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Résonance. Le religieux saisi par une galerie.



Retour en grâce du religieux dans les lieux de l’art. Comment cela se traduit-il ? Un exemple de cette tendance à partir de trois œuvres exposées à Noël 2024 dans une galerie parisienne.

Il y a de la rivalité sourde dans l’art contemporain que les institutions d’Église exposent. Certes il y a des débats. La grande star de la peinture figurative français, Claire Tabouret a été lauréate des vitraux de six chapelles de Notre Dame de Paris dans le cadre d’une grande consultation publique : un «  hommage à Viollet-le-Duc » dit-elle sans éteindre les polémiques des défenseurs du patrimoine. Mais il est d’autres lieux où l’Église tient à reconquérir sa place dans l’art d’aujourd’hui. Le figuratif est devenu la doxa. Or, avec des manières plus feutrées et d’autres enjeux, se jouent un autre face-à-face entre les Bernardins, la vitrine de l’archevêché et Saint-Eustache, le lieu d’affirmation d’une pensée oratorienne. Parmi les critères se joue au moins un débat ancien que Yves Trocheris résume [ « L’expression de la religion par l’art] n’a rien à voir avec la croyance de l’artiste. Mieux vaut un génie sans foi qu’un croyant sans talent. » (Rotary mag juin 24). Il suffit de s’en rendre compte avec les Bernardins qui n’expose que des artistes catholiques comme Augustin Frison-Roche, alors que Saint-Eustache a choisi un musulman pour la conversion de Saint-Paul, Dhewadi Hadjab. À côté de cette grande scène parisienne, des lieux mineurs, comme les galeries, essayent de se frayer un chemin dans la représentation religieuse ou de répondre aux besoins de spiritualité qu’ils perçoivent.

  • C’est ainsi que la petite galerie Victor Edouard, dans le quartier à haute densité culturelle de la rue Mazarine, a exposé sept artistes durant le bref temps de Noël 2024, avec un titre ambivalent et éloquent : « Résonance ».

-* Disons-le au préalable, la petite galerie Victor Edouard détonnait en plein temps de Noël. Certes, en vitrine, une délicate vierge à l’enfant, sculptée en marbre par Anne Laure de Chillaz, attire le visiteur, mais ensuite en avançant dans la profondeur de cet espace on découvre tout autre chose : le thème dominant est celui de la figure du Christ et de sa passion.

Cette exposition pertinente par ses associations d’accrochage laissait aussi la place à des dissonances esthétiques. Elle ne commentait pas des textes, mais regroupait des artistes, chrétiens ou non, s’exprimant pour la plupart dans un style figuratif, connus du galeriste et déclinant leurs élans de spiritualité ou de mysticisme. Certains semblent happés par le sujet, d’autres ne l’abordent que fortuitement. Si résonance il y a, c’est non seulement entre les œuvres exposées, mais aussi avec celles d’autres artistes. Voir et Dire a choisi 3 artistes utilisant des médiums différents.

Ivan Martel. La pâte humaine

Ce jeune peintre, dont la notoriété croît dans la sensibilité religieuse d’aujourd’hui, (lire : Une peinture psalmiste est bien sûr présent avec ses réinterprétations du clair-obscur poussé à son extrême puisque le noir dans son épaisseur est la teinte majeure sur laquelle l’artiste vient déposer des taches blanches et signifier une lumière intérieure. « Son couteau enduit de blanc vient ciseler l’obscurité […] taillant dans un bloc de ténèbres comme le ferait un sculpteur dans un bloc de marbre.  »

Ivan Martel, La jeune femme à l’enfant, 116 x 81 cm, © Ivan Martel
Ivan Martel, Le bon berger, 116 x 81 c © Ivan Martel

Il y a de la tendresse dans les deux tableaux de la jeune femme à l’enfant et du bon berger, l’orientation des yeux et la position des bras et des mains sont les mêmes. L’agneau regarde le spectateur et prend les traits d’un enfant pour l’homme ; concentrant picturalement le plus de blanc, c’est lui le vrai sujet. Généralement le bon berger est représenté portant la brebis égarée sur ses épaules ; ici le modèle porte l’animal comme dans un certain nombre de Jean Baptiste. Les deux sujets sont dans le bonheur intérieur et le font partager. Placés l’un à côté de l’autre, les deux tableaux évoqueraient un couple. L’artiste qui inscrit la mère dans le registre de la représentation de la Vierge de tendresse est loin des signes du féminisme contemporain. Tout est hors du temps et situé socialement dans un monde rural indéfini, le symbolique est lié au réel.

Ivan Martel, Golgotha 92 x 65 cm (x3)

Golgotha : En ayant supprimé toute croix ou tout support pour concentrer l’attention du regard sur les hommes, l’artiste aboutit à une vision paradoxale, les trois personnages sont à égalité dans la souffrance mais leur corps semble danser les derniers instants de leur vie humaine. Tout est question de regard : le bon larron est immédiatement reconnaissable, à gauche, il regarde le Christ dont on ne voit pas les yeux mais qui, lui, porte son regard vers les visiteurs, l’autre larron détourne son regard et fait son choix, il s’enfonce dans le sombre pictural.

Golgotha, ce triptyque de petit format, est une étude pour la grande œuvre qu’il peindra in situ pour l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen au printemps 2025.

Ivan Martel. Simulation pour l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen (printemps 2025) © .

Une résonance peut émerger dans une figure inversée terme à terme : l’immense Christ blanc en papier, dans la solitude du dernier souffle de Charles Ray, vu récemment à la Fondation Pinault ( Lire StM HlM ) Study after Algardi, 2021.

El Padre. Chemin de croix, la mise en scène du sens

L’œuvre photographique de Jean Dominique, « El Padre » par vocation et photographe par émerveillement comme il se définit lui-même (site), est un chemin de croix photographique en noir et blanc impressionnant, aux 14 stations plus une, la Résurrection. Cette figure traditionnelle dans l’art et la pratique religieuse se singularise par les modèles choisis et leur environnement, ainsi que par la qualité des tirages.

El Padre, Station 15 : Résurrection, Photographie ; © JD

Les personnages sont ceux d’aujourd’hui, les représentants du pouvoir et notamment ceux qui sont chargés de la sécurité de la société : soldats, gendarmes, policiers.

El Padre, Station 1 : En gants blancs le jugement qui rapporte, photographie, © JD

Dans les représentations traditionnelles, les soldats sont secondaires ou se fondent dans les scènes, puisque les personnages centraux sont le Christ, les disciples, femmes et hommes ; ici les représentants de l’ordre prennent une place essentielle. Cette suite de saynètes évoque la dimension politique de l’évènement.

El Padre, Station IX : Troisième chute, photographie, © JD

La résonance avec d’autres œuvres est ici très particulière. Il s’agit de la transposition d’un autre chemin de croix, celui de Bruno Desroches, un artiste peintre qui l’a réalisé pour l’église Saint-Nizier de Lyon en 2019à la demande du curé recherchant une œuvre contemporaine parlant à chacun et dans une visée missionnaire (visionner vidéo). Des étudiants d’une école d’art ont servi de modèles à ses quinze tableaux.

Bruno Desroches, croquis préparatoires au chemin de Croix, 2019

Bruno Desroches, croquis préparatoires au chemin de Croix, 2019

En accord avec le peintre lyonnais, El Padre a repris cette idée dans son champ artistique en mobilisant des comédiens familiers de l’interprétation dans la tradition des Mystères du Moyen-Âge. En effet, la crypte de l’église Saint-François d’Assise de Ménilmontant est, chaque année depuis 1932, le cadre de ce spectacle. Le photographe a utilisé le matériel des acteurs, a récupéré des tenues de soldats et de policiers, puis, en cinq jours, a choisi les sites urbains et fait les prises de vue. Seuls le Christ et la Vierge Marie sont représentés dans les habits traditionnels, les autres ont les vêtements du XXIe siècle, les nôtres ou ceux qui nous sont familiers. Le spectateur de ce chemin de croix photographique est non seulement témoin d’une Passion qui se rejoue dans le monde d’aujourd’hui, mais il est ici impliqué. Les tirages aux pigments de charbon (piezographie-pro), offrent des dégradés de tonalités de gris d’un modelé et d’une richesse remarquables, qui sont en résonance technique avec le travail au couteau de Ivan Martel, le format carré (60 x 60 cm) exprime l’universalité et la permanence du sujet.

« Le choix du traitement noir et blanc exprime tout à la fois simplicité et jaillissement. Le choix de travailler les tirages avec de forts contrastes aide à percevoir les contrastes spirituels et psychologiques vécus sur cette " via Dolorosa. "  » (El Padre – site Internet)

Pierre de Saint-Maur. La dépossession du Stylite

L’artiste du Morvan est un peintre de paysage extrêmement sensible qui aime aussi sculpter des enfants à l’allure de Putti, tout en rondeur et en souplesse.

Mais c’est à une autre tradition qu’il puise pour ce bronze de petite taille (41x41cm), faite pour la contemplation, la prière ou le silence : la représentation de l’ascèse, ici celle de saint Siméon le Stylite.

Pierre de Saint-Maur, Le Stylite © JD

« Tête baissée en soumission, les mains ouvertes vers le ciel, absolument déterminé et abandonné à la fois, il tient une posture pour la vie, car il n’attend rien ni gloire ni consolation – seule une brise fait frémir un pan du linge qui l’habille… Engagé, en un mot, et vivant.  » Pierre de Saint-Maur (La Croix l’hebdo, 12/06/21)

C’est bien un adulte, comme l’attestent la largeur des mains, la longueur des bras et des pieds et la manière dont il est solidaire de son support qu’il prolonge ; il incarne une forme de mysticisme et d’abandon. Placé entre deux œuvres de crucifixion, il a néanmoins le mouvement du crucifié et deux sculptures résonnent en lui. Par son allure, il évoque l’impressionnant « Ecce Homo » de Mark Wallinger, un homme de plain-pied en résine déposé en hauteur sur le quatrième pilier demeuré vide de Trafalgar Square en 2018 qui penche la tête comme le Stylite.

Et plus récemment, mais dans une position couchée, Concrete Dwarf, (Nain en béton), de Charles Ray, 2021, béton, 94 x 160 x 109 cm, avec une tête semblable et des bras écartés. Une figure de Christ, ayant chuté sur le chemin de Croix (?) ou un homme abandonné.

Charles Ray, Concrete Dwarf, (Nain en béton), 2021, béton, 94 x 160 x 109 cm,

Dans cette galerie et en une période de temps très court, le commissaire, par ailleurs délégué aux Commémorations Nationales du ministère de la Culture, fait découvrir avec ce type d’exposition, la multiplicité des sensibilités et d’autres orientations récentes d’un art religieux. Il faut mettre en relation ces artistes (et les galeries) avec les évolutions de la société et son inquiétude, comme un retour à des valeurs d’ordre et de tradition. Le fait qu’un certain nombre des artistes aient été exposés dans des milieux militaires en est un signe.

Jean Deuzèmes


Galerie Victor Edouard, 72 rue Mazarine, 75006 Paris. 10 décembre 2024 -10 janvier 2025.

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