Entre la première et la dernière salle, le temps du féminisme défile. Au RdC de la Monnaie, l’univers de la lutte de la femme au sein du foyer et dans l’art, au premier étage on serait plutôt dans la manière dont l’artiste s’est imposée et maîtrise ou domestique l’espace et l’architecture. Mais ce parti de la commissaire couvre-t-il l’évolution réelle de la pensée féministe ?
L’exposition suggère qu’on serait passé de l’époque des « Déseperate Housewives », ces « femmes au foyer désespérées » des années 70, dénonçant l’enfermement de la femme dans le confinement de la maison et la domination masculine, aux « Femmes-maisons » qui habitent pleinement leurs espaces et imposent leur propre sensibilité (beauté, harmonie, accord avec les lieux), en architecture ou dans les institutions artistiques (Annette Messager par exemple a reçu le Lion d’or de la Biennale de Venise en 2005).
Aux stéréotypes et à leur critique comme posture et matière artistiques aurait succédé un art d’habiter l’espace, comme allégorie de l’art d’habiter son corps. Cette thématique qui intègre la figure, très classique, de l’espace utérin comme première maison de tout homme apparaît dans la grande araignée de Louise Bourgeois, les Nanas-maisons de Niki de Saint Phalle ou les céramiques d’Elsa Sahal, la « Grotte généalogique » (2006).
<Ces formes spectaculaires, poétiques, nostalgiques et esthétisantes des œuvres récentes, qui parlent aussi d’intimité et de confort sont fort loin du dynamisme, du caractère décapant et innovant des premières œuvres qui dénonçaient la maison comme lieu d’enfermement, telles les photos d’Helena Almeida, où l’on voit, par exemple, une main dépasser d’une grille ou la vidéo de Monica Bonvicini, « Marteler ( un vieil argument) » (1998 ), qui montre un bras féminin avec une masse s’attaquant à un mur représentant le pouvoir masculin [1] L’aliénation de la femme et de la mère au foyer étaient des thèmes fréquents telle La Madone des Naissances de Valie Export qui accouche d’un lave-linge dans la position de la « Pietà Madonna della Febbre » de Michel Ange(1498-1499).
Libre, drôle et efficace [2], comme ce dessin de Birgit Jürgenstern « Travail de ménagères » de 1975 où c’est un homme entier et non pas seulement son costume qui est repassé, l’esprit féministe des années 70 a nourri les générations ultérieures jusqu’à un retournement paradoxal, l’essai de Mona Cholet « Chez soi : une odyssée de l’espace domestique » 2015 qui en tant que féministe combat le mépris pour la femme au foyer, réhabilite le travail ménager et fait du chez soi, même s’il est petit, cher ou dévoré par le temps une ouverture au monde, grâce à Internet (lire portfolio). Il en va de même du débat sur la pilule aujourd’hui : un instrument de libération il y a 50 ans, une contrainte ou un danger pour les plus jeunes générations.
Il n’y a plus un seul féminisme mais plusieurs ; l’exposition de la Monnaie ne fait que témoigner de cet éclatement des rapports du féminin à l’architecture et au foyer, qui passe cependant souvent à côté des rapports de classe et de genres qu’évoque la photographe sud-africaine Zanele Muholi, avec « Katelgo Mashiloane and Nosipho Lavuta, ext.2, Lakeside, Johannesburg. » (2007).
Une exposition sur l’émancipation des femmes et sur une succession d’époques, fort différente du radicalisme politique des Feemen (lire Voir et Dire) d’aujourd’hui, et une occasion à ne pas manquer pour visiter a Monnaie, dont les cours se prêtent à merveille à des œuvres monumentales.
Un oubli, le street art, avec Anne Laure Maison, qui notamment, a abordé ces questions à sa manière.
Jean Deuzèmes
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