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Robert Longo. Lumineuse inquiétude



Galerie Thaddaeus Ropac < 22-05-16. Une exposition saisissante d’un des grands maîtres américains du fusain. Les formats immenses comme les pièces intimes s’enracinent dans la culture pour dire les craquements du monde.

Untitled (Trees) 
2016

Robert Longo expose sur les trois niveaux de cette galerie de notoriété internationale une vingtaine de nouveaux dessins qui suscitent émotion et admiration quelle que soit la familiarité que l’on peut avoir pour ses œuvres antérieures. Cet américain de Brooklyn, âgé de 63 ans, continue à rendre compte du monde, des phénomènes de société et des faiblesses de son pays. Ses images d’un noir profond et visant à la perfection troublent le visiteur, car il ne sait pas si c’est de la photographie ou du dessin tant elles sont précises et dotées d’une présence physique fascinante. [1]
Depuis les années 80 où l’artiste a entamé une réflexion sur le pouvoir et ses rouages, ses sujets sont diversifiés. Aujourd’hui, il se saisit autant de la question du climat que de celle des attentats de Paris tout en demeurant un homme de culture avec les lettres de Beethoven ou les tableaux passés aux rayons X. Il s’agit pour lui d’aller en permanence au tréfonds des choses et d’y entraîner le spectateur.

Robert Longo, entrée de la galerie, photo Charles Duprat

Robert Longo est venu au dessin dans les années 70 pour des questions de moyens. Il n’avait pas assez d’argent pour faire de la vidéo ou de la photo, les médiums qui prenaient alors de l’importance. Il s’est saisi de ce qui était devenu marginal, le fusain ; il l’a singularisé, en lui insufflant des stéroïdes, comme il aime à le dire, et l’a amplifié afin qu’il pèse aussi lourd qu’une sculpture : il en fait des grands, voire très grands, formats avec une précision étonnante qui pourrait classer l’artiste parmi les hyperréalistes.
Il dessine par couches successives, ce qui donne une densité inouïe à ses œuvres si fragiles qu’elles exigent un verre de protection. Si le spectateur cherche à regarder de près, il se heurte à sa propre image et se retrouve immergé dans ces immensités noires, un peu comme dans les tableaux miroirs de Pistoletto .

Untitled (Rippling Water)
 2015
 
241,9 x 195,6 x 10,2 cm

Ne pouvant être un peintre de chevalet Robert Longo va chercher ses images dans les supports papiers et de plus en plus sur Internet, pour leur compréhension immédiate, pour leur symbolique ou encore pour leur écho dans la mémoire enfouie de son adolescence. L’actualité du monde est ainsi présente dans ses œuvres, mais au milieu d’autres dessins enracinés dans la culture, la poésie ou le roman fantastique. Les sujets n’en restent pas moins définis en fonction de leur intérêt pour la société. Robert Longo est un Américain qui, tout en portant un regard critique sur les évolutions de son pays, l’aime pour la vitalité de ses habitants.

Le noir et blanc lui donne l’impression de tenir un langage de vérité, sans concession. Le noir amplifie le tragique de certaines situations et du climat politique. Au fur et à mesure de l’expansion de son œuvre ses archives s’agrandissent tandis que certains référentiels reviennent, précédemment ce fut la bombe, les vagues, les tigres, aujourd’hui ce sont Géricault et son radeau de la Méduse, Samuel Beckett et toujours les formes du pouvoir. L’exposition montre que l’artiste ne privilégie pas un temps particulier, le passé, le présent ou le futur, les dessins renvoyant les uns aux autres.

***Qu’apprennent la nouvelle exposition et sa splendide scénographie sur l’artiste ?

Une réponse est évidente : fidèle à son médium Robert Longo ne cesse d’innover et d’en pousser plus loin les limites, non pas seulement pour plus de virtuosité, mais surtout pour souligner son inquiétude, comme l’exprime le titre de l’expo.

Untitled (Iceberg for C.D.F.) 2016

L’enrichissement de sa technique du fusain va de pair avec un sens subtil du paradoxe et de la manipulation des contraires. Pour la première fois, un peu comme dans les dernières productions de Soulages, Robert Longo aborde la face inverse de sa technique : le blanc. « Untitled (Iceberg for C.D.F.) » n’est plus réalisé selon le procédé habituel, mais avec une poudre très légère, en quatre grands panneaux rectangulaires et non dans le seul immense format habituel. L’Iceberg est beau et imposant mais il est déjà fracturé, comme sous l’effet du réchauffement climatique. Son caractère est toujours aussi pesant, mais il se veut évanescent, immatériel. La transparence et le blanc nient la matérialité de la glace. Le renforcement du message est accentué par la place dans l’exposition, en face d’un dessin faisant référence aux attentats de Charlie Hebdo. La violence est partout, dans le climat et la société.

Bullet Hole in Window, January 7, 2015, 2015-2016, fusain sur papier, 193 cm x 262 cm

Le dessin en format paysage de l’impact de balle, agrandi cinq à dix fois, dans une vitre des bureaux de Charlie Hebdo suscite le malaise par la précision extrême des moindres éclats traités avec la suavité du fusain. La barbarie de l’acte est immédiatement perceptible, sans trace humaine, sans esthétisation.

Untitled (Vatican Bishops) 
2016 250,2 x 368,9 x 15,6 cm

Une toile, pourrait-on dire, retient l’attention jusqu’à la fascination : un immense dessin de 4m sur 3 occupe seul l’espace du sous-sol de la galerie : « Untitled (Vatican Bishops) ». Des évêques, vus en plongée, rassemblés dans un ordre serré à l’occasion de la béatification de Jean-Paul II en 2011, regardant dans la même direction évoquent l’absolutisme du pouvoir et le poids de la codification morale, et plus encore une sorte de mise en scène relevant des régimes totalitaires ou de Starwars avec ses androïdes. Cette vision de l’Église dérange. La taille de l’œuvre et l’atmosphère sinistre donnée par l’importance du noir renforcent le malaise.

La taille des dessins de Robert Longo constitue une signature en elle-même, mais l’artiste prend le spectateur à contrepied en réalisant des chefs-d’œuvre de 10cm sur 10, des copies-interprétations de toiles de maîtres anciens, avec toute leur finesse. Si cela est surprenant, c’est pour revenir immédiatement ensuite à ses formats habituels sous un angle nouveau. En effet l’artiste débute désormais une série —« Héritage drawings »— reprenant les tableaux qui comptent pour lui : Géricault avec « Le radeau de la Méduse », Rembrandt avec « Bethsabée au bain » , Friedrich avec « Deux hommes contemplant la lune » .

Untitled (X-Ray of Bathsheba at Her Bath, 1654, After Rembrandt) 
2015-2016
 177,8 x 177,8 cm

Après avoir réalisé la prouesse du petit dessin de Rembrandt où les formes d’un corps généreux sont très bien rendues, il fait un grand format du tableau original mais photographié sous rayon X par des scientifiques. Il s’agit pour l’artiste d’aller en profondeur dans l’œuvre et de tenter d’en comprendre l’aura. Il rend compte alors des essais-erreurs du maître qui s’y reprend à deux fois pour positionner le visage, des craquelures du tableau et surtout des clous qui sont plantés dans le cadre. Outre les signes du passage du temps, il y a à nouveau de la violence dans cette vision de la toile de référence. Cependant, Robert Longo suggère une humanisation du maître, en donnant à voir ses repentirs.

Untitled (Redux)
 2016


« Le radeau de la Méduse » est traité d’une autre manière encore puisqu’un petit bout de la toile est agrandie à l’extrême tandis que les reflets de l’eau donnent lieu à une abstraction au point que le visiteur, qui bute sur cette œuvre accrochée à l’entrée de la galerie, peut hésiter sur ce qui lui est donné à voir. Or ce tableau est une œuvre fétiche pour l’artiste, car il se reconnaît dans Géricault qui a voulu faire de son œuvre à la fois une dénonciation de l’arrogance de classe, une stigmatisation du commandant incompétent qui a conduit son bateau au désastre et un hymne à l’antiesclavagisme.

Robert Longo innove encore en écrivant, sur le mur même de la galerie et dans un blanc quasiment illisible, les lettres que Beethoven avaient destinées à l’être aimé mais ne lui a jamais fait parvenir. L’analogie formelle entre une écriture ténue et une missive restée lettre morte est belle.

Jean Deuzèmes

Courtesy the artist and Galerie Thaddaeus Ropac, Paris/Salzburg
Photos : © Charles Duprat.


[1« Arbres » est un grand dessin accroché à l’entrée de la salle principale de la galerie qui fascine et est significatif de la démarche de Robert Longo : le grand format et une technique illusionniste poussée à l’extrême pour aller au-delà du dessin et se questionner sur l’origine d’une telle œuvre. Si l’eau est un thème récurrent chez l’artiste, ici elle n’est pas vague ni mouvement, mais immobilité. Le reflet est traité de manière tellement parfaite, qu’on serait de tenter de s’interroger sur le « bon sens » du dessin. Ce dessin renvoie peut-être à un précédent, où l’artiste qui se remettait d’un AVC, après avoir frôlé la mort, avait rendu compte de ce qui se jouait dans sa tête en dessinant des arbres et leurs racines, avec un crâne.

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