dessin, pas d’histoire à raconter comme dans l’art d’aujourd’hui. Pas de catalogue, pas de cartels, par de flyer, le visiteur est laissé à lui-même avec éventuellement comme bouée de sens des médiateurs (très bien !). L’œuvre résiste à tous les commentaires et laisse libre tout le monde ; l’artiste invite à faire de même.
L’artiste s’intéresse aux mouvements du ciel, des étoiles, qu’elle invite à pénétrer dans sa propre œuvre : un art auquel le 45e président des USA ne comprendrait rien et qui est à l’origine de gestes de résistance d’artistes comme Lutz Bacher.
Résistance même au commanditaire, puisqu’elle n’utilise pas les outils que la Fondation met à la disposition des artistes, au sous-sol et au dernier étage. Elle passe à côté d’eux pour parler d’autre chose : du ciel de Paris, des rapports que le visiteur peut avoir avec autant d’étrangeté.
Si l’on vous dit que l’on a été séduit par cette artiste, inclassable, sans arrogance, respectueuse du lieu, qui donne le goût du questionnement et de la liberté dans le silence …N’était-ce pas cela le sens du roman de Vercors ?
Jean Deuzèmes
A voir au 9 rue du Plâtre,Paris 04 jusqu’au 30 avril 2018