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Michael Ray Charles. Galerie Templon



« In the presence of light » : une œuvre peinte en noir et blanc, une remise en cause de la vision traditionnelle de l’identité des Afro-Américains et de la discrimination. Une découverte.

The Magic Man, 2012

Michael Ray Charles a arrêté de montrer ses œuvres en 2004. En tant qu’Afro-Américain, dès sa sortie de l’université de Houston en 1993, il avait cherché à combattre les stéréotypes raciaux toujours présents dans la société américaine, notamment dans la culture populaire. Il dessinait et peignait en couleurs, dans le style des publicités des années trente, des images d’Africains associés traditionnellement à des produits de consommation (chocolat, cirage). Mais sous le coup des critiques, et du fait des nouvelles tendances de l’art américain, il s’était retiré pour approfondir ses propres réflexions et être fidèle à lui-même. En 2022, il revient, ou plutôt il vient en France car on ne l’y connaît guère, en contrat à la galerie Templon, dans un autre style, le noir et blanc, et surtout avec une autre démarche : ses recherches personnelles sur la formation des identités par la culture et sur l’universalisme de la discrimination.
En outre, le contexte politique a changé : avec « In the presence of light », Michael Ray Charles expose les œuvres réalisées en atelier pendant près de 20 ans, l’après « Black Lives Mater ». Il privilégie les figures de Noirs, notamment dans le domaine du spectacle, soulignant son propre questionnement par la lumière peinte du projecteur.
Ses mises en scène sont spectaculaires et dérangeantes, tout aussi fascinantes que questionnantes sur le fond et la forme pour ceux qui ne sont pas familiers de la culture américaine.

Beware, 1998

En 2016, le musée du Quai Branly Jacques Chirac avait proposé une exposition rendant hommage aux artistes et penseurs afro-américains qui ont contribué, durant près d’un siècle et demi de luttes, à estomper cette "ligne de couleur" discriminatoire : « The Color Line » . « Quel rôle a joué l’art dans la quête d’égalité et d’affirmation de l’identité noire dans l’Amérique de la Ségrégation ? » pouvait-on lire en introduction. Des premières œuvres de Michael Ray Charles, des caricatures de stéréotypes, s’y trouvaient déjà.

The Tale of Two Toms, 2022

En 2022, à la Galerie Templon, la problématique est différente. Les « minstrel shows », ces spectacles populaires du XIXe siècle, où des acteurs blancs grimés en « black face » tenaient le rôle de musiciens noirs, sont à l’origine d’une intelligente scénographie.
Mais en multipliant les tableaux où ce sont les acteurs noirs qui sont sur scène, Michael Ray Charles affirme que ces communautés ont trouvé par le biais de la musique, du cinéma, du théâtre, de la boxe une manière de se rendre présents.

En fait le cadre de la pensée de l’artiste est bien plus large. À partir de ce qui se passe aux États-Unis, il s’intéresse à la manière dont les Africains et les Noirs vivent dans bien d’autres lieux de la culture occidentale, quelles relations ils ont avec le pouvoir et quelles sont les images en jeu.

Sa technique est spécifique. L’usage de la peinture au latex, avec deux coloris principaux, le noir et le blanc, permet de peindre les éclairages de projecteur, avec des lumières blanches et crues, et des ombres multiples, qui sont des représentations de ce qui se joue dans cette conquête de l’identité par la culture. Et plus encore de la liberté : toutes les œuvres ont un titre précédé de "(Forever free)" et une signature de l’artiste avec un penny incrusté, car sur une des faces se trouve le profil de Lincoln.

Sub Rose, 2012

Dans Sub Rose, mais aussi The Road most Travelled, les personnages sont si éclairés qu’ils apparaissent blancs avec des positions de penseurs, à la Rodin, sur des supports qui constituent le lien avec leur histoire : une barque, pour exprimer le trajet de la traite, une statue africaine pour signifier l’origine culturelle, des grelots, des colliers de reconnaissance sonore …
Cette question du lien avec la culture des propriétaires blancs, ou de la bourgeoisie qui les utilise dans les activités de la maison, est bien exprimée dans Black Values, où un lustre est à terre, entraîné par la masse inférieure, sculptée comme une figure noire.
L’artiste n’évoque pas directement la violence, mais la lutte d’identité au sein des univers bourgeois comme dans ce cheval de bois où la figure est un buste noir et l’assise un bras ; ou, avec The Tale of Two Toms, deux boxeurs placés à deux niveaux différents, comme des jouets.

The Mammy, 2006-2022

La figure de la black mammy, servante noire rieuse et affectueuse, n’est pas absente et renvoie à son inspiration antérieure, plus critique : sculptée de plusieurs manières, l’une est déposée sur un socle en forme de monument des États confédérés du Sud et l’autre a une forme de tirelire, pour rappeler que la traite était à l’origine d’un vaste système économique et financier.

The Facts of Life, 2012

Le tableau grand format à l’accueil est le plus iconique : il représente Lincoln assis monumentalement, impassible, dont on sait pourtant que la politique abolitionniste était très ambiguë , à ses pieds trois chevalets de peintre, organisé comme un Golgotha, et trois figures du KKK dansant, the Facts of Life : le Klan est apparu quelques mois après l’assassinat du président républicain en 1865.
Les chevalets sont vides et attendent le peintre qui s’emparera de façon critique du sujet.

Cette exposition, une découverte, atteste la fidélité de l’artiste à ses engagements dans un renouvellement profond de sa technique.

Jean Deuzèmes


19 mars-7 mai 2022
Templon, 28 rue du Grenier-Saint-Lazare, Paris 03

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