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Christo et Jeanne-Claude. L’Arc de Triomphe, Wrapped



À la fois première utopie imaginée dans leur jeunesse et première œuvre posthume de Christo et Jeanne-Claude : un condensé de la pensée d’un artiste entreprenant et persuasif, un immense succès populaire, un hymne à la liberté et à la gratuité de l’art.

L’œuvre de 2021 avait été annoncée en 2020 par un ultime dessin dans la dernière salle de la grande exposition du Centre Georges Pompidou « Christo et Jeanne-Claude, Paris ! » qui retraçait la période parisienne du couple d’artistes (1958 - 1964), époque fondatrice où il avait défini les bases de son art. Ensuite il est parti s’implanter à New-York, pour préparer des œuvres déposées dans le monde entier.

À voir seulement ce dessin, on avait peine à imaginer sa réalisation, hors d’échelle !
Les œuvres de Christo et Jeanne-Claude sont plus que des objets monumentaux, car elles relèvent tout autant de l’architecture et de l’urbanisme, nécessitent du temps de conception, de négociation, de préparation technique, de persuasion des riverains et associations. Ces œuvres sont aussi des évènements temporaires qui participent des caractéristiques de la ville contemporaine : être dans le transitoire et le flux, tout en y laissant de nouvelles traces mémorielles.

L’œuvre monumentale de 2021 est un immense succès populaire. Elle transforme un monument national à haute charge symbolique, un incontournable de la visite touristique de Paris, et redonne un autre visage à cet immense rond-point urbain, réalisé par Jacques Hittorff travaillant sous Haussmann à partir de 1853, une réussite urbanistique. Par le toucher mais encore plus par la photo, l’œuvre est appropriée par tous, sous l’effet de la révolution du téléphone portable ; elle produit du lien social, jusqu’à induire la fermeture à la circulation durant les WE ! Si l’enterrement de Victor Hugo avait été l’occasion de revêtir de noir le monument, ici la toile reprend de manière subtile, en fonction de la lumière du ciel (ou de l’éclairage la nuit), les trois couleurs nationales. Cette œuvre va au-delà de l’effet « Whaoo », celui de la surprise, car complexe et sensiblement différente du Pont-Neuf Wrapped (1975-1985).

Une œuvre photogénique

Christo et Jeanne-Claude. L'Arc de triomphe, Wrapped (durée : 1’22 s) from Voir & Dire on Vimeo.

(18 septembre-3 octobre 2021),
Comme toutes les précédentes œuvres, celle de Paris 2021, bien que réalisée en un temps record, est exceptionnellement documentée, car l’archivage (maquettes, matériels, photos, films) fait partie de l’acte de création de Christo et Jeanne-Claude, d’où les hangars où sont stockés précieusement les matériels. Christo n’a jamais voulu dépendre de galerie, il faisait tout par lui-même et créait des sociétés de réalisation pour chaque œuvre nouvelle.
Le site de la fondation Christo-Jeanne-Claude a pris le relais avec des images souvent frappantes et émouvantes comme dans Live Stream & Timeline.

Le film de présentation de l’exposition de 2020 au Centre Pompidou, ne portant que sur les années parisiennes, permettait déjà de bien comprendre la dynamique de création et d’empaquetage de Christo dans les années 50.

Voir la visite commentée passionnante(17’)

C’était alors une des réponses de Christo à la tendance artistique de l’époque : dépasser le motif pour explorer les effets de matière. Mais l’artiste explora aussi d’autres pistes comme l’architecture des boutiques, ou la superposition des barils (il habitait près d’un dépôt). Tout fut sujet à empaquetage, y compris les tableaux (Brigitte Bardot ou Jeanne-Claude) qu’il avait lui-même peints, signés Javacheff, devenant Christo après emballage. On a voulu le rattacher au mouvement des Nouveaux Réalistes de l’époque, il s’en est défendu.

C’est dans un texte (octobre 1961) tapé à la machine, associé à des photomontages que sont décrits les principes de l’empaquetage d’un édifice public ; puis, en 1962, il fit un collage photographique de ce que pourrait être l’Arc de triomphe, à partir d’une simple boîte empaquetée. Cette image était très loin de la finesse de l’œuvre de 2021 qui épure l’architecture d’un monument du début du XIXe à la gloire des victoires de Napoléon.

L’entretien avec Sabine Mirlesse, réalisé peu de temps avant sa mort et publié par le Centre Pompidou, insiste sur de nombreux points du parcours de l’artiste dont la chance a accompagné largement l’énergie et la passion artistique déployées avec sa femme, un modèle d’amour fou (ils étaient en outre nés le même jour !).

« Toute personne qui va voir nos projets devrait les lire comme on lit un livre. Il faut considérer l’œuvre comme l’expression d’une liberté totale irrationnelle, exempte de toute justification. Et parce que les œuvres sont liées à la liberté, personne ne peut les acheter, personne ne peut les posséder. Personne ne peut vendre des billets pour les voir, personne ne peut les commercialiser. Il est très important de bien intégrer cela. C’est ce qui rend ces œuvres si uniques. Elles ne voient le jour qu’une seule fois. C’est pourquoi nous avons réalisé vingt-trois projets, et entre-temps nous avons essayé d’obtenir l’autorisation pour quarante-sept projets. »

« Ce que j’aime vraiment, ce sont ces deux périodes distinctes de chacun de nos projets. La période immatérielle et la période matérielle. La période immatérielle, c’est quand l’œuvre n’existe pas. Elle n’existe que dans l’esprit des personnes qui tentent de nous aider à obtenir une autorisation, et dans l’esprit des personnes qui tentent de nous en empêcher. Pendant ce temps, le projet acquiert son identité. […] L’obtention de l’autorisation est la partie la plus importante d’un projet. C’est l’énergie et l’âme de l’œuvre. »

« Si tout tourne autour de la liberté, c’est parce que je me suis échappé seul pour faire de l’art, tout simplement. Mon art. Je ressens un plaisir incroyable à faire de l’art. »

La singularité de Christo tient dans ce mélange d’artiste et de chef d’entreprise qui lui permet de s’échapper des intermédiaires que sont les galeries qui financent de plus en plus les œuvres, les stockent, spéculent. Il y a du libertaire jouant avec les règles capitalistes chez celui qui a fui le système communiste de la Bulgarie et qui a gardé le sens de la liberté à partager, gratuitement avec tous. Le long temps de conception et de négociation des œuvres lui permettait de réaliser des maquettes, de dessiner, de peindre, de faire des simulations et de vendre ces documents préparatoires pour collecter l’argent nécessaire au montage. Il avait fallu 35 ans pour concevoir et réaliser l’enveloppe du Reichstag ; The Pont-Neuf Wrapped [Le Pont-Neuf empaqueté], Paris, avait pris 10 ans ; mais L’Arc de Triomphe, Wrapped fut accompli en un temps record : 2 ans.
Dans le cas de l’œuvre de 2021, les autorisations ont en effet été données de manière exceptionnellement rapide, le succès du Pont-Neuf avec ses 3 millions de visiteurs étant la garantie d’un triomphe. Faute de temps, l’argent est alors venu de la vente à des institutions du matériel amassé pour des réalisations précédentes, donc l’œuvre a, une fois de plus, évité tous les circuits privés et publics.

« La question de la liberté est au cœur de l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude. D’où l’autofinancement, mais aussi le fait que chacun puisse venir voir l’installation. C’est gratuit, ouvert à tous, on peut même la toucher.  » (Vladimir Yavachev, neveu de Christo, chargé de la mise en œuvre, in Le Monde 18-09-21)

Christo raconte l’histoire de l’œuvre, mais se défend d’en donner un unique sens, alors qu’avec le Pont-Neuf Wrapped, il s’agissait pour lui de célébrer tous les artistes qui avaient parlé de ce pont, du lien de la terre à l’eau, de donner une image neuve au plus vieux pont de Paris, etc.
« Toute interprétation est donc légitime. L’œuvre se révèle à nous. Elle renferme une grande richesse humaine. Elle est engagée. Personne ne pense à la peinture d’un peintre avant que le tableau ne soit peint. Il en va de même pour la sculpture. Tous nos projets sont discutés avant qu’ils n’existent parce qu’ils ne sont pas des œuvres d’art ordinaires. Ils relèvent également de l’architecture et de l’urbanisme. « Nos œuvres sont une perturbation dans l’espace », comme disait Jeanne-Claude. »

Alors qu’en dire ?

En revêtant l’Arc de triomphe, Christo donnait corps à la première idée de sa vie, enfin, mais cette fois-ci facilement. Ce fut aussi sa dernière manifestation.

L’œuvre est encore plus architecturale et urbanistique que jamais ; du point de vue urbanistique cette œuvre répond à la Grande Arche de la Défense par sa simplicité formelle et sa blancheur ; l’œuvre vue de partout, car située sur un monticule, la butte de Chaillot, est exceptionnelle non pas seulement à cause de sa taille, mais parce qu’on a autorisé un artiste à « se saisir » d’un monument à la symbolique intouchable (cf. épisodes Gilets jaunes) et que le fonctionnement urbain en est même modifié le WE ; avec la toile brillante à la surface métallisée, mais souvent blanche à la lumière et ses fils de trame bleus, avec les cordes rouges, elle reprend de manière ténue et subtile les couleurs du drapeau tricolore ; sous l’œuvre, la flamme est restée active comme le symbole fondamental de la liberté défendue par un soldat inconnu et a vu son mouvement amplifié par les flottements au vent de la toile.

La foule répond au don temporaire de l’artiste en y venant lui rendre de facto hommage, donc à sa manière de concevoir l’art ; l’œuvre créée de l’admiration, de la joie partagée, donc du lien entre tous ceux qui la touchent et la photographient ; cette image sera probablement largement réutilisée dans la politique de communication de la Ville, notamment lors des JO ; par ses dimensions et sa technique, l’œuvre pousse encore plus loin l’expression de l’art monumental et du Land Art ; ce type d’œuvre s’inscrit dans ce renouveau de l’usage public que l’on constate dans toutes les grandes villes et crée une nouvelle mémoire des lieux.
Cette dernière œuvre de Christo affirme dans la plus grande cohérence des principes qui ont guidé sa vie d’artiste : la gratuité, l’accès à tous par l’espace public, la liberté, la recherche de l’accord de toutes les parties prenantes pour que l’œuvre voie le jour.

Une grande œuvre à toutes les échelles spatiales et sociales.

Jean « Deuzèmes

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