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Thibaud Tchertchian. Nuit Blanche 2022



Église Saint-Séverin. Une technique de Street art prodigieusement maîtrisée, au service d’une iconographie traditionnelle. Une splendide mise en scène sur fond de malentendu

En invitant Thibaud Tchertchian à exposer dans l’église Saint Séverin pour la Nuit Blanche, le 1er octobre 2022, Art Culture et Foi a permis à un artiste talentueux, venant du Street Art, de réaliser un rêve : décliner sa technique au service d’une iconographie chrétienne revisitée, l’icône.
Il a tout conçu par lui-même, des tableaux à la scénographie, et même l’appui musical d’un ami, et a interprété le climat de recueillement propre à ce type d’église, sous la forme d’un chemin ponctué de grands tableaux posés près du sol, avec de beaux effets d’ombre sur les piliers.

Il faut reconnaître la haute maîtrise technique de Thibaud Tchertchian pour la bombe, où tout réside dans les différentes sortes de doigté : le trait fin, épais ou l’aspersion, loin des simples à-plats et contours des graphes de la rue. Il dessine d’un seul jet, comme pouvaient le faire des artistes de la Renaissance qu’il admire, et auxquels il fait explicitement référence, des figures immédiatement reconnaissables, en noir et blanc et parfois en couleur.
Ce n’était pas un évènement populaire de la Nuit Blanche qui se déroulait à Saint-Séverin, mais une exposition qui n’a duré malheureusement qu’une nuit. Aussi peut-on s’interroger sur la non-prolongation d’une semaine de cette belle forme d’expression contemporaine, une iconographie somme toute traditionnelle quoique insuffisamment documentée. Il n’y avait rien de choquant dans les thématiques, ou leur représentation, et cela était compatible avec la beauté de l’architecture, voire en révélait la sobriété. Trois mois de travail ardent de l’artiste pour une seule nuit d’exposition. Pourquoi ne pas reconnaître à sa juste valeur (et ne parlons pas des conditions de financement des artistes) cette œuvre et bien d’autres temporaires de l’art d’aujourd’hui dans les églises ? Question accessoire : quelle communication et quel accompagnement offert à l’artiste ? Questions de culture ou de décision ? Certes toutes les contraintes administratives étaient respectées (une seule nuit, ne pas déranger les offices) mais on est en droit de regretter que le dialogue entre l’institution Eglise et cet artiste se soit arrêté pareillement.
Dommage pour un artiste doué d’une telle technique.
Jean Deuzèmes

Une Nuit Blanche en église, vécue et racontée par un artiste à la grande sensibilité.

"Le soir de l’évènement fut comme la répétition d’une expérience sociale inscrite naturellement en nous, humains, depuis la nuit des temps. La scénographie a fait traverser les époques. La fête était digne de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ou des fêtes indisciplinées du Quartier Latin de François Villon. On y a retrouvé le Paris magique. À l’entrée dans l’église, les agitations s’apaisaient par le jeu de la musique et des lumières comme une invitation à la retraite, comme une invitation à résoudre l’intrigue de nos propres émotions communiquées dans la discrétion du déambulatoire. Comme justement remarqué par le père Guillaume Normand, les portes étaient comme des valves, les humains comme du sang qui par à-coups, inspirés, venaient gonfler le coeur de l’église, se charger d’air, avant d’être soufflés, re-dispersés dans les artères du cinquième arrondissement. Ce flot ininterrompu de six heures de marche circonférique donnait l’impression d’une patinoire dantesque semée d’introspection et de réflexion sur notre environnement à tous. En observant cette marche à travers les âges, j’ai pu saisir le sens de la communauté dans l’église.

Si un visage seul prête à l’introspection, plein de visages prêtent à la réflexion. Les gens se disaient bonjour en cheminant, avec beaucoup de sourires et m’ont fait penser à ce film de Terrence Malick, « The Tree of Life ». Dans le film, les protagonistes cheminaient dans un on ne sait quoi onirique qui pouvait être la vie aussi bien que la mort. Une transhumance. Et bien, je crois que c’était celui-là le dernier tableau de cette exposition. Les improvisations à l’orgue jouées par Sinan Asiyan insufflaient le rythme de cette circulation aux tonalités de l’orgue dont l’aura remonte au quatorzième siècle pendant que la photographe Kira Gyngazova en figeait les lumières. Et voici précisément le tableau : Nous étions dans un Jardin des Délices.

Les treize toiles étaient disposées de manière égale avec six toiles dans le déambulatoire de droite auxquelles correspondaient les six toiles du déambulatoire de gauche. Les deux pans étaient séparés par une Ève archaïque posée sur la colonne torsadée centrale, l’arbre de vie. La partie de droite transcrivait la partie ascendante de la vie, sa genèse. La première toile, un chemin dans les bois, invitait à une aventure potron-minet. Puis la naissance était actée avec une Marie allaitante et son visage paisible de la mère, le premier visage. À la suite venaient encore des références à Vinci avec les portraits amicaux et amoureux de Marie-Madeleine et Saint-Jean-le-Baptiste. Ceux-là sont les visages qui font grandir en infligeant dans le même temps les premières blessures cachées, les cicatrices de la personnalité qui guideront les choix à venir. Et puis dans une alcôve, un Salvator Mundi et une Vierge fluorescente sonnaient ce temps adulte, ce temps où l’on s’ouvre à notre impressionnant pouvoir de changer notre monde. C’est ici que Ève officiait littéralement comme un pivot cosmique et faisait basculer sur la partie gauche, eschatologique, crépusculaire. Un petit diable éclairé à la chaleur du désert ruminait ses tentations. Un Lucifer icarien de Gustave Doré annonçait la chute.

Un Saint Jérôme du Caravage réfléchissait sur la mort et une Piéta de Michel-Ange pleurait en pitié la perte de la chaire. Une gravure de Dürer avançait vers le chaos de la guerre. Le parcours finissait sur un portrait mystique de femme crépusculaire, aux cheveux rouges, à la peau voix lactée. Elle invitait à recommencer le parcours, emprunter une nouvelle forêt, à tourner à nouveau la roue. Chaque toile se correspondait en technique comme en thématique. Les huiles répondaient aux huiles, les noir et blanc à la bombe de même, ainsi que les fluos, pour que tous se fassent écho dans cette acoustique des peintures.

La nef principale représentait, entre la genèse et l’apocalypse des corridors, le temps du milieu, celui du péché des hommes. Elle était habillée d’un grand triptyque dans le triptyque, une référence à la Chute des Damnés de Paul Rubens, une référence aux voyages temporels de la série Dark. Les trois toiles suspendues de sept mètres formaient un abîme dans la mise en abîme, un géant cadavre exquis. Ici le public ne marchait plus. Il s’arrêtait pour constater le présent. Autour de ce présent, les architectures des différents siècles habillaient l’exposition et les icônes de l’art sacré habillaient l’église. Ainsi, le temps était plus palpable que l’espace, pour une série de tableaux élaborée pendant plusieurs années, avec les moyens du bord et qui a pris toute son envergure et tout son sens, celui de la rencontre fortuite, le temps d’une Nuit Blanche."

Thibaud Tchertchian

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