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Miriam Cahn. Ma pensée sérielle



Peindre la violence dans l’urgence tout en la dénonçant. Une sismographe du monde, les œuvres de résistance d’une féministe. Le nu pour renvoyer chacun à sa responsabilité. Une exposition puissante au Palais de Tokyo.

Sa rage : «  Un moteur même de son art » dit-elle

On ne sort pas indemne de la rétrospective de cette artiste suisse, née en 1949, qui s’engage dans le mouvement féministe et antinucléaire dès sa formation à la Gewerbeschule de Bâle. On n’en sort pas accablé, mais plutôt bouleversé par cette constance à faire de son œuvre un lieu de résistance individuelle et de dissidence, dénonçant l’humiliation et la violence.
Les visages en rose et en vert, les yeux parfois vides, ce sont les siens qui regardent notre monde avec hantise, submergé par les flux d’images. Le nu est le sien avec toutes ses blessures, le nôtre donc.
On connaissait certains de ses tableaux qui avaient eu l’honneur de salles à la Bourse de commerce ou dans les palais vénitiens de la Fondation Pinault. Mais on n’avait pas pressenti à quel point, depuis trois décennies, l’artiste était la caisse de résonance des conflits contemporains et de leur médiatisation, notamment par la télévision : la guerre du Golfe, les Balkans et jusqu’à l’Ukraine.
En effet, elle explore la violence et la souffrance humaine dans le monde, mais aussi dans sa famille, et bien sûr au fond d’elle-même.
Elle le fait avec une force peu commune, dans une très grande concentration.
Venue de la performance dont elle a voulu garder trace dans ses dessins, elle a conçu elle-même l’accrochage de manière performée, chronologiquement et par thématique : un assemblage dont le titre témoigne. « Si je ne peux disposer de mes œuvres comme je l’entends, alors cela ne sert à rien d’exposer. »

Mur de l’exposition

Les toiles n’ont pas de cadre, elles flottent ou sont clouées. Ce sont les toiles d’une artiste femme, travaillant sans assistant, avec des formats qui sont à son échelle et qu’elle peut manipuler.
Les dessins ou les peintures se suivent en petits ou grands formats, avec ou sans lignes d’accrochage dessous ou dessus, jusqu’au plafond. Mais ce n’est pas le désordre, car l’artiste a su constituer un ensemble d’œuvres solidaires les unes les autres, ce qu’elle appelle des séries, en fait la mémoire de ses émotions et de ses révoltes.

Autoportrait

Les éléments réalisés dans l’urgence sont immédiatement reconnaissables quand il s’agit de corps humains, nus la plupart du temps, de visages : des couleurs criardes, des têtes livides à peine dessinées qui peuvent se fondre dans le fond coloré. Des teintes sales peut-être, en tout cas crayeuses. Les corps titubent, les visages ne sont pas centrés, le sang occupe le premier plan, les références au sexe ou à la dégradation humaine par le porno sont explicites et fréquentes.
La violence dans l’art et par l’art n’est pas une nouveauté. Ainsi le massacre des Innocents est plus qu’une illustration des textes bibliques. Goya a fait de la violence un thème politique. On pourrait multiplier les exemples. Il est même des artistes qui ne s’expriment que sur ce mode comme Mike Kelley ou les Frères Chapman. Miriam Cahn, elle, s’en distingue, car le fondement de son art est de partir de son propre corps, d’en faire un commun, de faire ressentir l’émotion qui la traverse et de donner une réponse à ce qu’elle perçoit du monde, via le flux ininterrompu des médias.

Elle y engage toute l’énergie de son corps, dans l’urgence (une œuvre est réalisée en deux heures) et non pas seulement son intellect. Le sexe, la guerre, la violence sont au cœur de son œuvre, sans fard. Le spectateur est happé et confronté à la souffrance.

Et brusquement s’affichent des montagnes, des arbres et des silhouettes de maisons paisibles : Miriam Cahn vit au fond de la vallée de la Stampa, en Suisse, totalement isolée, sans soleil quatre mois par ans. C’est de là qu’elle ressent les cris du monde, qu’elle parle des viols et des tueries de Sarajevo, Bouchta ou d’ailleurs, des drames de migrants. Ce refuge la sauve et lui permet de poursuivre un art qu’elle juge primordial.

« Jour après jour, au sein d’une picturale intense qui embrasse aussi le dessins, la photographie, les films, l’écriture, Miriam Cahn met sur pause le flux des images volatiles de l’actualité politique et s’en saisit pour témoigner, résister, incarner » écrivent les deux curatrices dans le livret de présentation.
Cette posture produit des œuvres fortes dont l’une, « Fuck Abstraction » a d’ailleurs été détournée de son sens par des associations, d’où un procès médiatiséqui a rétabli les droits de l’artiste. Lire cartel>>>

Les quatre espaces où sont regroupées plus de deux cents œuvres sont d’une grande pertinence et permettent d’entrer dans une démarche qui parle visuellement de notre temps précis et de l’humain en général.

ESPACEMOI : spatialemoi, 2010
Les têtes et les corps sont omniprésents. La nudité traduit symboliquement la quintessence de la vie, et les menaces qui pèsent sur elle. En mettant les yeux de ses sujets à la hauteur de ceux des spectateurs, elle interpelle notre conscience à nous saisir des affres du monde. « Je m’intéresse aux échanges entre l’image et le spectateur. »

LIREDANSLAPOUSSIERE (L.D.L.P.), 1mois féminin, 1988
Cette série porte les traces de son engagement performatif lorsqu’elle créait des dessins sur l’espace public, non pas comme des street artistes, mais en dansant sur ses papiers à terre. Elle devient sismographe de ses émotions, de son énergie, de son métabolisme notamment quand elle témoigne de ce qui est au profond d’elle chaque jour de son cycle menstruel. Le noir apparaît alors après des éclats de couleurs qui sont aussi des allusions au champignon atomique.

Autoportrait et vieillesse

DEVOIRFUIR+ESSENTIELLEMENT, 1996-2022
Les œuvres sont les réponses dans le langage de la peinture aux émotions provoquées par les actes de violence, des conflits armés au racisme. Les visages sans traits relèvent de l’universel, du plus primitif. Pour l’artiste, la sexualité ne tient pas de l’intime, mais du collectif et du politique, dans le sillage d’autres artistes comme VALIE EXPORT dans les années 60 (Genital Panic). Miriam Cahn a voulu mettre dans sa peinture une pulsation de vie.

ESPACE DE GUERRE printemps 2022
Les armes, les tanks, les navires de guerre ont été le sujet de dessins à la craie noire et à l’aquarelle, depuis la guerre au Liban jusqu’à l’Ukraine. L’exil fait partie de ces conflits. Aux images banalisées d’actualité télévisuelle, elle oppose un art manifeste qui rend présente l’horreur des conflits, comme dans Guernica.

Beirouth
Exil

Jean Deuzèmes


Palais de Tokyo
17 février-14 mai 2023

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