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Sous influences. La maison rouge.



Drogues et art. Une exposition originale et passionnante pour l’esprit. À la Maison rouge, jusqu’au 19 mai.

Si vous en « avez fumé » ou si vous en « avez pris » que pouvez-vous en dire ? Telle est au fond la question à l’origine de cette exposition.

Depuis fort longtemps les hommes ont utilisé des substances psychoactives, plantes, champignons, macérations diverses souvent alcoolisées. Ils ont fait des voyages et rencontré la stupéfaction, l’intoxication, la dépendance, mais aussi l’accès mystique, le soulagement, la mort, voire l’illumination. Des artistes, toujours à la recherche d’accès à la création, de routes vers des imaginaires transmissibles, ne pouvaient guère les éviter et tenter d’en rendre compte dans leurs œuvres.

Loin des jugements moraux et des analyses psychologiques ou sociologiques, cette exposition se révèle intelligente dans la problématique et surprenante par les œuvres. Ainsi, ce n’est pas seulement une exposition sur les drogues et l’art, mais aussi une sur les addictions et la création.

Une expo pleine de découvertes, à consommer sans modération…

Jean Cocteau

La grande différence entre le toxicomane et l’artiste face aux drogues est que le premier s’isole de tout rapport de langage et ne rend pas compte de l’altération de son moi tandis que le second cherche à mettre en forme ce qu’il a perçu, à le fixer en œuvre d’art. L’artiste tente d’aller au-delà du miroir, dans une arrière-scène, et, de retour, à donner une forme à ce qu’il a perçu de son expérience d’un autre monde. Mais dans la réalité, les choses sont bien autres, comme l’exprime Jean Cocteau (Opium, 1930) : "L’opium permet de donner forme à l’informe ; il, hélas ! de communiquer ce privilège à autrui. Quitte à perdre le sommeil, je guetterai le moment unique d’une désintoxication où cette faculté fonctionnera encore un peu, par mégarde, avec le retour du pouvoir communicatif."

Cette difficulté à dire, à représenter tiendrait au fait que ces voyages vont trop vite, que les corps et la mémoire sont trop lourds, trop englués dans les paysages traversés pour en rendre compte.

Et c’est ici que l’exposition se fait tout à la fois savante, honnête, passionnante et décevante. En effet, si les œuvres présentées et intéressantes sont d’une incroyable variété, elles ne produisent pas la grande émotion que l’on peut avoir dans les multiples lieux que notre société de l’image nous propose. La leçon à tirer est alors évidente. L’acte de création qui donne naissance à des œuvres simples ou bouleversantes n’est pas affaire de drogue ou d’enivrement. Les artistes n’ont pas besoin d’utiliser ces produits ; l’imagination créatrice procède de bien d’autres sentiers aux détours infinis pour rendre compte d’émotions et de réflexions humaines, de travail et de culture fertilisante. Portés par leurs talents, par leur inspiration, ils ouvrent alors sur des mondes esthétiques, émotifs, spirituels auxquels le spectateur peut accéder et qui ne sont pas, eux, des paradis artificiels.

Jean Cocteau

« Sous influences » n’est pas une exposition anti-drogue, elle n’en dénonce pas la vanité, elle ne fait pas de son usage une voie royale, elle se contente, et c’est déjà beaucoup, de montrer en quoi, c’est une voie de l’art parmi d’autres, laissant à chacun le choix d’un jugement esthétique. Pour cela, le commissaire, Antoine Perpère, fin connaisseur de la question, l’a construite sur une problématique stimulante en classant les attitudes de l’artiste en trois types :
 Traduire : l’artiste retranscrit avec les moyens dont il dispose (crayon, peinture, encre, film, mais curieusement jamais la sculpture…) ce qu’il a vécu. Il rend compte de l’altération de sa perception en utilisant au maximum la remémoration, souvent dans l’immédiateté.
 Simuler : les produits et drogues psychoactives réactualisent des vécus archaïques où se jouent le tactile et le visuel, où les images sans limites ne sont plus saisissables, symboliquement et réellement. L’artiste va utiliser d’autres procédés pour mobiliser d’autres sens que le visuel, il va faire perdre l’équilibre, utiliser des dispositifs multi-sensoriels dans un but : que les spectateurs perdent contrôle et se laissent embarquer dans le merveilleux.
 Représenter : l’artiste témoigne ici, sans les vivre, de ces expériences que d’autres font, au péril de leur vie. Dans la réalisation de ces œuvres, il n’y a pas de dénonciation, mais une attitude profondément humaine : dire que ceux qui passent dans ces mondes sont des semblables et qu’ils font partie de notre communauté humaine. Les films et les photos évoquant ces effondrements ne laissent pas indifférents.

Il n’est pas possible de résumer tout ce kaléidoscope visuel auquel le commissaire donne sens avec brio. Les œuvres sont trop nombreuses et riches, l’esprit du visiteur est tellement stimulé par ce mélange d’originalité créatrice et d’insignifiance ressentie. Les artistes ne sont pas dupes de ces psychotropes et autres produits addictifs et vont les traiter parfois avec humour.

Visionner minifilm sur l’exposition

V&D vous propose un bref tour d’horizon en image


 Jean-Martin Charcot, Dessin sous l’influence du haschich, 1853 (détail), où le médecin voulait expérimenter lui-même cette drogue.

 Les impressionnantes photos de Jean Cocteau et ses dessins ramenés de ses plongées dans l’opium

 Yayoi Kusama, Dots Obsession (infinity Mirrored Room), 1998. Une installation très symptomatique de l’œuvre de cette artiste qui dans les années 60-70 a commencé à recouvrir tous les éléments croisés sur son chemin (modèles nus, animaux, paysages…) de pois, selon un rituel quasi magique dont elle ne s’est jamais départie.

Damien Hirst s’est toujours intéressé aux médicaments « et en particulier à la manière dont ils sont conditionnés (formes et couleurs des comprimés et gélules, de leur packaging) et vendus.

Dans The Last Supper, Hirst met en équivalence trois domaines qui suscitent une adhésion non rationnelle : la médecine, l’art et la religion. Il remplace les treize convives de la Cène par des identités visuelles de médicaments, dont il change les noms pour y substituer des plats typiques de la cuisine anglaise. L’artiste suggère ainsi la place essentielle qu’occupent ces substances dans notre vie quotidienne. Le procédé et la technique (sérigraphie) rappellent bien sûr la démarche d’Andy Warhol. De manière ironique, Damien Hirst se place dans la position de l’industrie pharmaceutique (sa signature apparaît même sous forme de logo) essayant de vendre son « produit » : œuvre d’art ou médicament sont ainsi mis en équivalence. »

Bryan Lewis Saunders, Portrait sous drogue (G13 Marijuana), 2010-2011 et Portrait sous drogue (1/2 gramme de cocaïne), 2010-2011. Depuis mars 1995, l’artiste Bryan Lewis Saunders réalise au moins un autoportrait par jour "sur des feuilles de carnet au format toujours identique". Il en compte aujourd’hui près de 9 000. Cette ascèse quotidienne s’accompagne d’une véritable recherche expérimentale : l’artiste observe les effets de certaines situations (exposition prolongée à des néons colorés par exemple) ou sentiments (anxiété, amour, douleur) sur la représentation qu’il a de lui-même. En 2001, il réalise pendant quelques semaines une série d’autoportraits sous l’emprise de drogues, essayant chaque jour une nouvelle substance, dont la nature et la quantité absorbée sont mentionnées à même le dessin. Outre une exploration des variations de la perception de l’être (de l’apaisement à l’atomisation), la série constitue un exercice de style brillant. »

Une sélection d’affiches psychédéliques de la collection de Frédéric Jaïs Elalouf.

Visages d’enfants de Michel François, 1998, sont dissimulés « l’un par une fleur de datura, l’autre par une bouteille de vin. Le visiteur superpose mentalement à l’innocence des images sa connaissance des dégâts des addictions précoces. »

La phrase en LED de Jeanne Susplugas , 2009, suggère qu’un principe actif est toujours l’antidote d’un autre et transforme en slogan scintillant le cycle de la prise de « produits » dans notre vie quotidienne

L’humour revient en force avec les œuvres autour de l’alcool

Un dessin humoristique « redimensionné en peinture murale » par François Curlet la figure l’archétype du parisien soûl, accroché à un lampadaire et sujet à des hallucinations visuelles.

Prises de sang d’Esther Ferrer est constitué de trois seringues aux couleurs nationales remplies de trois boissons caractéristiques de différentes classes sociales.

Cette petite installation semble désigner l’alcoolisme comme une affection bien française, partagée par toutes les couches de la société.

La machine à écrire des noms de substances de Fred Tomaselli conclut avec finesse. « Les lettres manquantes sont remplacées par des ratures. Hommage à Burroughs, l’œuvre est pour l’artiste et commissaire Antoine Perpère, une manière de dire à la fois que la drogue parasite la communication, mais aussi de clore l’exposition sur le plus puissant des psychotropes : le langage. »

[(La maison rouge, fondation antoine de galbert, 10 bd de la bastille – 75012 Paris
Du 15 février au 19 mai 2013.)]


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