L’arbre est un sujet récurrent dans les expositions de Saint-Merry, qu’on se rappelle en 2010, "Forêts" d’Eva Jospin >>> ou Nicolas Henry >>> ou enfin l’exposition d’été 2013 >>>. Mais pour cette Nuit Blanche 2018, l’arbre dialogue avec l’ensemble de l’architecture et se laisse voir avec un autre regard, celui du poète.
Daniel Van de Velde, le sculpteur poète
L’art contemporain aime l’arbre (lire V&D >>>) et il est très difficile de faire le lien entre les deux termes sous forme d’une simple typologie, car entre les deux se trouve l’artiste dans sa singularité. ASi l’on tente de rapprocher les œuvres par les formes ou l’esprit des créateurs, on s’y perd vite. Ainsi avec Daniel Van de Velde qui manie autant les mots que les gouges, outils de l’artisan du bois : il creuse pareillement le bois et la parole, chaque fois de manière différente.
Il n’est pas neutre de découvrir qu’en 2015 l’artiste avait produit « Fréquences d’apparition » pour la Biennale internationale de Poésie Visuelle d’Ille-sur-Têt dans les Pyrénées Orientales et qu’il est le cofondateur d’une revue biennale de poésie expérimentale au nom étrange et presque provocateur, NUIRe... De la même manière que, dans la poursuite des Avant-gardes, ce groupe de poètes cherche à extirper la langue de sa gangue culturelle, Daniel Van de Velde cherche à décentrer l’homme dans ses rapports à l’arbre, à le faire vaciller dans les certitudes de son regard.
Il n’est pas neutre non plus de savoir que l’artiste a produit Les transitions narratives, un livre poétique en 160 séquences où deux arbres dialoguent sur deux fois 400 ans avec un interlocuteur indéfini et multiple parlant de lui-même, de ses rapports au monde, à la nature. Des phrases courtes se succèdent les unes aux autres dans des registres différents. Les ingrédients des sculptures de l’artiste (le temps, la matérialité essentielle) se trouvent aussi dans ses textes.
Déroutants et apaisants à la fois sont les troncs suspendus dans Saint-Merry par Daniel Van de Velde.
Daniel Van de Velde. Danse avec les arbres, Nuit Blanche 2018 à Saint-Merry from Voir & Dire on Vimeo.
L’œuvre, une transfiguration matérielle
« Danse avec les arbres » est une œuvre vaste, légère, heureuse. Comme le suggère le titre, c’est une invitation à un corps à corps entre les humains et l’arbre, saisi comme un élément vivant. On peut percevoir l’œuvre, sans pour autant s’en emparer ou l’instrumentaliser, en trois actes : la délimitation de segments de tronc, leur ordonnancement pour évoquer un fût comme on ne l’a jamais vu, la disposition in situ.
• Chaque segment élémentaire provient d’un arbre tombé sous la tempête, l’incendie, la foudre. L’artiste choisit ce qu’il va garder pour l’intérêt de la forme, puis la découpe en longueurs égales. Il exalte les derniers moments de la vie d’arbre, trouvé à terre. En creusant l’intérieur, il le vide de la pesanteur des ans et ne garde que les derniers cernes, témoins de l’âge et de la jeunesse. L’arbre subit une première transfiguration, il abandonne son inertie de matière et devient léger. Il peut être porté par des humains, touché, caressé.
• Les segments sont ensuite assemblés en laissant un vide entre chacun. Le rythme régulier tient de la partition de musique, le vide renvoyant aux silences, à la manière des œuvres du musicien minimaliste John Cage, dont NUIRe se dit proche. Ce vide renvoie à celui de l’intérieur. Pour l’artiste, c’est le lieu du potentiel, comme chez l’homme. « À de la masse, de l’inertie se substitue un vide qui révèle l’énergie nécessaire à la croissance de l’arbre sur un certain laps de temps. »
La recomposition dans une forme nouvelle, sans branches, sans racines, se distingue de l’arbre initial, en dehors de la verticalité assignée par les représentations occidentales traditionnelles.
Daniel Van de Velde prend en considération tous les paramètres du sujet arbre, il dit qu’il l’écoute, qu’il communique avec lui, avant de lui donner une inclinaison. « La pensée incline. Sans crier gare, en des lieux et des temps incertains, elle change brutalement de direction, parfois de façon infime » affirme Michel Serres.
Georges Perec parle de clinamen : « Nous avons un mot pour la liberté, qui s’appelle le clinamen, qui est la variation que l’on fait subir à une contrainte... »
• Le dernier acte de création tient à l’organisation du in situ : organiser les arbres entre eux, leur donner une orientation en rapport avec l’environnement du lieu.
C’est la première fois que l’artiste, agnostique mais familier de la culture protestante, avait à s’installer dans une église aux échelles et contraintes si particulières (par exemple être compatible avec les célébrations).
Il a opté pour un point de fuite : une gloire en bois doré du XVIIIe, un des chefs d’œuvre qui axe l’église.
Il a opté pour un mouvement d’ensemble, l’élévation, en écho à ce qui s’affirme en termes de foi dans ce bâtiment.
Les troncs sont liés aux autres, chacun à sa manière, et non pas selon un ordre militaire.
Par leur vide interne, d’où l’on peut apercevoir la gloire, ou une triangulation rouge vif qui en reprend le dessin central, les points de vue sont différents.
Aucun tronc, quelque soit le point de vue, n’occupe une position centrale. Position ferme de l’artiste : celui qui regarde doit être décentré pour voir.
Daniel Van de Velde avait fait un premier dessin de localisation, mais jusqu’au dernier moment, il n’a eu de cesse de déplacer les troncs pour rendre plus justes leurs rapports entre eux.
Il a agi comme un poète qui segmente ses phrases et choisit les mots.
Un sens, des sens
Après avoir transfiguré les arbres, par morceau, par ensemble, il a transfiguré l’église en offrant des points de vue très divers.
De la position esthétique, on passe aisément à des questions de sens (avec sa triple acception : orientation, émotion sensuelle, signification humaine et religieuse) et cela alors que la foule s’infiltre au milieu des quinze sujets pour les rencontrer. Hommes et arbres sont dans des face-à-face de vivant.
Sans nul doute, l’artiste imprégné de nature nourrit, à sa manière, la pensée sur l’écologie, mais son œuvre ne relève ni du combat, ni du militantisme. Son approche est poétique et vitaliste, son admiration pour François, et ce qu’il appelle la révolution de Laudato Si, en est un signe. Lui, le poète agnostique, aurait pu y adjoindre : « Toi le frère arbre, etc ».
La musique Live (accordéon et percussion sur les troncs) relève aussi du vivant comme son nom le signifie.
L’œuvre est un grand moment de liberté voulu par Daniel Van de Velde, poète visuel, passionné, à l’empathie immense, au verbe dense.
Jean Deuzèmes
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