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Mona Hatoum. Rétrospective



Une grande rétrospective au Centre Georges Pompidou : des supports très variés prolongent l’esprit surréaliste, gardent la force du féminisme, expriment de l’humour et de la légèreté sans cacher une inquiétude sur l’état du monde.

Il n’est pas de grande exposition à la thématique large sans qu’y soit présentée une œuvre de Mona Hatoum, artiste internationale d’origine palestinienne. Née au Liban en 1952, elle est venue à Londres au moment de la guerre civile et s’y est fixée dans l’impossibilité de retourner dans son pays d’origine.

Mais il manquait une exposition qui rende compte de la multiplicité de ses approches, de sa sensibilité aux questions contemporaines, de la puissance de son travail, de son apparente légèreté pour aborder les contradictions du monde. Contrairement à ce qu’on a voulu faire d’elle, Mona Hatoum n’est pas l’artiste de l’exil ou d’une certaine nostalgie identitaire.
Depuis les années 70, Mona Hatoum a touché à tout : la vidéo, la photo, la performance, les œuvres sur papier, les installations, les sculptures.

La muséographie choisie par le Centre Pompidou pour présenter une centaine d’objets est dépouillée, vaste et respirante. Elle permet au visiteur de déambuler à sa guise, aidé par un simple petit dépliant donnant les explications essentielles sur chaque œuvre. La promenade, en dehors de toute approche chronologique, fait ainsi écho à l’esprit de liberté de l’artiste.

Mona Hatoum s’est fait connaître par ses premières performances dans l’espace public ; le public riait alors que les sujets n’avaient rien de risible, l’oppression des femmes ou le contrôle politique et social, dont le corps était l’interprète, tel le fameux « Roadworks » de 1985, où elle marchait pieds nus et traînant des rangers militaires dans un quartier londonien qui avait été le lieu d’une émeute raciale. C’est d’abord par la performance qu’elle est devenue artiste, à Londres, et à découvert d’autres médiums que la peinture ou la sculpture.

On l’a connue ensuite pour ses œuvres où elle faisait référence à sa famille, à ses origines, à la violence sévissant dans son pays déchiré et dans bien d’autres. Ainsi, dans "Under siege"de 1982, elle s’était enfermée nue dans un caisson remplie d’argile et pendant sept heures avait surnagé jusqu’à l’épuisement, elle y exprimait la douleur de la séparation et de l’exil. Une vidéo, d’un autre type mais sut le même sujet, montre sa mère sous la douche avec en premier plan le défilement des lettres que celle-ci lui adressait en arabe, formant un rideau de paroles décliné dans une esthétique arabe, nourrie d’images du corps et de l’intimité féminine, tandis qu’une voix off dit les textes traduits.

Loin de l’œil de la tendresse filiale, l’usage de l’œil intrusif a été largement utilisé pour souligner la violence sociale ou technique de l’actuelle société de surveillance. On se souvient de « Corps étranger », 1994 : cette vidéo circulaire est projetée au sol dans une minuscule pièce cylindrique ouverte sur deux côtés que les visiteurs n’osent pas traverser. L’artiste y reprend les images d’une endoscopie de son propre corps en les accompagnant du bruit de ses battements cardiaques ; l’œil scientifique transgresse les limites corporelles et transforme les organes de l’artiste en une sorte de monde extraterrestre.

Toujours sur le registre du familier, elle a choisi de mettre en scène les objets ou les meubles de la maison pour leur donner une dimension onirique, surréaliste, inquiétante, comme « Incommunicado » de 1993, ce berceau d’enfant en acier froid et dur, dont le fond est fait de fils coupants, transformant ce lieu de la douceur maternelle en lieu d’enfermement dès le plus jeune âge.

Contrairement à l’approche de Louise Bourgeois qui utilise les intérieurs domestiques pour évoquer les névroses familiales, l’angoisse ou les peurs, Mona Hatoum privilégie le politique, l’universel en puisant dans l’univers familier ou fantasmé du couple et des enfants.
« Grater Divide » est une râpe à légumes de 2m qui fait d’un objet domestique une machine grimaçante et menaçante.

Cette exposition donne toute sa valeur à la dimension surréaliste, à la légèreté et à l’humour de l’approche de l’artiste comme ses cages à oiseau, ou ses objets faits de cheveux, ou encore son « Jardin public », 1993, une banale chaise de parc en fer dont l’assise est recouverte d’un triangle de poils pubiens, jouant sur l’homologie de son entre les mots public et pubis. Les matériaux sont simples, ordinaires, mais leur agencement engendre pour le visiteur un climat déstabilisant, sur fond de fausse tranquillité, et cela d’autant plus que l’artiste joue sur les échelles, comme dans les mondes d’Alice ou de Gulliver.
En esthétisant les rognures d’ongles ou les poils, elle a souhaité travailler sur le sale, ce que l’on jette ou occulte, pour le rendre humain, non pas dans une visée gore, mais dans une posture ouverte à toutes les interprétations, loin des provocations de Jan Fabre qui, jusqu’au théâtre, imposait au spectateur les fluides corporels. L’expression de l’artiste joue sur les paradoxes formels, oscille entre le calme et la violence.

Mais c’est dans les grandes œuvres récentes utilisant des représentations géographiques que Mona Hatoum est la plus convaincante et s’éloigne de ses interrogations sur l’identité pour porter un regard inquiet sur le monde et les risques de déstabilisation globale.

« Hot spot », 2014 : une grande mappemonde de fer de 2m de diamètre sur laquelle sont tracées les limites des continents à l’aide de néons rouges, qui suggèrent une grenade et le cordon qui va la faire exploser, comme si les points chauds du monde étaient désormais partout.

« Projection », 2006 et 2008 : une série de cartes utilisant la projection de Peters qui donne la véritable échelle des continents, notamment de l’Afrique qui apparaît beaucoup plus grande que sur les cartes habituelles. Mais les continents sont ici des fissures ou des trous dans les tapis ou les papiers comme s’ils avaient été dévorés.

« Map », 2014 : une salle entière de billes de verre dessinant au sol la carte terrestre, devant une magnifique vue perspective sur Paris. La vision oscille entre la joie du jeu enfantin et l’inquiétude devant la fragilité extrême de l’œuvre, car il suffit des vibrations des pieds du spectateur pour détruire des parties ou effacer les frontières.

La grande interrogation de Mona Hatoum se trouve peut-être exprimée dans une œuvre de 2008, « Undercurrent (red) » : un câble rouge vif tissé pour faire un tissu carré, qui rappelle la symbolique du voile de la Kaaba, encore que celui-ci soit noir, d’où sortent des brins avec de petites lampes rouges dont l’intensité varie lentement, comme une créature menaçante évoquant la Méduse. Avec ce grand disque rappelant la forme de la terre, l’artiste se fait peut-être l’écho des risques planant sur celles-ci, qu’ils soient liés au climat ou aux déflagrations régionales : il s’agit d’un pressentiment, et non d’une dénonciation, et elle évite tout pathos.

Le libre parcours entre les œuvres fait ainsi balancer le spectateur de la joie et de la liberté à l’inquiétude et à la peur, dans des formes souvent nouvelles, même si la cage de fer revient très souvent pour exprimer les variantes de l’oppression et de l’angoisse sur le mode d’un enfermement carcéral ancien, mais toujours réactivé. La légèreté et l’humour ne se dissocient pas de la gravité et des paradoxes dans les propos de l’artiste qui ne ferment pas le sens de ses œuvres.

Jean Deuzèmes


A voir au Centre Pompidou jusqu’au 28 septembre

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