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Matthieu Ricard, Simon Velez. Contemplation



Arles 2018 : Une installation monumentale de bambou pour abriter 40 grandes photos de paysages : l’invitation d’un moine bouddhiste à la contemplation. Beau et séduisant. D’où vient cette réussite ?

« Contemplation » tiendrait d’un cocktail de culture réussi : Simon Velez et Stefana Simi, sa compagne architecte, ont dessiné un pavillon de 1000m2, une structure de bambou venant non pas d’Asie, mais de leur pays : la Colombie. Matthieu Ricard, scientifique français devenu moine bouddhiste, auteur, traducteur du Dalaï-Lama, est aussi patron d’une ONG en faveur des enfants du Tibet ; homme de conviction, cette sorte de Nicolas Hulot de la spiritualité parcourt le monde pour y donner des conférences ou des retraites, son appareil photo à la main ; il a choisi pour Arles quarante grands formats qui suscitent immédiatement l’émotion. Vinci, donateur constructeur, y a amélioré ses techniques de préfabrication et de montage rapide à partir d’un matériau naturel d’avenir, le bambou. Maja Hoffmann, la milliardaire qui transforme une partie d’Arles par la culture, a participé au financement. La SNCF et la Ville ont proposé la localisation dans un nouveau site des Rencontres photographiques.
Ainsi, beaucoup de fées se sont penchées sur un projet qui va ensuite voyager et sera le représentant de ces acteurs, chacun faisant valoir son image. « Contemplation » est plus qu’une exposition de photos, facile d’appropriation, nimbée de spiritualité et déjà très populaire.

Matthieu Ricard et Simon Velez. Contemplation // Arles 2018 from Voir & Dire on Vimeo.

Une architecture, un lieu

Il est difficile de séparer l’étonnement que l’on peut avoir pour l’architecture de celle que suscitent les photos. Le titre enserre, d’ailleurs, les deux. Tout est fait pour impressionner le public, pour créer un contexte de sérénité, pour déployer les valeurs des deux architectes et du photographe : éthique de la construction, spiritualité et altruisme. Ce ne sont pourtant pas que de bons sentiments exprimés avec talent, ni une variante de « cultures du monde ».
Ce bord du Rhône, un quartier aride dans lequel les Rencontres d’Arles ne s’étaient pas risquées, Trinquetaille, est devenu temporairement un lieu de convergence d’authenticité, l’œuvre étant au croisement entre plusieurs cultures : techniques, architectures vernaculaires, sensibilité bouddhiste. Tout l’oppose terme à terme à la tour Franck Ghery, à l’autre bout de la commune, qui sera inaugurée en 2019 et deviendra le haut lieu de la production et de la diffusion culturelle d’Arles.
Dans le vocabulaire d’aujourd’hui, cela s’appelle une opération d’urbanisme temporaire qui attend un aménagement ou une construction ultérieurs, le temps étant celui de l’incertitude et de l’expérimentation. Mais ici tout est maîtrisé, peu propice à la participation du public pour le programme ultérieur.

Ce lieu fait pour la découverte est une alliance entre le profane et l’ouverture à une transcendance par le paysage. Avec leur bâtiment vide telle une nef, Simon Velez et Stefana Simi réinventent la cimaise et créent par la lumière une atmosphère analogue à celle d’autres expositions marquantes comme dans l’église Sainte-Anne ou l’église des Frères Prêcheurs, à condition que les commissaires ne cassent pas la splendeur des anciennes architectures par des cimaises lourdes et encombrantes ¬— en 2018 l’exposition The Hobbyst dans l’église des Trinitaires étant un navrant exemple. Alors que ces églises déconsacrées et vides s’avèrent des espaces adaptés à la photographie, ici c’est l’architecture d’un anarchiste convaincu qui invente une sorte de sacré nimbé de culture, certains visiteurs parlant spontanément de cathédrale.

Des photos qui ne cachent pas leur finalité

Matthieu Ricard, fils de l’académicien Jean-François Revel, qui devient moine bouddhiste tibétain en 1979 et vit au monastère de Séchèn au Népal, est un homme d’action et de culture, un communicant remarquable (Lire entretien Paris Match) qui connaît tous les codes de langage nécessaires à la diffusion de sa spiritualité, le seul portrait grand format de l’exposition étant son maître Kangyour Rinpoché, un Lama.

Alors que son site Internet présente de nombreuses photos prises en couleur, que l’on peut acheter aisément dans la taille voulue, éventuellement en noir et blanc, au bénéfice de son association humanitaire Karuna-Schechen, Matthieu Ricard a opté, ici, pour de splendides grands tirages de 2mx 1,2m en noir et blanc proche du sépia dont les sujets sont les vastes paysages, les foules pieuses et joyeuses, les grandes traversées équestres dans l’Himalaya, mais aussi ailleurs, là où il y a de la montagne, cet élément géographique étant symboliquement le lieu de la rencontre avec le sacré et le divin. La couleur ne vient pas distraire l’attention, la contemplation.

Le vide et la lumière sont les vrais enjeux pour ce proche d’Henri Cartier-Bresson. Alors qu’il a fait des albums de portraits de moines ou figures du bouddhisme, il les délaisse à Arles et retient avant tout les visions d’une nature dont il aime approcher la beauté pour la communiquer ; il sait mettre les visiteurs dans une attitude de « lâcher-prise » le temps d’un regard et, à Trinquetaille, abondantes sont les photos dans lesquelles on pénètre immédiatement pour y demeurer dans le silence. Il épure souvent ses clichés, à la recherche d’une beauté persuasive. Le bonheur de la spiritualité s’y fait léger, la rudesse du chemin pour y accéder est oubliée.

Pas de cartel indiquant le sujet ou le lieu, mais en substitution est écrite, directement sur chaque photo, la phrase d’un poète ou d’un moine qui prolonge l’adhésion à l’image, incite à l’introspection personnelle ou au recueillement. Tout est splendidement orchestré par un maître habitué à accompagner des retraitants.

Les thèmes qui reviennent sans cesse sont l’altruisme et le bonheur de trouver un sens à sa vie. Les clichés tiennent alors de la démonstration. L’approche est très différente de celle de Yan Arthus-Bertrand, photographe militant de la protection de la terre, dont les œuvres en couleur vues d’avion n’ont de cesse de séduire et d’alerter sur les dégradations en cours, la beauté au service de la prise de conscience et de l’engagement via son site GoodPlanet.

Si la plupart des objets ont déjà été abordés dans la peinture (notamment chinoise) ou la photographie traditionnelle, Matthieu Ricard les revisite par ses clairs-obscurs, la maîtrise de ses multiples plans, ses mers de nuages et accroît l’émotion par les formats et l’accrochage en lumière naturelle tamisée produite par l’architecture de bambou. L’écriture des textes par le photographe lui-même prend l’aspect d’un dessin, d’une calligraphie et exprime la sûreté, la richesse et la solidité du chemin de spiritualité qu’il a suivi.
Le photographe exprime des valeurs universelles et spirituelles et, avec talent, les transmet directement, immédiatement, au visiteur, « l’autre de ses photos ».

Une innovation ? Non, plutôt un condensé de trois traditions

Alors que bien des œuvres des rencontres d’Arles surprennent et déroutent, « Contemplation » apaise et relève de trois traditions, cependant exprimées dans l’esprit de notre époque :
- La recherche de solutions naturelles, l’affirmation de la bonté de la nature

Retour aux sources de l’écologie. La nature est au centre des photos de Matthieu Ricard, les hommes l’habitent. Il la magnifie ; aucune trace d’orage, de sécheresse ou d’inondation. Elle est sereine et non hostile. Le message est clair de la part de ce militant des droits de la terre et du respect des animaux. Il en va de même pour l’architecture colombienne, profondément vernaculaire, dont les éléments fabriqués par des artisans de ce pays ont été assemblés et transportés à Arles. Le bambou est présenté comme ayant des capacités supérieures à nos matériaux traditionnels (béton) et de synthèse, à condition d’être pensé dans une tradition revisitée, une combinaison avec l’acier lui donnant le nom d’acier végétal. Tout est démontable et remontable ailleurs ; on est dans l’économie circulaire, nouveau nom du développement durable, et la simplicité, un mantra à la mode dans une société se complexifiant. La forme elle-même est « inspirée des Malocas, ces grandes maisons où vivent les indigènes de l’Orénoque et de l’Amazone. C’est le lieu de vie de toute la communauté. Minimalistes, humains, spirituels, ce sont des espaces mystiques » dit l’architecte dont l’idéologie est très éloignée du christianisme de son pays.
  Le maintien de l’attrait pour la sagesse, l’actualisation de voies anciennes

Les rayonnages des librairies sont désormais pleins d’ouvrages de développement personnel, car le marché est porteur et repose sur une recherche de sens alliant le corps et l’esprit, avec Gaïa comme mère. La religion est désormais bricolée et le bouddhisme a une puissance d’attraction d’autant plus grande qu’il est compatible avec d’autres systèmes de croyances. Or Matthieu Ricard est au cœur de cette configuration, il a écrit de nombreux ouvrages, notamment avec Christophe André , le psychiatre et gourou laïque de la méditation de pleine conscience. Avec ses photos provenant de territoires du bouddhisme, avec ses paysages grandioses, avec les rires et le bonheur de ses personnages, l’auteur enrichit ce qui relève des textes, des conférences, des films, des sessions zen et autres. La plénitude du regard de l’auteur par des photos impeccables pouvant être lues comme un témoignage de la véracité et de l’intérêt des chemins traditionnels de sagesse qu’il suit. Ses paysages sont des invitations à la recherche de spiritualité, à la reconnaissance de la singularité de chacun, et à la force de l’altruisme. On n’est pas dans une catéchèse, mais dans l’éveil, terme bouddhiste par excellence.
  La force des volontés humaines, la valeur du collectif

« Contemplation » n’est pas une simple expo de photos choisies par un commissaire, un jeu entre celui-ci et un auteur. C’est une initiative de nombreuses personnes, du collaboratif élargi, selon les mots d’aujourd’hui : une milliardaire, une grande entreprise mondiale de construction, le secteur public, un architecte anar, un moine bouddhiste entreprenant, etc. Des bonnes volontés se retrouvent , comme dans le vieux roman de Jules Romain ou encore en Lc 2-14 ! Cependant, chacun a ses objectifs en termes d’image et de projet, ainsi Vinci avec son mécénat d’honneur mettra probablement en valeur cette opération pour l’obtention de futurs marchés ; ce collectif a su attirer la presse qui encense cette œuvre. La valeur de « Contemplation » est reconnue. Ce terme du champ du religieux est ici revisité par la culture, loin d’un monde des fake news. La vérité est accessible aux yeux et dans son texte d’introduction à l’exposition (lire portfolio), la spiritualité s’expose en toute simplicité, Matthieu Ricard parle de « contempler le monde ».

Cette belle exposition, qui frôle parfois les clichés de Géo ou de National Geographic, mais s’en garde par son minimalisme et l’usage du noir et blanc, suscite l’adhésion générale et laisse peu de place à la critique. Le bonheur de la voir tient à la parfaite maîtrise de multiples paramètres par les acteurs de sa production, chacun bien à sa place y compris dans l’espace de la spiritualité.
Si elle semble décalée par rapport à bien d’autres des Rencontres d’Arles, elle occupe un creux des aspirations du temps actuel : c’est la raison de son succès.
Jean Deuzèmes.

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Jusqu’au 22 septembre 2018

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