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Néon. Who’s afraid of red, yellow and blue ? La maison rouge.



Une grande exposition rétrospective, subtile et intelligente, sur la place du néon dans l’art, jusqu’au 20 mai 2012

Maurizio Nannucci, Art

La maison rouge, fondation privée, propose au grand public une exposition cohérente et vaste sur la place du néon dans l’art des 60 dernières années. Elle montre comment ce type de lumière créé par le chimiste français Georges Claude et qui a transformé l’image de nos villes, s’est immiscé dans l’art pour l’enrichir et le questionner. Les artistes ont joué sur les spécificités de ce médium pour ouvrir le champ du visuel, pour créer des émotions nouvelles et provoquer la réflexion des spectateurs.

À voir, sans se laisser rebuter par le sous-titre de cette exposition ou décourager par les éventuelles queues du WE.


Un médium et d’autres approches de l’art

L’exposition a été conçue de manière très intelligente, le spectateur se voyant proposer un petit catalogue qui éclaire fort bien les différentes sections . En une heure trente, il est donc possible de parcourir l’histoire de l’art moderne et contemporain au travers de ce médium qui joue sa carte personnelle, dans le chant des arts visuels.

Il n’était pas évident a priori de rassembler dans un même lieu des œuvres aussi fragiles, sensibles aux montages électriques, et qui pouvaient se gêner mutuellement. En effet, mettre un tableau du XVIIe à côté d’une photographie contemporaine, comme le Louvre le fait parfois, repose sur un parti pris de commissaire, mais ne gêne pas la vision de l’un et l’autre, tandis qu’un rayonnement rouge peut envahir toute une pièce jusqu’à troubler la vision d’un néon jaune.

L’équipe technique du commissaire, qui a, notamment, fait disparaître les inévitables fils d’alimentation électrique, a donné les conditions maximales d’une réception émotive de cet ensemble de 108 œuvres réalisées par 83 artistes de 1940 à nos jours.

En un si petit espace, cette exposition est vaste par ses propos et convaincante : cette forme d’art est subtile et a une grande force artistique. En effet, s’il est possible de voir de temps en temps des expositions centrées sur des artistes utilisant largement le néon comme François Morellet, à Beaubourg l’année passée, ou encore Dan Flavin qui a su imposer dans son art minimal le néon industriel comme véritable palette de peintre pour transformer des environnements, ce que l’on observe bien plus souvent, ce sont des œuvres de néon disséminées.

Bertrand Lavier, Ifafa V (Stella) et Iván Navarro

Ici, l’effet de masse est manifeste, mais il est aussi très léger car la lumière est partout et distincte. Les thèmes proposés par le commissaire sont, bien sûr, ses interprétations et constructions, mais ils sont justes et laissent une grande liberté de réflexion et d’émotion aux visiteurs : « La lumière parle, Cercles et carrés, Éblouissement, Les pionniers, Trajectoires, Songe, éclipse, extinction, La lumière brisée, » etc. Au sein d’un même thème, les œuvres sont d’une grande variété formelle, esthétique et de sens.

Le médium peinture n’existe que par la lumière avec laquelle il joue et qu’il renvoie après rencontre de la couleur du tableau. Avec le néon, c’est la lumière elle-même qui est originaire et doit exister, trouver une forme (le tube), une couleur (pas facile, car l’on est dépendant de gaz qui n’ont pas la même diversité que les mélanges de couleurs), un sens (la possibilité offerte de faire des lettres le souligne ou au contraire le contrarie ouvertement), s’inscrire dans un environnement (pour le troubler ou le révéler).

Kendel Geers K.O Lab, Terror, 2003,

Fabriquer un néon est simple : il faut choisir une couleur, c’est-à-dire un gaz et un tube puis le tordre. Le substantif est donc un trait de verre ; et c’est pour cela que cet art est aussi et surtout un art du tracé et de la sinuosité.

Cet art du signe offre ensuite une bifurcation. En effet, l’artiste peut choisir la figuration ou le langage, un peu comme dans l’histoire humaine de la culture : des grottes de Lascaux aux hiéroglyphes.

L’artiste choisit aussi, mais il prend souvent les deux directions à la fois, comme Jean-Michel Alberola. Ainsi, la conception et la fabrication de ces œuvres en néon nous renvoient, en creux, à ces conquêtes primitives de l’esprit.

Avec l’esthétique de ce médium qui prend tant de formes différentes, nos sens sont sollicités d’une autre manière que dans la peinture : de couleur chaude ou froide, la vibration lumineuse arrive à notre cerveau, sous une figure brute, intense ou infiniment subtile. Et surtout, elle rayonne naturellement, alors qu’en peinture cette maitrise relève du talent de l’artiste : de Rembrandt aux impressionnistes.

Franck Scurti, Enseigne Tabac,

Les artistes se distinguent de la publicité et ont aussi transformé l’usage du néon en le mariant à la peinture, à des installations, en faisant des sculptures, non pour les singer mais pour enrichir les autres médiums, les utiliser afin de renforcer leur mode d’approche pictural ou de se mesurer à eux.

Cette exposition prouve que l’usage du néon n’a pas de limites et que ce médium, par ses spécificités n’est pas une art mineur ou publicitaire. Il s’est progressivement imposé par des recherches sur la forme et le sens, en parallèle aux autres formes d’art. Mais ne nous trompons pas, lorsqu’il s’est imposé, dans les années 60, la technique était déjà dépassée !

Par son originalité, le néon pose des questions que la peinture ou la sculpture ne s’étaient pas encore posées.

Regards sur certaines œuvres

Jean-Michel Alberola, Rien, 2011 Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris

Jean-Michel Alberola, le néon des vanités et de la poésie

Jean-Michel Alberola, est exposé plusieurs fois. On retrouve avec plaisir la diversité de ses approches poétiques et méditatives, car ses œuvres sont à la fois texte et image ; elles fonctionnent comme des calligrammes que l’on avait déjà vus à Traces du sacré : « l’espérance » est suspendue à un fil comme on le dit, tandis que le mot « rien », qui est la réponse du
fameuxtableau de Goya, l’athée et le révolté, « Nada » se déchiffre sous la forme d’un crâne. Sa conception de la vanité et sa réflexion métaphysique se développent ainsi dans une simplicité immédiatement accessible.

Il en va différemment avec « Die Armut », une malle d’où surgit une masse lumineuse et intrigante de lettres : un vers en allemand de Friedrich Hölderlin (« chez nous tout se concentre sur le spirituel, nous sommes devenus riches parce que nous sommes devenus pauvres ») est posé en tas, rendu illisible. C’est ce vers qu’avait choisi Martin Heidegger comme prétexte à sa méditation dans le texte Die Armut (la pauvreté) et qui donne son titre à l’œuvre. Comme le souligne le commissaire, au-delà du sens du vers et de sa postérité, c’est l’éclat de la phrase restituée en lumière que retient l’artiste. Œuvre à clef impressionnante que seul le rayonnement du néon pouvait rendre.

Jason Rhoades, Sans titre, 2004 Courtesy Collection Frank Cohen

Jason Rhoades, déjanté et coloré

Jason Rhoades, Sans titre, 2004 Courtesy Collection Frank Cohen

Le néon se marie aussi avec le concept d’installation. Ainsi avec Black Pussy S, le dionysiaque Jason Rhoades a mis en scène les résultats des soirées dites « Black Pussy Soirée Cabaret Macramé » qu’il organisait dans son atelier de Los Angeles. Dans ces performances déjantées, ses convives de tous horizons culturels et sociaux devaient proposer des appellations pour désigner le sexe féminin, sur le mode poétique, argotique, scientifique, vernaculaire, etc. Il a consigné 1 724 mots (livre présenté sur la table) puis les a transposés en néon et intégrés à plusieurs installations entre 2003 et 2006, date de sa mort. Cette œuvre chaotique porte la trace de cette cacophonie et de ces ambiances joyeuses.

Marial Raysse, « Snack » 1963, Courtesy Fondation François Pinault

Martial Raysse, le néon comme couleur de la société de consommation

Comme ses amis du Nouveau Réalisme, tous scrutateurs de la nouvelle société des Trente glorieuses, Martial Raysse a voulu faire entrer dans l’art le monde des objets et en particulier celui des publicités, de la société de consommation et des loisirs. Très tôt, entre 1962 et 1966, il a utilisé le néon dans son œuvre, comme « couleur vivante, une couleur par-delà la couleur » dont il fait usage dans ses « tableaux objets ». Snack, une œuvre bien connue, puise son inspiration dans les photographies de mode de jeunes femmes au bord de la mer, colorisées de teintes factices, et complétées par l’adjonction de divers objets réels, parmi lesquels une enseigne en néon. C’est une version du pop à la française.

Dan Flavin, « Untitled » 1968 collection Sylvio Perlstein, Anvers

Dan Flavin Le précurseur

L’américain Dan Flavin se distingue par son utilisation de tubes fluorescents industriels, achetés dans le commerce : leurs caractéristiques (modulaire, standard, impersonnel) se trouvent en parfaite adéquation avec l’esthétique minimale dont il est l’un des représentants majeurs. Les tubes fluorescents deviennent son matériau exclusif à partir de 1963 : leur nombre, leur dimension, leur couleur, leur disposition sont les paramètres dont il va explorer toutes les combinaisons possibles. Par-dessus-tout, Flavin travaille sur la perception de l’espace environnant et les effets induits par l’aura lumineuse des œuvres. Baignés dans cette lumière jaune, le sol, le mur et le spectateur sont absorbés dans la même « situation ».

David Rosenberg. Commissaire de l’exposition.

Stefan Brüggemann, le néon et la question de la mort de l’artiste

Écrite en police « arial » noire, comme toutes ses oeuvres textuelles, la pièce de Stefan Brüggemann donne d’une manière froide, à la manière des énoncés de l’art conceptuel, une instruction qui concerne sa propre disparition. « This Work Should Be Turned Off When I Die » (Cette œuvre devra être éteinte lorsque je serai mort) sous-entend une analogie entre l’artiste et son œuvre en néon. Il pose par le même biais une question essentielle : qu’est-ce qu’une œuvre en néon éteinte ? Cesse-t-elle d’être une œuvre ?

David Rosenberg. Commissaire de l’exposition.

Claude Lévêque, Rêvez !, 2008

Claude Lévêque et ses injonctions

Claude Lévêque propose toujours des œuvres étranges, féériques où la lumière joue un rôle essentiel et révèle du fantastique. Il puise généralement dans ses souvenirs d’enfance et prend le spectateur à témoin.
Avec cette injonction paradoxale, puisque on ne peut commander l’inconscient, « Rêvez ! » il nous invite à préserver un esprit d’enfance : « L’écriture tremblée de ma mère que je retranscris et reproduis en néon oppose explicitement la norme à la déviance de l’expression individuelle »

Pierre Malphettes, La fumée blanche, 2010

Pierre Malphettes, le néon et le fugace

Dans l’œuvre de Malphettes, les néons ondulants tracent des trajectoires ascendantes énigmatiques, que le titre de l’œuvre vient expliciter. Avec La Fumée blanche, l’artiste poursuit son projet de donner corps au fugace et à l’évanescent

David Rosenberg. Commissaire de l’exposition.

Bertrand Lavier, Ifafa V (Stella)

Bertrand Lavier, le néon et la transsubstantiation

Bertrand Labier est un conceptuel provocateur, un jouisseur du visuel. Ifafa V (Stella) utilise un Shaped Canvas de Frank Stella (représentant principal de l’abstraction hard edge américaine dans les années 1960), qu’il soumet à une sorte de transsubstantiation en remplaçant les plages colorées linéaires par des tubes de néon.

S’inscrivant dans le questionnement de l’artiste sur les catégories traditionnelles commencé dans les années 1980, cette série de néons est aussi un jeu sur la notion d’auteur : chaque œuvre est en même temps un Stella et un Lavier.

David Rosenberg. Commissaire de l’exposition.

Voir le film introductif-10’


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La maison rouge

10 boulevard de la bastille

75012 paris

horaires

ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 19h

nocturne le jeudi jusqu’à 21 h

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