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Djeff & Syclo. Euphausia 0.1



Une installation aquatique ludique et interactive, offrant de multiples ouvertures. Exposition d’été 2011 à Saint-Merry .

Djeff Regottaz expose sa vidéo Euphausia 1.0 jusqu’au 10 septembre à Saint-Merry, une œuvre vidéo ludique qui est en accord avec le thème de l’exposition d’été : l’eau.

Voir et Dire a rencontré Djeff Regottaz et son collègue graphiste, Loïc Horellou, lors de la Nuit Blanche à Paris et leur a demandé d’occuper le claustra. L’installation rappelle les jeux vidéo des années 2000 et éveille des questionnements en cascade.

V&D vous invite à vous baigner dans un aquarium virtuel plein de mots que les visiteurs envoient en temps réel par SMS. Au-delà du plaisir immédiat, V&D vous propose d’entrer dans les subtilités de cette œuvre qui est plus qu’un jeu.

Ce qu’on voit…

Lorsque l’on rentre dans le claustra de Saint-Merry, on voit projeté, sur un mur de pierre, un aquarium en image virtuelle composé de plantes qui ondulent et de petits crustacés qui tiennent de la larve et du poisson, se déplaçant dans un liquide bleu.

Tout d’un coup, des lettres, des mots, des phrases tombent du haut comme si une main, que l’on ne voit pas, avait lancé de la nourriture. Certains sont verts, d’autres noirs. Les petits animaux marins s’approchent et choisissent certains mots et les mangent. Les mots qui ont un sens chaud, par exemple orientés vers l’amour ou la générosité, font évoluer les poissons, qui alors se reproduisent très vite. Les mots froids, dramatiques ou mortifères les rendent plus faibles voire et les font dépérir. Les mots qui n’ont pas été absorbés tombent au fond et constituent un engrais pour les plantes.

JD

La main qui donne les mots est celle des visiteurs, qui chaque après-midi d’été, peuvent envoyer des messages par SMS non-surtaxés si vous avez un forfait (06.21.55.56.95), mais aussi peuvent taper des phrases ou mots sur le clavier installé dans le claustra.

Cette œuvre repose sur système informatique sophistiqué et vous fait vivre des émotions d’enfant. Mais cette création ne peut vivre que si des visiteurs se prennent au jeu, seuls ou avec d’autres, et qui rendent publique une idée, un souhait, un essai. Elle a aussi des dimensions et significations sous-jacentes multiples. C’est une sorte de livre d’or pour certains, un simple amusement immédiat pour d’autres. C’est une œuvre de l’éphémère pour un visiteur, car contrairement au livre d’or papier, ses mots ne subsistent que quelques minutes ou, s’ils ne sont pas absorbés par les poissons, vont se retrouver sédimentés avec ceux qui sont tombés avant.

Voir une vidéo sur l’œuvre

Une œuvre métaphorique, une parabole des temps modernes.

Au-delà du jeu, cette œuvre ouvre malicieusement sur plusieurs sens possibles.

Une morale écologique.

La mer, l’eau sont des éléments fragiles ; ce qu’on y verse déséquilibre les milieux, qui vont se réguler de manière diverse. Les visiteurs dans ce jeu, et les humains d’une manière générale, sont responsables de l’évolution de l’environnement et en voient immédiatement les effets. Cette installation questionne la domestication naturelle et l’intervention humaine sur l’évolution et la création.

Une métaphore de l’approche moderne de l’art.

Les artistes ne cessent de nous dire que l’œuvre n’est plus un donné définitif, une vérité transcendante, mais qu’elle nécessite un rapport au spectateur, au milieu qui l’accueille. L’art conteste, pose des questions et n’est plus le miroir de la réalité ; c’est le spectateur qui fait l’œuvre. Ici la réalité est virtuelle et simplifiée, la fascination que l’on pourrait avoir pour cet aquarium est brève, limitée au mouvement des animaux et n’a pas le charme que l’on peut goûter devant les ballets des aquariums de Monaco ou du Trocadéro. En revanche, tout change dès qu’un visiteur, généralement plusieurs envoient des mots. Ce sont les spectateurs qui publiquement et non plus dans leur for intérieur font l’œuvre, la transforment. C’est une œuvre sociale, comme l’avaient voulue les artistes des années 70. Avec sa dimension ludique, Euphausia 0.1 transforme un jeu en œuvre ouverte, car tout va dépendre de la manière dont les visiteurs vont s’impliquer. L’œuvre existe bien indépendamment des visiteurs, mais elle est stable s’il n’y a pas de visiteur. Le virtuel, c’est l’image ; le réel c’est la présence impliquée du spectateur. C’est aussi une œuvre en renouvellement permanent et sans mémoire, puisque l’on ne sait pas comment était l’aquarium une heure auparavant.

Une métaphore du monde social.

Les poissons mangent, meurent, se reproduisent et, s’il y a de nombreux visiteurs, risquent d’occuper tout l’espace disponible. Ils sont l’image de la croissance démographique sur terre, alors que, actuellement, sous la mer réelle les espèces s’amenuisent ou disparaissent.

Pour que ce monde ait un peu d’harmonie, il faut qu’il y ait de la régulation, il faut aussi du temps, des règles et des conditions techniques, qui, ici, sont données par les créateurs de l’œuvre, des Deus ex machina fort discrets. L’œuvre, qui est à l’image du monde, dépend de la manière dont les visiteurs, constituant de leur côté un monde social, vont se comporter avec leur avalanche de mots. Les règles globales sont absolument nécessaires ; c’est le rôle du programme informatique sous-jacent qui, lui-même, peut évoluer pour enrichir les émotions . L’œuvre est aussi sociale dans la mesure où elle est faite des mots de chacun et notamment des autres ! Chacun s’y révèle par des mots, absurdes, simplets, personnels qu’il envoie, ou qu’il n’envoie pas en observant les autres. Ce n’est pas un simple jeu individuel, ce n’est pas un jeu en réseau ou les personnes s’affrontent (il n’y a rien à gagner), mais un moment de proximité sociale par mots interposés. Le claustra de Saint-Merry est un théâtre où les spectateurs sont les vrais acteurs sans le savoir, d’une pièce au scénario non préalable !

Une portée potentiellement universelle.

Dans la mesure où, de n’importe quel endroit du monde, chacun peut envoyer, un SMS (non-surtaxé) qui va tomber dans l’aquarium, à condition qu’il soit envoyé dans les heures d’ouverture, l’œuvre a une dimension universelle et totalement ouverte, c’est une œuvre bien de son temps  : communicante et ludique. Mais, c’est aussi une œuvre secrète, car contrairement aux SMS habituels, il n’y a pas de signature. Et contrairement au monde Internet avec des écrans partout, on ne peut voir les effets de ses mots que si l’on est présent dans le claustra. Bref, une universalité visible que si l’on est présent en un temps défini dans un espace précis de Saint-Merry. Cet universel est contingent, le virtuel n’a de sens qu’incarné, localisé et socialisé. Il n’est pas dans l’ubiquité ou la permanence des réseaux sociaux.

Une sorte de parabole décalée.

Placé dans une église, le jeu va trouver des résonances chez ceux qui se rappellent du texte de Matthieu, la parabole du semeur (Mt, 13, 24-43) où il est question d’un semeur dont les graines tombent dans des terrains divers. Dans l’Écriture, la graine c’est la Parole et ce qui est en jeu c’est la diversité des terrains. Avec Euphausia, ce ne sont pas les terrains ou le paysage virtuel marin, qui comptent mais la qualité et le sens des mots, les paroles et non La Parole. Le rapport terrain/parole est en quelque sorte inversé. En revanche, l’intention et les effets sont les mêmes : liberté du visiteur/de l’auditeur ; si les mots relèvent de la chaleur des relations humaines, les poissons/les hommes grandissent, si ces mots sont mortifères, les poissons/les hommes dépérissent. Mais cette œuvre n’a pas été conçue pour un environnement spirituel. Elle le rencontre ici fortuitement !

Comment cela fonctionne ?

Dans les coulisses se trouvent deux ordinateurs, le premier gère l’environnement marin, la bibliothèque de mots qui associe techniquement des valeurs et des effets sur les poissons ; le second va gérer l’ensemble, ainsi que les messages arrivant par SMS et clavier. Cette œuvre prodigieuse imaginée par Djeff Regottaz et le graphiste Loïc Horellou (Syclo) est visible tous les jours à Saint-Merry, de 15 à 19 heures et parfois dès 12 heures, jusqu’au début septembre.

Né en 1975, Djeff Regottaz vit à Paris. Chercheur à l’Université Paris 8 au département « Culture et communication », il est le fondateur du studio de création numérique « Dekalko studio ».

Site de l’artiste

[(Lire aussi l’article de V&D sur l’œuvre aussi fascinante de Djeff Regottaz, lors de la Nuit Blanche 2011, « Réflexion !? »)]


  Euphausia est un genre de crustacé malacostracé dont les plus communs sont appelés krill. Il appartient à la famille des Euphausiideae. )

Antarctic krill (Euphausia superba)

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