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Quentin Guichard. In Overscheyt



La dernière exposition à Saint-Merry. « Dans l’abîme d’en haut », une traduction visuelle de ce que la science dit de l’origine de la lumière, une puissante réflexion photographique qui converge avec des textes mystiques. Une mise en scène remarquable.

La dernière exposition du CPHB à Saint-Merry s’est terminée en juin 2022.
Quentin Guichard est un artiste plasticien passionné par la question de l’origine. En 2014, il avait abordé la genèse de la matière en exposant à Saint-Merry, « Exographies » >>>,deux imposants triptyques élaborés à partir d’un travail à base d’encre de Chine et accrochés dans la nef.

En 2021, il revient dans cette église avec une autre interrogation sur la lumière, sur l’après Big-Bang, sur l’explosion de l’intensité lumineuse qui a généré l’espace. Le dispositif adopté est presque semblable, cinq grands tableaux photographiques dans la nef, exaltant les effets de symétrie, et un sixième dans le claustra où la lumière est d’une autre nature.

In Overscheyt signifie, en ancien flamand, « dans l’abîme d’en haut ». Cette expression est empruntée aux Visions de sainte Hadewijch d’Anvers (XIIIe siècle) qui formule cette intuition : l’absolu est un espace intérieur qui ne peut s’exprimer que dans les contrastes les plus intenses.

Avec cette splendide exposition qui magnifie l’architecture, ce photographe d’une très grande rigueur traduit, comme une langue dans une autre, ce que la science dit de la création. Il crée une œuvre originale en référence aux intuitions des mystiques de religions différentes et des grands maîtres de la peinture. Chez lui, point d’illustration.

La photographie est un art constitué par la lumière, dont Quentin Guichard veut saisir la naissance. Il en offre un récit visuel et cherche à faire remonter son art jusque dans l’invisible.

Flyer de In Overscheyt

L’artiste a présenté l’origine de son œuvre, les questions qu’il s’est posées et le sens de l’exposition dans l’église lors d’un entretien à France Culture le mardi 1er Juin 2021, dans le cadre de l’émission, Le Réveil Culturel de Tewik Hakem [*Écouter*]

Quentin Guichard. In Overscheyt, 2020 from Voir & Dire on Vimeo.

Les scientifiques affirment aujourd’hui que, lors de la création du monde, 380 000 ans après le Big Bang, l’univers s’est refroidi et a perdu en densité, les photons ont été alors libérés : l’acte de naissance de la lumière est signé. De ces jeux fantastiques d’énergie, est ensuite née la matière. Les éruptions volcaniques, les tempêtes solaires, les gaz stellaires évoquent cette mutation. Avec la dissémination de la matière qui a suivi, une pluralité de mondes possibles est apparue. L’espace est donc né de la lumière. Le savant d’aujourd’hui ne cesse de l’explorer avec des moyens de plus en plus puissants et tente de remonter aux origines.

Les artistes et les textes abordent cette question d’une tout autre manière. Mais la question est bien la même.

Les grands mythes expriment la création de la lumière par des mots, propres à des cultures précises, mais ils convergent dans leur intuition.
« Le monde fut engendré dans un cri de lumière ». Mythe égyptien.
« La nature ne fut d’abord qu’une masse confuse et sans ordre, où gisaient pêle-mêle les cieux, la terre et l’onde ». Ovide. Les métamorphoses.

Et bien sûr la Genèse :
« Alors que la terre était étourdissante et vide, et que l’obscurité régnait sur la surface de l’abîme, et que le souffle d’élohim voletait sur la face des eaux, élohim dit "Que soit lumière !" et il fut lumière. » (Genèse 1, 2-3, traduction Marc-Alain Ouaknin)

Quentin Guichard a été traversé par la fulgurance d’une phrase d’Hadewijch d’Anvers : « Cette âme, il faut qu’elle soit arrachée par l’amour à son être propre et lancée dans l’abîme d’en Haut  ».

Sa démarche d’artiste se focalise sur la représentation de ce qu’on pourrait appeler « la scène primitive » de la photographie, en empruntant au concept des psychanalystes qui est associé à la passion et à la violence. Non pas celles des accouplements, mais celles de l’énergie primordiale.

Il exprime ainsi sa quête : « L’abîme d’en haut de la sainte était une image à inventer ; une réflexion sur la création de l’espace par l’irruption de la lumière. Cette expression incarne la tension sur laquelle nos mythes et nos œuvres sont fondés. Pour l’artiste, elle est une image qui s’élabore, alors que les scientifiques l’appréhendent comme un rayonnement diffus à la signature infinitésimale.

Comment dépeindre la lumière originelle et cette obscurité primordiale et quel sens donner à la matière qui l’a fait naître ? Ces interrogations évoquent un temps aujourd’hui daté. » (Toutes les citations de Quentin Guichard sont extraites du flyer conçu pour l’exposition ou d’une correspondance privée avec l’artiste.)

Comme les scientifiques qui cherchent à remonter le temps, il est parti d’une manifestation brutale de la matière : Dettifoss, une immense cascade d’Islande, qui charrie eau, air, terre, pierre dont il a pris des milliers de photos ; puis il a utilisé ses clichés comme matériaux pour ses compositions mystérieuses qui sont autant de récits sur la lumière.

D’une extrême fragilité, ses grands formats se donnent à voir comme des hybridations entre le geste pictural et le détail photographique ; elles sont le fruit d’une relation attentive et minutieuse à la nature pour en libérer la fabuleuse énergie. Il utilise donc la photographie pour lui faire révéler ce qu’elle ne peut dévoiler.

« C’est l’expérience du jadis. De cette force autoritaire et indifférente à notre présence, mais qui, dans ses méandres et ses convolutions, ouvre sur un autre espace. À la façon de la cascade qui se réinvente à chaque instant, à la fois similaire et changeante, je me suis mis à rêver l’expansion fulgurante de la lumière comme un phénomène qui invente et sculpte l’espace par la révélation de la matière dont elle provient. »

Les œuvres exposées à Saint-Merry sont très riches en nuances et détails. Organisées en deux triptyques, elles ont été conçues comme des récits.

Dans le premier triptyque, un peu plus dans l’ombre (à droite dans la nef), la lumière/faisceau déchire les ténèbres (Overscheyt n°1), se transforme en flamme (Overscheyt n°2) et conduit à un premier espace où des paysages possibles émergent (Overscheyt n°3). Les photos expriment ici le caractère centrifuge de l’énergie de la lumière.

En face, deux autres tableaux photographiques : éclairée par le soleil de mai-juin, la lueur se rapproche de celle du soleil. Elle n’est plus éruptive (Overscheyt n°5 et n°7). Elle coule et dessine des paysages primitifs, jusqu’à recomposer une nature quasiment constituée dans le dernier tableau du triptyque (Overscheyt n°6 dans le claustra, avec la rivière que l’on devine au milieu).

Les photos expriment le mécanisme de refroidissement de la création, le temps des séparations et d’individualisation des éléments de matière que les mythes expriment avec leurs mots. Par exemple :
« Alors élohim dit : "Que les eaux se rassemblent au-dessous du ciel en un seul lieu et qu’apparaisse la partie sèche". Et ce fut ainsi ! » (Genèse 1, 9, traduction Marc-Alain Ouaknin)

Il y a une grande proximité entre l’eau de la cascade islandaise et la lumière originaire vers laquelle l’artiste court. Il ne cache pas non plus les multiples analogies de sa démarche avec les paroles des mystiques, car cet art de la photographie converse à sa manière avec le spirituel.
« Il me faut retrouver l’image impossible, L’abîme d’en haut. […] Peindre la lumière est une forme d’ascèse intérieure car elle nous met face à nos propres limites, spirituelles et techniques. […] Il nous faut revendiquer la trajectoire spirituelle de l’art. Parler à l’âme, essayer de rendre sensible ce qui n’a pas d’image possible par le prisme de l’œil. »

Urlicht (à écouter), une étude électro-acoustique en écho à la lumière intérieure des œuvres accompagne le visiteur. Elle a été composée par l’artiste à partir des matières aquatiques et aériennes enregistrées en Islande.

On peut approcher cette création originale d’une grande puissance en toute autonomie artistique, mais on peut aussi la lier à la force de textes mythiques et mystiques, comme Quentin Guichard le propose, notamment avec le choix du titre de l’exposition.
Le photographe suggère lui-même, par ces courtes phrases, un certain écho entre sa recherche et les œuvres des grands maîtres antérieurs :

Shi Tao. « La fusion de tous les éléments. Peindre des cimes et des montagnes, des gouffres et des rivières avec pour seul élément l’eau et la lumière qui en émerge. »
Léonard de Vinci. Sainte Anne, la Vierge et l’enfant Jésus avec un agneau. « La nature en arrière-plan, proche de l’esprit de Shi Tao. Technique du sfumato dans une perspective photographique : superposition de matières par centaines pour lever la lumière et la diffracter dans une épaisseur atmosphérique qui trouble les contours. »
Tintoret. Percées luministes. La Tentation de Saint-Antoine. « Incidences d’une lumière venant d’un arrière-monde et son irradiation en contre-jour sur les corps. »

Mais on peut penser aussi au tableau de William Turner (1775-1851) Lumière et couleur (La théorie de Goethe). Le matin après de déluge, Moïse écrivant le livre de la Genèse [1], 1843 et son pendant : Ombre, obscurité. Le soir du déluge. 1843, les deux se trouvant à la Tate Gallery de Londres.

En quittant l’exposition, tout en respectant la totale indépendance de la pensée de Quentin Guichard, on évoquerait volontiers Genèse 1,4
«  Alors élohim contempla la lumière. Oui ! C’était bien ! »

Jean Deuzèmes.
Commissaire de l’exposition

Site de l’artiste : https://www.quentinguichard.com/


Église Saint-Merry du 15 mai au 28 juin 2021

76 rue de la verrerie, 75004 Paris.
Tous les jours de 13h00 à 18h
Le dimanche à partir de 15h30 / métro : Hôtel de ville ou Rambuteau


[1Cette huile sur toile, 78,5 x 78,5, que l’on peut voir à la Tate Gallery de Londres fait partie des œuvres du dernier Turner, dont le titre sonne étrangement puisqu’il mêle un sens métaphysique et un débat scientifique. Mais cette œuvre doit être perçue avec la seconde. Si les deux transforment radicalement la vision des ciels et ancrent le peintre dans une certaine vision du Romantisme, les tableaux traitent avant tout de la lumière
Dans le vortex, puissance de lumières, un homme tournant le dos écrit la Genèse : Moïse.
Autour, sortant du magma de couleurs, les gouttelettes ne sont autres que des têtes d’humain. Elles symbolisent le temps cyclique. Moïse est tourné vers la source de la lumière et l’artiste la traque. Il peint la création, non pas le Big Bang, mais plutôt une Genèse au sens de l’Évangile de Jean . Il y a cependant du chaos de lumière dans cette toile, savamment organisée. Le soleil, c’est Dieu aurait dit Turner sur son lit de mort.

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