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Bioules, Daviot, Lapie, Michel, …et Job



Quatre regards d’artistes, quatre évocations des fondements de l’acte créateur face au Livre de Job

Yann Toma. Le serment de Job

Ils étaient quatre, sa femme et trois amis plongés dans le doute face aux malheurs de Job. Ils étaient dix-neuf artistes des arts visuels contemporains invités à une exposition marquante, « l‘art au défi de l’espérance », en janvier 2013 ; ils s’étaient vu poser au préalable une question : « comment avez-vous lu le texte de Job et comment l’exprimez vous ? ». Or Job est le thème biblique le plus repris dans l’art, toutes époques confondues.

V&D a choisi quatre d’entre eux, ainsi que les entretiens qu’ils ont accordés pour le numéro spécial de la revue « Art absolument ». Quatre points de vue sur l’acte de création artistique. Une invitation à lire l’ensemble de cette livraison remarquable…

Lire article de V&D présentant l’exposition qui s’est tenue à la mairie du VIe

Vincent Bioulès. « Cela s’appelle ne pas être seul… » 2012, Huile, 130x97.

Un tableau aux traits dramatiques, extrêmement composé, avec des personnes de notre temps : Job, est l’objet du regard des autres, ses trois amis en costume, le visage dominant et dur et celui de son chien. Tous sont en contrejour. La femme de Job a un visage légèrement au-dessus de lui ; elle est en pleine lumière. Le ciel est très présent, avec ses nuages. Vincent Bioulès est un homme du midi montpelliérain qui, après avoir été un des acteurs de la peinture radicale des années 70, est revenu à des peintures de paysages et de personnages, où la quête spirituelle transparaît souvent.

Entretien « Le ciel se dégage pour tous les personnages [...] »

Je n’ai pas fait de dessins préparatoires pour cette commande, je me suis lancé directement au format, en peignant très largement au pinceau. J’ai fait ce choix afin que l’œuvre conserve son caractère spontané et expressionniste auquel je tenais particulièrement. […] Le thème de Job est surtout difficile à traitre ici car il s’agissait de travailler sur l’espérance. Sinon, il aurait été tout-à-fait de réaliser quelque chose de très théâtral, d’insister sur la souffrance, d’insister sur la souffrance, la solitude du personnage, comme leJob de Léon Bonnat, par exemple. […]

Les amis de Job ont une place importante dans le texte. Ils correspondent aussi à un univers social tout à fait déterminé : les gens bien-pensants. Leur rôle n’est pas du tout inintéressant et ils incarnent la pensée des gens bien-pensants par rapport aux mystiques. L’église a toujours été constitués par un ensemble de gens bien-pensants ; mais aux-aussi peuvent vivre la même histoire que celle de Job. Ils ne sont pas du tout à l’abri. D’ailleurs dans le livre de Job, les trois amis doutent également. Dans ma toile, aucun d’entre eux ne se rend compte que le ciel est en train de se dégager, que le beau temps revient après l’orage. Pourtant, le ciel se dégage pour tous les personnages, pas uniquement pour Job…


Éric Michel. « Infini » 2012, sculpture en néon bleu, 42x 21x13.

Une forme petite, concave, contrastant avec le sens du signe, l’infini. Un objet blanc, qui émet une lumière bleue ; il est ouvert vers le haut, le ciel. Une sculpture avec un socle blanc bien plus grand qu’elle ! L’œuvre est belle et allie des contraires de manière mystérieuse. L’artiste est issu du monde de la musique, mais est venu aux vibrations du néon dans les années 80. Il a proposé de splendides objets de néon pour le couvent de la Tourette, « Les passeurs de lumière » réalisant un dialogue très juste avec l’œuvre lumineuse de Le Corbusier.

Entretien : « La symbolique de l’infini ouvre le questionnement [...] »

Je ne sais si « l’art sauvera le monde », pour reprendre la célèbre phrase de Dostoïevski, mais il me semble crucial, pour un créateur, de se laisser interpeller par la problématique de « l’art au service de l’espérance ». Il en va de notre vision de la vie, ou tout au moins de notre engagement.

[…] La symbolique de l’infini permet de réunir les dimensions matérielles et immatérielles, les considérations physiques et métaphysiques, elle permet le dépassement des frontières et ouvre ainsi le questionnement du spirituel dans l’art.
L’infini, l’éternel retour, convoque tour à tour Nietzsche, Kierkegaard, la dialectique du destin et du libre arbitre, celle du bien et du mal. Se pose alors la question de la justice (la justesse ?) dans la création –et à travers elle l’énigme de l’itération- qui peut aboutir à un équilibre, une harmonie ultime. Ce qui est donné peut-être repris, et donné de nouveau, pour boucler la boucle.

L’infini-néon laisse circuler les énergies, son symbole se développe en circuit fermé mais sa fluidité déploie un rayonnement, et de lui émane une aura.
Il symbolise la loi éternelle de l’unité de l’être, l’ouverture à l’harmonie, à l’écoute de la vie.

Pour terminer, je reprendrai donc à mon compte la réponse de Yves Klein à la question « qu’est-ce que l’art ? « il répondait : « l’art c’est la vie ! »

Christian Lapie. « Dans le souffle des cendres », 2012, Bronze, 245x75x55.

Noir. Est-ce bien un bronze peint ou un bois calciné ? Un homme debout, qui domine les visiteurs, un corps démesurément long, fait d’aspérités, un visage taillé au burin, un homme qui a vécu. Il est entouré de branches souples, à la fois emprisonnantes et protectrices. La statue n’a pas de socle sur lequel reposer, elle surgit du sol, un liquide incertain l’entoure. On peut en faire le tour, sur tous ses côtés l’homme est blessé mais il demeure digne et impressionnant.

Entretien : « J’ai arraché du bois partout sur le corps de la sculpture »

J’ai relu le Livre de Job que je connaissais vaguement. Je dois admettre que cela m’a effrayé. Je ne voyais que de la souffrance et de la culpabilité : les tourments de Job, le rapport ambigu entre Dieu et le diable, entre Dieu et Job. Pourtant, malgré cette lecture décevante, j’ai voulu m’accrocher à cette histoire car le connaissais les commanditaires, en qui j’avais confiance. J’ai donc décidé de reprendre contact avec un rabbin très érudit, Haïm Korsia. Il m’a expliqué comment lui appréhendait ce fameux texte. Je me suis rendu compte qu’il y avait une grande liberté d’interprétation. Surtout, Job m’est apparu comme un homme fort qui résiste. Il demande des comptes à Dieu, il lui fait face. C’est ça qui est incroyable !

[…] Mes figures sont toujours face à des situations difficiles où il y a un problème, un manque. Je ne cherche pas à placer mes sculptures, ce sont toujours des personnes qui viennent me voir car elles ont besoin de leur présence. Alors, de la défiance, je suis passé à la réflexion inverse : « Si Job s’incarne dans tout mon travail, comment vais-je faire pour le traiter ici spécifiquement ? » J’ai alors décidé de ne pas travailler à partir d’un groupe de plusieurs personnages comme je le fais habituellement. Car Job, lui, il est face à Dieu, à ses amis, à lui-même. Je voulais qu’elle ait des éléments qui ne soient pas naturalistes. Elle devait avoir une certaine instabilité, idée qui se matérialise la forme du socle. C’est que Job a connu bien des misères ; cela peut être du sang qui se répand, de la sueur. Pour les mêmes raisons, j’ai arraché du bois partout sur le corps de la sculpture. Par ailleurs, je souhaitais que l’œuvre ait une grande vitalité, à l’image de la personnalité de Job. Ce dernier devait être accompagné par d’autres éléments.

J’étais face à une nouvelle difficulté puisque je ne pouvais pas travailler avec un environnement naturel, comme à mon habitude. Mon choix s’est donc porté sur la figuration de lianes, qui représentent la vitalité et la vie. On peut penser que c’est Dieu, être indescriptible, qui entoure Job…tout en gardant à l’esprit que c’est Job seul face à son destin…[…] Dans ce format-là, le bois donne l’impression d’une chose légère, Tirée en bronze, la sculpture paraît plus réelle, forte.


Jean Daviot. Espère. 2012, tirage sur toile 100x162

Une toile d’un bleu intense, d’une tonalité ancienne comme celle d’un vitrail. La lumière passe et envahit doucement comme dans les installations lumineuses d’un James Turell. Le vide de la représentation surprend. À la place, un jeu de mot que les psychanalystes lacaniens pourraient reprendre à leur compte. Sourire du visiteur, mais contemplation. L’œuvre interpelle.

Entretien : « Renvoyer la lumière de la question et de l’espérance [...] »

« Est ce père" ? C’est la question de Job au Père, à Dieu qu’il invoque : « Est-ce-vous Père ? », « Qu’est-ce qui m’arrive ? »- La question de l’existence mêle de Dieu : « Êtes-vous là ? »Dans l’espérance, il y a avant tout, pour moi une question, une adresse. La question est plus importante que la réponse, l’en-vie, l’attente d’une réponse.

Je souhaitais renvoyer l’attente d’une réponse. Je souhaitais renvoyer la lumière de la question et de l’espérance au travers de la couleur bleue d’un vitrail du XIIIe siècle conservé au Louvre. Auparavant, il avait dû éclairer l’espérance des fidèles de son église d’origine pendant huit siècles ; J’ai inscrit la question dans son reflet. Le lien au vitrail m’intéresse car la lumière naturelle y est transformée par la couleur.
[…]
C’est un bleu que l’on peut voir dans le ciel « entre chien et loup », au commencement de la nuit quand le jour disparaît. C’est le bleu de l’interrogation. Mais c’est également le bleu de la tunique de la Vierge. Particulièrement celle de La vierge de douleur au pied de la croix, tableau peint par Philippe de Champaigne, dans un bleu très lumineux. […] D’une certaine manière, il n’y a pas de vie sans espérance ni d’espérance sans vie. Je pense que c’est l’origine et la cause même de l’art…Faire une œuvre d’art est un acte d’espérance. Durant tout le XXe siècle, certains n’ont cessé de répéter que l’art était mort : plus il est dit que l’art est mort, plus il est vivant. Je peins au XXIe siècle en employant des moyens, des techniques et des matériaux actuels, c’est mon espérance.


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Ensemble des textes édités par Renée Moineau
Entretien avec Sabrina Dubbeld (Commissaire) et TomLaurent



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