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Zanele Muholi. L’activiste visuelle



La puissante rétrospective d’une photographe mondialement connue, d’une militante qui documente la vie et la résilience des communautés sud-africaines LGBTQIA+. (MEP<21-05-2023)

«  Ma mission est de réécrire une histoire visuelle queer et trans noire de l’Afrique du Sud pour que le monde connaisse notre résistance et notre existence, au plus fort des crimes haineux en Afrique du Sud et ailleurs. »
Tout est dit !

Ses autoportraits en noir et blanc, intitulés « Somnyama Ngonyama » (« Salut à toi, lionne noire », en zoulou) et réalisés aux quatre coins du monde, fascinent. Son regard intense fixe le spectateur, la sobriété et l’élégance sidèrent. Ils sont à un point d’équilibre où la beauté explicite et le mystère vous arrêtent, avant que le détail fasse irruption et vous connecte avec la finalité des clichés. Que les cheveux portent un diadème, des pinces à linge, des tuyaux d’aspirateur, des rouleaux de scotch ou des colliers ne choque pas. La dignité est mise en scène. Et c’est dans le même esprit qu’elle documente la vie de la communauté noire LGBTQIA+, de son pays l’Afrique du Sud et de tous ceux qui sont la cible de violences et de préjugés.
Expression de sa vie militante, les autoportraits questionnant la représentation de la femme noire sont remis à leur juste place dans cette première rétrospective en France : toute son œuvre s’appuie sur un travail photographique indissociable de son militantisme. Dans ses portraits individuels et collectifs, l’artiste, très engagée dans sa communauté, cherche à rendre visibles des personnes queer et racisées, à mettre en avant leur courage, leur dignité face aux multiples discriminations.

Zanele Muholi, qui se définit comme « activiste visuel·le », fait de l’appareil photo un outil contre les injustices. Dans les années 1990, l’Afrique du Sud connaît des changements sociaux et politiques importants. La démocratie s’établit en 1994 avec l’abolition de l’apartheid, suivie par une nouvelle Constitution en 1996, la première au monde à interdire toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, même si la mise en application tarde encore.

La force et l’originalité de cette rétrospective sont liées à la scénographie qui mêle la chronologie et les grandes thématiques de son parcours artistique. À côté de la perfection du noir et blanc de sa célèbre série d’autoportraits intitulée « Somnyama Ngonyama » éclate la vie donnée par la photo couleur. Zanele Muholi, en tant que non-binaire, souhaite aussi être présenté·e par l’emploi des pronoms neutres iel (sujet) et ellui (complément) dans les cartels et les déclarations murales du musée.

«  Being » (Exister) saisit des moments d’intimité et de tendresse de couples ; l’amour permet de panser les blessures de l’oppression. La série dénonce l’idée que l’homosexualité serait non-africaine, une importation coloniale en Afrique. Il s’agit pour l’artiste de lutter à sa manière contre le patriarcat et l’hétérosexualité comme norme. « Ces systèmes de pouvoir ont tellement organisé notre vie quotidienne qu’il est devenu difficile de nous représenter telles que nous sommes dans nos communautés respectives. »

Hompi and Charles Januarie, Kwa Thema Spring, 2007
LiZa I, 2008

Dans «  Enraged by a picture  » (Enragé.e par une image), « Only Half the Picture » opère des cadrages particuliers pour documenter la vie des victimse de crimes haineux dont les moments de tendresse soulignent leur résilience. Une photographie de compassion et de militance.

ID Crisis, 2003

«  Brave beauties » (Beautés courageuses)2014 – en cours, représente des concours de beauté queer qui échappent aux cultures surpématistes blanches ; elles remettent en question l’image idéalisée de la femme, non sans humour et complicité avec les modèles ou les groupes photographiés. La série s’inspire alors des shooting de mode, Moholi se demandant quand on pourra montrer une femme transgenre en couverture de magazine !

«  Faces and Phases » (Visages et phases) est un projet ouvert depuis 2006 et comptant 500 images aujourd’hui, qui donne à voir les portraits de personnes LGBTQIA+, avec le même esprit de rigueur qu’un Gustav Anders qui avait voulu représenter toute l’Allemagne à partir des années 30 : pas d’artifice, visage haut, regard droit, même distance par rapport à l’appareil photo. Moholi revient régulièrement photographier les mêmes individus et a rassemblé en un espace particulier les personnes décédées, en laissant un vide dans la collection accrochée. « Nous exprimons notre identité sexuée, radicalisée et de classe de manière riche et diverse  » écrit-elle sur un cartel.

Faces and Phases

« Queering public space  » (Donner une dimension queer à l’espace public), 2006-en cours, est une série de photographies de personnes LGBTQIA+ qui ont pris de l’importance dans le travail de Muholi. Beaucoup de lieux correspondent à des espaces urbains historiques liés à l’apartheid . L’artiste a choisi la couleur vive pour ancrer ses photos dans le présent.

Mellisa Mbambo, Durban South Beach, 2017

« Somnyama Ngonyama », 2012-encours. Dans ses magnifiques autoportraits, où elle accentue le noir de sa peau et peut maquiller ses lèvres et yeux de blanc dans un jeu dense de contrastes, elle incarne différents archétypes et explore des représentations des femmes noires dans le monde. Ces photos ont été prises dans des hôtels en y plaçant des objets pour rendre compte de l’environnement. Quelques portraits représentent le personnage de Bester, du nom de sa mère qui a travaillé comme employé de maison pour une famille blanche durant quarante ans, subvenant seule aux besoins de ses huit enfants. On la voit avec des éponges métalliques, des peignes, un tabouret sur la tête, autant d’objets du quotidien de cette femme.

Bester V.Mayotte, 2015
Qinisio, The sails, Durban, 2019

Éléments biographiques
Zanele Muholi est né·e en 1972 à Umlazi, un quartier de Durban en Afrique du Sud, et vit entre Cape Town et Durban. Elle a fait ses études au Market Photo Workshop à Johannesburg et à l’université Ryerson à Toronto. Co- fondateur·trice du Forum pour la responsabilisation des femmes (FEW : Forum for the Empowerment of Women) et fondateur·trice d’Inkanyiso, un forum de médias queer et visuels, Muholi est également professeur·e honoraire à l’Université des Arts de Brême en Allemagne.

Jean Deuzèmes


Maison Européenne de la Photographie 01-02 au 21-05-2023

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