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Ron Mueck. Fondation Cartier 2023



Il choisit la vie, même si la violence reste tapie. L’hyperréalisme de Ron Mueck reprend et dépasse ses problématiques antérieures de la perfection dans l’imitation.

Vous n’en sortirez pas indemnes, mais l’âme desserrée.

Les nouvelles œuvres hyperréalistes du sculpteur australien Ron Mueck bouleversent une fois de plus les visiteurs de la Fondation Cartier qui l’expose à nouveau, signe du lien fort avec l’institution. En 2013, les sculptures dérangeaient par leur réalisme et leur dimension (Lire V&D >>>). Les visiteurs étaient confrontés à l’inquiétante étrangeté de l’intime. Le contact avec ces statues hyperréalistes de silicone peint produisait toujours le même choc : voir un autre que soi, sculpté à une échelle différente avec un soin infini et introduire par le moindre détail à un « monde des doubles suspects ».
En 2023, avec sept œuvres seulement, l’esprit est différent ; l’artiste australien qui travaille seul et produit avec une grande lenteur, puisqu’il a conçu seulement 46 sculptures en 40 ans, montre quelles nouvelles orientations il suit.

Le trouble suscité par l’hyperréalisme en résine n’est plus la posture privilégiée de l’artiste. Comme il s’exprime très peu sur son travail, qu’il n’accorde aucun interview et que les cartels sont simplement des titres, factuels, c’est par la scénographie qu’il a conçue lui-même que l’on s’introduit dans une œuvre en voie d’achèvement ou juste terminée. L’émotion est grande devant ce moment intime de l’achèvement, devant l’interrogation de l’artiste face à la question de la forme en art et se risquant à dévoiler son processus de création, à expérimenter.

Le rez-de-chaussée ne comprend que trois œuvres dont deux monumentales
Mass, (2017)
Dimensions variables

Ce spectacle de cent crânes semblables au travers desquels on déambule est hautement photogénique. L’originalité de cette forme contemporaine de memento mori, si proche des catacombes de Paris, tient à l’installation et à l’intention.
Cette œuvre, commandée par la National Gallery of Victoria (Melbourne, Australie) en 2017, est la plus grande qu’il ait jamais réalisée. « Composée de cent gigantesques crânes humains, Mass est reconfigurée par l’artiste en fonction de l’espace pour chaque présentation. Elle offre une expérience physique et psychique fascinante qui nous amène à contempler les notions fondamentales de l’existence humaine. Son titre donne à lui seul une idée de la polysémie de l’œuvre. Le mot anglais « mass », signifiant à la fois un amas, un tas, une foule, mais aussi une messe, est une source d’interprétations propres à chaque visiteur. L’iconographie du crâne, elle-même, est ambigüe. Si l’histoire de l’art l’associe à la brièveté de la vie humaine, elle est aussi omniprésente dans la culture populaire. »

Pour l’artiste, « le crâne humain est un objet complexe, une icône puissante, graphique, que l’on identifie immédiatement. Familier et étrange à la fois, il rebute autant qu’il intrigue. Il est impossible à ignorer, accaparant inconsciemment notre attention  ».
Les crânes se présentent comme un groupe, une somme d’individus qui s’impose au visiteur. En cela, Mass se distingue des précédentes œuvres de Ron Mueck qui avait, jusqu’alors, toujours représenté l’être humain dans son individualité.

Ces cent crânes sont tous différents avec la combinaison de trois couleurs et de particularités dentaires ou osseuses, mais l’artiste a su en faire un paysage qui dépasse le visiteur. Point n’est besoin de scruter les détails, comme dans les Vanités du XVIIe, c’est ici la déambulation qui invite à une réflexion intime sur la mort, à une sorte de jubilation formelle, une fois passé le premier choc visuel.

Dead Weight, (2021)
155x120x124 cm

Placée à l’extérieur, de l’autre côté de la façade vitrée au crânes, cette œuvre de près de deux tonnes, sombre, presque intime, a le même poids que les cent crânes blancs, car elle est en bronze. Également exposée pour la première fois en France, elle contraste avec ses œuvres habituellement naturalistes. Les traces du moulage de cette sculpture demeurent, l’artiste ayant volontairement laissé les marques de sa fabrication et la nature brute du matériau parler d’elles-mêmes.

A Girl, (2006)
110,5x501x134,5 cm

Avec cette œuvre de 5 m de long, un gigantesque nouveau-né placé en symétrie scénographique de Mass au rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, le visiteur se retrouve en terrain familier, celui des œuvres de la période antérieure. Mais le choc est tout aussi grand qu’avec Mass. Après la mort signifiée dans le reliquat osseux blanc, la vie ; non pas esquissée, mais exprimée précisément. Si l’enfant porte son premier regard sur le monde, en serrant les poings, il garde les traces de la violence de ce premier moment de solitude, de la confrontation avec l’injonction d’autonomie. Maculé de traces de sang, le cordon ombilical toujours présent, son corps est encore marqué par l’expérience de l’accouchement.

« L’artiste joue sur une impressionnante distorsion d’échelle pour évoquer à la fois le miracle et l’épreuve de la naissance, instant oublié et pourtant fondamental pour chacun d’entre nous. » (Flyer)

On retrouve au sous-sol ce mouvement de balancier entre les œuvres anciennes et celles de nouvelle facture.

Untitled (Three Dogs), 2023
Dimensions variables

Cette œuvre monumentale, achevée 10 jours avant le début de l’exposition, traduit au mieux la recherche sculpturale actuelle de Ron Mueck. Plus de détail humain, mais la confrontation avec l’animal, dans la tension, face aux visiteurs qui entrent dans la salle. Trois chiens noirs immenses, dans un moment immobile, lisses sans pelage, issus d’une impression numérique 3D et non plus moulés.

Le magistral rendu de la musculature et de l’anatomie permet l’expression d’une grande tension et d’un effet d’anticipation de l’événement sur le point de se produire plus que jamais transmis par le jeu de lumière sur la forme sculptée. La peur des chiens est fréquente, chez Ron Mueck, c’est un souvenir d’enfance douloureux.

This Little Piggy, (2023)
70x90x30 cm

C’est la première fois que Ron Mueck le perfectionniste donne à voir une petite œuvre en cours de création, dans une matière très fragile, un mélange de terre et de cire, malléable à tout moment. Il s’est laissé convaincre par le directeur de la Fondation Cartier. On ne sait si le devenir de cette sculpture d’un type nouveau, avec plusieurs personnages, restera lisse ou sera hyperréaliste dans les détails. L’important est dans le mouvement d’une scène paysanne où six personnes tuent un cochon.

La violence est là, mais il s’agit d’une lutte entre les hommes et l’animal. L’artiste donne à voir la dynamique du moment, le positionnement des corps et des bras, dans toute leur complexité.

Baby, (2000)
26x12,1x5,3 cm

Pour cette minuscule sculpture d’un petit garçon qui vient de naître, « Ron Mueck a pris pour modèle une image trouvée dans un manuel de médecine montrant un bébé tenu en l’air par les pieds quelques minutes seulement après l’accouchement. Aux antipodes de l’installation Mass, évocation du corps post-mortem, cette minutieuse représentation des premiers instants de la vie attire tout aussi intensément l’attention.

« En inversant l’image originale et en accrochant la sculpture au mur à la manière d’un crucifix, l’artiste présente tout d’abord son œuvre telle une icône religieuse. Mais en l’observant de plus près, le visiteur est transpercé par le regard presque insolent du bébé. La petite sculpture murale intitulée semble nous envelopper de son aura. »(Flyer)
Le jeu d’échelle est double. La taille du nouveau-né, parfaitement moulé et peint, contraste avec celle des chiens, mais aussi de Little Piggy. Ensuite, ce minuscule objet-sujet accroché seul sur un immense mur blanc concentre tous les regards, non pas comme un défaut du mur, mais comme la source de sa lumière. Aucun message idéaliste, mais un fait : dès la naissance tout est rassemblé pour tenir une vie, librement et résolument.

Man in a Boat, (2002)
159x138x425,5 cm

Dans la dernière grande salle, se trouve seule une œuvre déjà présentée en 2013. Dans une scène particulièrement mystérieuse, un homme dont les bras cachent la nudité est assis à la proue d’une longue barque et se penche en avant, le regard interrogatif ou scrutateur. Comme souvent chez Ron Mueck, ce personnage semble « se retirer ou dériver dans des états intérieurs qui nous sont à peu près inaccessibles  », selon les mots du critique d’art Justin Paton. (Flyer)

Mais la scénographie, donc l’éclairage, est très différente de la précédente, où le bateau était au milieu d’autres. Là encore, double effet d’échelle. Le bateau rugueux donne celle de la réalité, la taille de l’homme, 80cm, et sa perfection introduisent à l’impression de solitude, un hors temps, comme est suspendu dans l’air le bateau.

La force de cette exposition tient dans la générosité des espaces accueillant un nombre limité d’œuvres, permettant de faire l’expérience complète de la sculpture : tourner autour des pièces, laisser son émotion et sa méditation advenir sur des sujets aussi différents que les œuvres elles-mêmes, affronter le face-à-face proposé par un artiste qu’il soit un évènement personnel passé, la naissance, ou à venir, la mort.

À la différence des peintres de Vanités, Ron Mueck ne se fait pas moraliste visuel. Ce n’est plus l’émotion ou l’intimité de l’homme ordinaire, comme les expositions précédentes, qui est son sujet, mais le silence devant des réalités universelles, des premiers instants de la vie jusqu’aux traces laissées après la mort. Chez Ron Mueck, ces traces sont évidemment ses œuvres produites dans un temps qu’il étire.

Jean Deuzèmes


Du 8 juin au 5 novembre 2023

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