Un site de découvertes de l’art contemporain en résonance avec le projet culturel et spirituel de Saint-Merry-hors-les-Murs

V&D sur instagram

Accueil > Actualité > “L’ENVOL” OU LE REVE DE VOLER. MAISON ROUGE < 28-10-2018

“L’ENVOL” OU LE REVE DE VOLER. MAISON ROUGE < 28-10-2018

vendredi 24 août 2018

Fin octobre 2018, la Maison rouge fermera ses portes. V&D est triste comme tout le monde. Un des lieux les plus originaux de Paris dont le concept a été inventé par le collectionneur Antoine de Galbert sera remplacé par des bureaux. Ce n’est pas un échec, mais un choix de son fondateur qui continue à affirmer sa liberté et veut passer à autre chose, probablement dans l’art.

Pour ce dernier acte, une « bande des quatre », deux couples amis qui ont souvent exposé leur propre collection deviennent commissaires de l’expo dont le titre symbolique « “L’envol” ou le rêve de voler » porte une espérance que les artistes ont souvent en eux. Antoine de Galbert et sa femme, Barbara Safarova, Bruno Decharme et la sienne, Aline Vidal ont imaginé ensemble cette exposition qui traite du rêve de voler, sans jamais s’intéresser à ceux qui y sont réellement parvenus. Conformément à l’esprit de décloisonnement défendu par la maison rouge, L’envol regroupe des oeuvres d’art moderne, contemporain, brut, ethnographique et populaire. Dans une déambulation au fil des différentes thématiques, se succèdent environ 200 œuvres entre installations, films, documents, peintures, dessins et sculptures.
Passionnant, parfois répétitif, mélancolique, plein de découvertes à faire.

Jean Deuzèmes

Dossier de presse

Au commencement était Dédale, l’inventeur génial de l’évasion, de la fuite dans les airs, entraînant avec lui son fils Icare, tous deux harnachés d’ailes, deux prothèses collées à la cire. Ils s’élèvent, grisés par le vol, portés dans l’atmosphère. La suite, on la connaît. Icare s’approchant trop près du soleil voit ses ailes fondre et meurt, précipité dans la mer. Du réel à la mythologie, le ciel est un terrain de jeu risqué pour l’homme. Remettre en cause les lois de la gravitation, tenter des évasions hors du champ terrestre, se lancer dans l’inconnu, expérimenter l’état gazeux de l’atmosphère, entre deux turbulences, par hédonisme ou par militantisme car il faut bien sauver les hommes d’une destruction du monde, s’en donner les moyens, construire des abris volants, bâtir des utopies. C’est un vaste projet que nous proposent les cent trente artistes réunis dans L’envol. Le ciel, un territoire généreux partagé entre des artistes extravagants, convaincus de pouvoir vaincre la pesanteur ou les dieux qui le peuplent et les autres, les conceptuels, qui imaginent des fabriques d’utopies, plus proches des poètes que des scientifiques.

Défier la pesanteur

Si le désir de s’envoler s’avère aussi ancien que l’humanité et si le ciel a laissé entrevoir un peu de ses mystères grâce au progrès de l’aviation, il n’en reste pas moins que l’homme n’est pas un oiseau. Se parer de plumes n’est pas suffisant. Gagner cette liberté, élargir les limites de son champ d’action en tant qu’être incarné, nécessite un surpassement car le corps seul peine à s’élever. Dépourvus d’ailes, les danseurs s’élancent et défient la loi de la gravité sans craindre la chute ou l’épuisement (Loie Fuller, Nijinsky, Cuningham…). Rodchenko, photographe de la propagande russe, fait s’envoler les athlètes, joue de plans audacieux, de contre-plongées. Culte du corps au service de la révolution dont les héros sont propulsés au firmament. Lucien Pelen cherche l’anti- matière, tente de fondre son corps dans l’atmosphère. Il s’élance bras tendus dans un infime interstice d’extase avant le retour brutal à terre. Frôler les limites du possible, tel est le fragile équilibre à tenir. Quand Gustav Mesmer fixe des ressorts à ses chaussures pour rebondir ou équipe son vélocipède d’immenses ailes semblables à celles des chauves-souris, se doute-t-il de la précarité de ses inventions ? Au diable les sceptiques. Ne faut-il pas posséder un grain de folie pour inventer sa liberté ? Souscrire à des excès comme Rebecca Horn qui en quête de nouvelles sensations de l’espace dissimule son corps souffrant sous des éventails de plumes et cherche les limites de son extension, étirant des ailes animées jusqu’à épuisement des mécanismes.

Vers l’infini et au-delà

Aussi, la lourdeur du monde est propice aux vagabondages à l’ombre des paradis terrestres. Frédéric Pardo, étoile psychédélique, laisse une oeuvre planante, une peinture ancestrale à tempera réalisée sous l’emprise du LSD. Il rejoint le rêve des Mille et Une Nuits, ceux qui croisent les âmes sur des tapis volants (Urs Lüthi). C’est une étendue sans frontières où se côtoient aussi les super-héros, les Batman et autres sorcières à califourchon sur des balais en bois. Un monde foisonnant de chimères et de fées. Des mystères hantent le ciel, les chamanes, grands voyageurs d’un monde autre, dialoguent avec les esprits, collectent des informations. Le ciel comme un vaste bordel où chahutent et culbutent des êtres hallucinants mi-anges mi-humains (les Blengins d’Henry Darger, côtoient Arzak de Moebius, les hybrides de Friedrich Schröder-Sonnenstern, et les femmes-oiseaux de Kiki Smith).

Ingénieurs de l’impossible

Avec sa sculpture, plus plastique que volante, Tatlin s’attache à retrouver une expérience humaine ancestrale et mystique. Letatlin est une synthèse d’art, de technique et d’utopie, conçue comme une tentative de rêve individuel. On est en 1929, la crise frappe le monde. Le désir d’échapper brûle les têtes et libère des fantaisies d’infini. “Nous devons apprendre à voler dans l’air comme nous avons appris à nager dans l’eau et à rouler à bicyclette”, déclare l’artiste. Une quarantaine d’années plus tard, l’artiste belge Panamarenko le prendrait-il au mot ? Obsédé par la liberté du vol, il s’applique à fabriquer des engins aussi sophistiqués que poétiques, bardés de souffleries et de moteurs. Des constructions volantes à la fois folles et techniquement peu viables, mais sur lesquelles l’artiste se plaît à divaguer et à parier qu’elles le feront planer. Ces ingénieurs de l’impossible fabriquent des machines aussi belles qu’inutiles sauf pour les rêves qu’elles suscitent. Dans Luna de Fabio Mauri, on se love pour vivre l’expérience de l’apesanteur, une immersion sensible au sein d’un environnement floconneux ; aux commandes de son Spacecraft, autant inspiré de la navette spatiale de Mercury que de la cabane dans les bois de Henry-David Thoreau, Stéphane Thidet joue de ses instruments électroacoustiques mixant conversations entre cosmonautes et arrangements sonores. Tous s’enferment dans leur monde pour mieux s’enfuir ailleurs, vivre des expériences extraordinaires, retrouver les fantasmes de l’enfance, mais avec des outils d’adultes comme Roman Signer qui joue avec la poudre d’explosifs, déclenche des déflagrations aussi fascinantes qu’illusoires. Car à quoi sert de faire voler en éclats des objets du quotidien ? De faire démarrer un hélicoptère dans une piscine gonflable au risque de tout détruire ? À quoi bon s’exposer aux dangers si ce n’est pour se rapprocher de l’inventeur du monde et tenter de reproduire les forces de la nature.

Aviateurs d’intérieur

Il existe aussi des marchands de rêves qui portent en eux une mission intercéleste. Des artistes de l’hors norme, les incompris du monde cartésien, illuminés par d’autres raisonnements, persuadés d’un envol possible, façonné de bricolages. Les adeptes d’un monde sans explosions, ni chutes, nourris de croyances fortes, de quêtes d’absolu comme Hans-Jörg Georgi dont la mission, est de sauver l’humanité d’une destruction inéluctable. Ses avions de carton et de colle, construits patiemment chaque jour, envahissent son atelier. Karl Hans Janke est lui aussi passé maître dans la construction de vaisseaux spatiaux ; il est l’auteur de pas moins de 4 500 dessins décrivant des centaines d’innovations techniques. Charles Dellschau, membre du Sonora Aero Club censé réunir secrètement des amateurs de vol chargés de construire le premier avion navigable dès 1850, atteste de cette obsession et du rêve de fuite. De folles échappées, guidées par l’esprit, qui s’avèrent moins périlleuses et tout aussi exaltantes que celles pratiquées par les utopistes du réel. Prendre de la hauteur, telle est la direction choisie par Adolf Wölfli dans un délire d’absolu à vouloir embrasser la Création, l’Espace et l’Éternité. L’association de perspectives contraires nous livre des visions supposées réelles et contradictoires. Le vertige nous gagne. Les progrès spectaculaires de l’aviation n’ont pas fait disparaître les rêves de tous ces inventeurs magnifiques. Deux mondes inconciliables se partagent toujours le ciel. Et qui pourrait interdire aux artistes d’aller chercher leur inspiration auprès d’un autre soleil ? Icare, malgré sa chute, reste un éternel héros.

la maison rouge, Paris
du 16 juin au 28 octobre 2018