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Hommage à Françoise Micheau



Elle était le pilier de Voir et Dire. Elle est décédée le 19 juillet 2024. Inhumée au milieu des siens, le livret distribué est devenu article de V&D.

Biennale de Venise 2024

Françoise Micheau (1946-2024), née Guillaumin, était la troisième petite-fille du peintre impressionniste Armand Guillaumin (1841-1927). Elle était sensible à la beauté, à la lumière, aux créations contemporaines et visitait beaucoup d’expositions portant sur des époques et des sujets très différents. Elle se nourrissait de culture. C’était la première lectrice des brouillons et articles de Voir et Dire : son regard aiguisé, sa curiosité, sa rigueur et son exigence, sa qualité d’écriture, sont à l’origine de l’enrichissement des textes. Elle pouvait demander des articles et s’amusait à être conseillère en communication. Son jugement était très sûr. Ses instagrams imaginatifs sur les articles étaient un grand temps de plaisir. Elle faisait équipe avec Jean Deuzèmes, son époux. Sa dernière escapade, en fauteuil roulant puisqu’elle était paraplégique, était à la Biennale de Venise en juin 2024.
Toutes ses qualités trouvaient aussi leur source dans sa formation et son métier d’historienne du monde arabe médiéval ; elle était profondément reconnue par ses pairs et ses étudiants. Ses écrits ont été nombreux et contribuèrent à faire avancer la connaissance.
Françoise a apporté de multiples lumières à ceux qui l’ont approchée.

Jean Deuzèmes

Jeudi 25 juillet 2024. 15h. Procession en silence de l’entrée du cimetière jusqu’au lieu de recueillement, un petit chapiteau protégeant du soleil, sur un morceau d’herbe, au bord du caveau blanc ouvert.

Rassemblement et recueillement
Veni Sancte Spiritus, Arvo Pärt

Michel . Pourquoi sommes-nous ici ?

C’est Françoise qui nous réunit à Dhuisy, la commune où se trouve notre maison de campagne dans le hameau de Chambardy.

Nous faisions des promenades tout alentour, elle en fauteuil électrique facilement repérable, moi à pied, sur les routes ou quelques chemins, mais nous ne sommes jamais venus jusqu’à l’intérieur de ce cimetière champêtre. C’est une chute particulièrement violente de cheval en 2015 qui l’avait privée de la locomotion.
C’est d’une violence analogue qu’elle est morte, celle d’un orage immunitaire du Covid.

J’ai organisé plusieurs obsèques dans la belle église de Dhuisy. Mais pour Françoise, sa famille et moi avons choisi de célébrer ses funérailles dans la grande église de Saint-Eustache au centre de Paris, celle que l’on appelait la cathédrale des Halles et que nous fréquentions régulièrement. En effet, Françoise et moi partageons la foi dans un Dieu trinitaire, et nous nous y réunissons régulièrement avec bien d’autres chrétiens.
Alors hier, à 10h30, quatre prêtres ont concélébré une messe très belle avec de nombreuses personnes venues parfois de loin, alors que nous sommes dans un temps d’été où les gens sont dispersés et où les JO ont fait refluer bien des Parisiens.

Aujourd’hui 25 juillet, le cadre est différent, c’est presque intime. Si cette inhumation est la suite de la cérémonie d’hier et en garde le recueillement, elle laisse la parole aux participants et vise à ce que l’émotion ou les souvenirs émergent, avec de la musique et des gestes.

Margot. Les dons de l’Esprit

Caroline Chariot-Dayez, Plis de l’esprit, exposition Voir et Dire, 2016

Dans l’hommage que l’on a fait de ma mère, hier à Saint-Eustache, on a insisté sur la force de sa personnalité qui lui avait permis de tout aborder de front : sa vie de femme, de mère, de grande professeur et d’intellectuelle. Beaucoup appréciaient et bénéficiaient de sa profondeur de jugement, ou venaient la solliciter dans la plus grande simplicité et vérité.
La foi la nourrissait et la prière la guidait.
L’amour tenait une place centrale et elle était attachée à la conquête de l’autonomie de chacun.
Elle savait qu’elle avait reçu certains dons, mais elle encourageait les dons des autres. Elle était traversée par l’Esprit.
Elle était persuadée que tous les autres humains pouvaient bénéficier de ce même Esprit, que ces différences pouvaient construire le monde, si l’on recherchait le bien.
C’est cela dont parle la lettre de saint Paul :

Lecture de la première lettre aux Corinthiens 12, 4-11
Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit.
Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur.
Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous.
À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ;
un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ;
à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter.
Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Ainsi donc puisque chacun est différent, chacun peut être un don pour les autres. De cette façon, il réalisera sa propre vocation en vue du bien du tous.
Une des lumières de ma mère adorée vient de cela : elle laissait passer l’Esprit au travers d’elle au bénéfice des autres.

Hélène. La tradition du chanter faux et fort chez les Micheau

Bill Violla, The Greeting, extrait

Les anges dans nos campagnes, chanté ensemble

À Françoise. Quelques paroles dites

Michel. Pourquoi Chambardy et Dhuisy ?
Parce que nous avons acheté une petite maison le 28 juillet 1977.

Nous étions des jeunes profs et avions absolument besoin d’un lieu où passer les vacances, WE et jours fériés, avec notre petite famille, 2 enfants à l’époque. Il nous fallait de la tranquillité aussi pour préparer les cours et corriger les copies.
C’était si facile de venir. 55 ‘ depuis l’ouest de Paris et moins de 5 feux rouges. Il n’y avait pas Disneyland, l’A4 était vide, il y avait des fermes, on allait au lait le soir.
On est désormais dans un tout autre monde.
On s’est senti bien à Chambardy, on aimait ce lieu, la maison a grandi quand la famille a évolué.
C’est naturellement que l’on a évoqué d’être enterrés dans ce lieu.
Ce cimetière va devenir un des lieux où je viendrai, pour méditer, lire, laisser remonter les souvenirs de notre vie commune, revivre toutes les lumières que Françoise a apportées, vivre ce manque qui va grandir en moi.

Antoine. Ma chère petite maman,
Putain de Covid ! Putain de Covid, c’est le terme qu’on utilise entre médecins pour nommer la maladie qui t’a emportée brutalement. Alors voilà, tu es partie brutalement à cause de ce virus. En tant que médecin je sais qu’on n’aurait rien pu faire… Alors pas de culpabilité médicale. Tu es partie trop tôt, mais c’est comme ça, et je vais apprendre à vivre avec.
Alors de tout mon cœur, je te dis que je t’aime et que tu as été la meilleure maman du monde. A la fois un soutien pour mes études, ma vie professionnelle, mais aussi une aide dans ma vie personnelle d’enfant et d’adulte. Tu es aussi un modèle sur de nombreux points beaucoup trop longs à énumérer. J’ai essayé de te dire ma reconnaissance de nombreuses fois et je crois que tu l’as entendue. Toi et papa êtes mes super héros ! Vous avez traversé des épreuves ensemble, vous vous êtes épaulés l’un l’autre, avez accepté vos différences dans une joyeuse atmosphère humaniste et intellectuelle qui sont des modèles absolus pour moi.
Tu as été aussi la meilleure grand-mère parisienne du monde pour Théo et Charlotte, les enfants que j’ai eu avec ma femme Carole, qui j’espère continueront leurs aller-retours à Paris malgré ton absence.
Grâce à toi et papa, j’ai la chance d’avoir la vie que j’aurais voulu avoir et je ne saurai jamais comment vous exprimez pour cela ma gratitude et mon amour.
Alors ma petite maman, je te souhaite simplement un bon voyage.

Et Emma Sofia, Anne-Marie, Catherine, Françoise VG, Sylvie, Gabriel, Gilles, Paul, Pierre, Selim

Hommage à Françoise
Gestes au cercueil
Cello Concerto in E Minor Op. 85, Elgar

Notre Père,
Un texte qui rassemble les croyants, ici les amis dans leur propre tradition familiale.

Descente du cercueil
String quartet, Op. 76, Joseph Haydn

Magnificat,

Un dernier hommage, une louange
Michel
Dans trois semaines exactement, nous fêterons l’Assomption.
Cela donnait lieu à une des grandes fêtes religieuses pour la France rurale et catholique.
Il y avait des processions, des rencontres et des repas collectifs, des fêtes de village.
Dans les églises, on lit deux textes marquants :
L’Apocalypse de saint Jean avec une splendide vision : « Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. »

Bill Viola, The Greeting, Extrait

Dans l’évangile de Luc, l’auteur raconte la rencontre de Marie et de sa cousine Élisabeth, qui sont enceintes, l’une de Jésus et l’autre de Jean-Baptiste, des naissances aux origines mystérieuses. Marie est considérée comme le modèle des croyantes accordant sa complète foi en Dieu, vis-à-vis d’un projet qui la dépasse. Cette rencontre, cette salutation entre les deux femmes sont à l’origine de très nombreuses œuvres d’art, dont l’éblouissante vidéo de Bill Viola, The Greeting, 1995, viaFbk

Dans le texte, Élisabeth parle sous l’inspiration de l’Esprit. : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur  ».
Marie lui répond dans un texte magnifique, que l’auteur relie aux promesses faites par Dieu au peuple juif, dans l’Ancien Testament.

C’est le Magnificat.

Ce texte de louange à Dieu, mais aussi sur le bonheur, l’amour et la justice, Françoise aimait qu’on le dise ensemble, tous les deux, dans les grands évènements de notre vie. Cela pouvait être devant des paysages sublimes ou dans le secret de notre maison.
Alors je vais le lire devant vous, et si certains s’en rappellent, qu’ils m’accompagnent !

Enfin, pendant que l’on refermera le caveau, ceux qui veulent rester pourront écouter ici-même le Magnificat de Bach, une de ses grandes œuvres, le BWV 243, interprétée par le Collegium Vocale Gent, La Chapelle royale et Philippe Herreweghe.

Vous pourrez ainsi quitter le cimetière dans la beauté de la musique quand vous le souhaitez.

Merci à toutes et tous d’être venus pour cet hommage à Françoise, la mère de mes trois enfants, une femme qui, de son vivant, a été ma compagne aimée et aimante, pendant 53 ans.

Jean Deuzèmes

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