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Irving Penn. Grand Palais



Une rétrospective qui, loin d’enfermer Irving Penn dans la photographie de mode alors qu’il est célèbre pour avoir travaillé 60 ans chez Vogue, ouvre à une œuvre foisonnante et audacieuse.

Women in Chicken Hat, ( Lisa Fonssagrives-Penn), 1949

À l’occasion du centenaire de la naissance du photographe américain (1917-2009), célèbre pour ses photos de mode dans un unique magazine, Vogue, l’exposition du Grand Palais, qui prend la suite de celle du MET (New York) tout en l’amplifiant, s’avère exceptionnelle par la construction du parcours et la qualité des photos présentées.
Photographe hors pair, ce chercheur qui saisissait les visages, les silhouettes, les parures, les peaux au plus près des personnages et de leur psychologie avait les qualités d’un peintre, puisant dans Goya, Daumier ou Toulouse Lautrec, d’un dessinateur, par la précision de ses prises de vue, et d’un sculpteur, par sa manière de placer modèles et objets dans la lumière. C’était aussi un grand tireur de photos en N&B qui a réactualisé les méthodes du XIXe siècle.
Il y avait deux vies chez lui : la mode et, une fois achevées les prises pour les grands couturiers, tout le reste : publicités, natures mortes, portraits, nus, photos de travailleurs en Occident et de personnages en Afrique et en Asie.. Ces deux mondes reposaient sur une pratique unifiante : la photographie en studio, et non dans la rue ou en extérieur. Quand il voyageait au loin, il en reconstituait la neutralité et la capacité à se concentrer sur le sujet à l’aide d’une simple tente ouverte, pour maîtriser la lumière et composer ses clichés.

Nature morte avec pastèque. Dye transfer, 1985

Irving Penn qui avait acquis son premier Rolleiflex en 1938, alors qu’il était assistant au magazine Harpers’s Bazaar, commença par la photo documentaire, dans la lignée d’un Walker Evans (lire >>>Voir et Dire), dominante dans les années de la grande dépression. Mais ce sont ses natures mortes qui constituèrent les premières commandes pour Vogue en 1943. Ses compositions virtuoses et très graphiques – il avait été embauché en tant que graphiste— étaient nourries de sa connaissance des Beaux Arts. Il visait l’essentiel par la simplification, réinterprétait les codes des Vanités et révélait les traces de personnes (rouge à lèvres, allumette brûlée) comme si elles venaient de quitter le champ de la photo.

Igor Stravinsky, 1948

Après avoir participé à la guerre aux Indes et en Asie, terres où il revint volontiers bien plus tard, il se vit demander de contribuer à la dimension culturelle de Vogue par Alexander Liberman, le directeur, en faisant des photos de célébrités, dont la liste lui fut donnée, mais sans consigne de style ou d’éclairage.

Le rideau de studio et Rolleiflex

À moins de trente ans et quasi inconnu, il invente et impose des cadres très simples, notamment les angles de deux cimaises neutres où il coince littéralement les plus grands noms de la culture ou un vieux tapis posé sur des caisses. Deux objets, ce tapis usé et son appareil photographique, mis en scène dans l’exposition suscitent une forte émotion.

Audrey Hepburn, 1951

Les portraits dépouillés, parfois austères, reflètent sa vision de l’après-guerre et font sa notoriété. Ils le propulsent comme photographes de mode des grands couturiers parisiens. Mais mal à l’aise avec la fébrilité du milieu des photographes, il préfère travailler au calme et en studio. Dans les années 50, il trouve un ancien local sans eau ni électricité au dernier étage d’un immeuble parisien, uniquement éclairé par la lumière naturelle nacrée qu’il juge essentielle. Et là défilent les modèles, dont Lisa Fonssagrives une ancienne danseuse qui deviendra sa femme, mais aussi les coursiers des maisons de mode. Il peut se concentrer sur les visages et les corps, les formes et les drapés, les détails et les accessoires. Ses compositions tranchent dans l’univers photographique où le travail en extérieur domine.

Marchande de ballons, 1950

Si la méthode est trouvée, son œil innove en permanence. Grand travailleur, il trouve encore le temps, entre deux prises, de photographier, à la Atget, des petits métiers parisiens que Doisneau rabat pour lui.

Irving Penn au travail à Cuzco, 1948

Envoyé au Pérou pour faire des photos de mode en extérieur avec Jane Patchett, style que Louise Dahl-Wolfe avait déjà imposé (lire >>>Voir et Dire : ), il se rend seul dans un petit village des Andes et, en très peu de temps, prend des milliers de photos d’habitants vêtus de leurs costumes traditionnels, qu’il fait poser et qu’il rémunère. Il travaille avec son instinct des photos de mode, mais en étant au plus près des personnes et de leur quotidien. Son approche n’est pas ethnographique ni exotique, même si la toile neutre en arrière-plan évoque une certaine tradition coloniale. C’est à Cuzco qu’il va fixer les principes plastiques et psychologiques qui vont se retrouver dans ses clichés dans le monde qu’il parcourt.
Envoyé en Afrique et en Asie entre 1967 et 1971, il utilise une tente tenant lieu de studio « Le studio est devenu, pour chacun d’entre nous, une sorte de zone neutre. Ce n’était pas chez eux […], ce n’était pas chez moi […] mais dans cet entre-deux, nous avions une possibilité de rencontre. »

Irving Penn au Maroc, en 1971 (The Met).

Nu n°42, 1949-1950

C’est toujours dans le studio qu’il va faire des photos étonnantes de nus, sans jamais saisir les visages, en sculptant des corps généreux et en les déformant à la manière d’André Kertész. Pour ne pas tomber dans l’ultra réalisme du genre, il met en place des procédés argentiques qui vont blanchir les modèles et leur faire perdre de la netteté.

Cigarette n°37, 1972

Ses audaces ne seront pas comprises à New York. Il en alla de même avec ses compositions d’objets trouvés dans la rue, notamment des bouts de cigarettes. Ses clichés parfois immenses sont d’une beauté surprenante, à l’image d’objets archéologiques qui laissent entrevoir des pratiques sociales, des histoires et des symboles de toute une société ; mais ils portent aussi une vision critique sur l’usage de ce plaisir, du fait des risques pour la santé.

Jean Deuzèmes

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