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Huang Yong Ping. Empires. Monumenta 2016



Un immense serpent sous la voûte du Grand Palais. Une installation de tous les excès. Une allégorie ambivalente du fonctionnement des empires politiques hier, économiques aujourd’hui.

Tous les deux ans, Monumenta (cette année, 8 mai-18 juin 2016) est l’événement parisien où un artiste invité conçoit une œuvre en la confrontant au volume impressionnant du Grand Palais et à sa voûte de métal.
Huang Yong Ping, artiste dissident chinois, né en 1954, arrivé en France en 1989, a construit une œuvre allégorique, comme il sait le faire. Mais il avait imaginée dans ce cadre avant même que Monumenta existe !
Tous les ingrédients de son art s’y trouvent et notamment la forme, si fréquemment utilisée dans la culture chinoise, du serpent, dont la symbolique varie en fonction des lieux dans lesquels Huang Yong Ping le place. L’œuvre de la Nuit Blanche 2013 est très différente du serpent que l’on peut voir à Saint-Nazaire dans les flots de l’estuaire de la Loire. À Monumenta, le serpent renvoie à ce qu’on pourrait appeler la prudence à l’égard des empires.
Le propos de l’artiste est politique, bien sûr, et surtout économique. La réalisation de cette œuvre colossale et spectaculaire correspond à la commande publique. Quoique pourtant aboutie, « Empires »laisse une impression d’insatisfaction parce qu’on en a vite fait le tour. Confronté à cet ensemble de 305 conteneurs et à ce squelette de serpent de 254 m qui s’y glisse, le visiteur peut paradoxalement y trouver du trop peu par rapport aux autres Monumenta. Huang Yong Ping serait-il davantage dérangeant avec des œuvres aux échelles plus modestes ?

Huang Yong Ping faisait partie du mouvement Xiamen Dada, dont le mot d’ordre était « Le Zen est Dada, Dada est le Zen » qui témoignait de sa volonté d’inscrire le mouvement des avant-gardes occidentales dans le goût du paradoxe Zen. C’est en 1985 que l’artiste découvrit tout à la fois les traditions artistiques chinoises et l’art moderne occidental. Toutes ses œuvres se trouvent à la crête des deux approches et puisent dans leur histoire respective pour évoquer un enjeu du moment. Il n’agit pas en moraliste, mais il utilise des rapprochements visuels pour poser ou retourner des questions.

On entre dans la nef pr l’arrière de l’installation, comme dans la Monumenta 2011 de Christian Boltanski, « Personnes », derrière un mur de métal que composent des arrières de conteneurs disposés comme sur un quai de trafic international. On arrive rapidement dans l’axe de la grande voûte et on y découvre huit « collines » de conteneurs. Sur deux d’entre elles repose un bicorne noir immense, construit sur le modèle de celui porté par Napoléon à la bataille d’Eylau, une victoire, mais aussi un carnage, alors que l’Empire qu’il avait construit allait vaciller. L’artiste évoque l’éternelle volonté de pouvoir dans le monde industriel, politique, militaire, et chaque spectateur passant sosu le bicorne le voit démesuré, soumis en quelque sorte à une question : « Qui portera le chapeau de la prochaine forme d’empire et quelles seront les conséquences de sa conquête ? ».

La grue permettant de décharger les conteneurs qui se trouve au milieu n’est pas un simple outil nécessaire à l’installation, et encore moins l’évocation d’un passé, mais c’est la réalité de tous les grands ports internationaux, la Chine possédant huit des quinze premiers ports mondiaux. L’allusion de l’artiste est évidente, les empires politiques ne sont pas dissociables de leur dimension économique. L’empire colonial français à qui l’on prête encore la responsabilité de nombreux problèmes d’intégration française semblerait en être un exemple notoire. La montée de la Chine à une vitesse rarement vue dans l’Histoire repose, elle, sur l’articulation entre un pouvoir sans faille et un capitalisme le plus brutal. Le Parti Communiste Chinois et ses responsables auraient-ils les traits de Napoléon ?

Le reptile, réplique en fer d’un squelette du Muséum d’histoire naturelle de paris, se glisse entre les conteneurs et sa gueule géante ouverte se retourne à la hauteur des visiteurs, tel un monstre appartenant à un parc d’attractions : un endroit idéal pour faire des selfies ou des photos de groupe ! Ce squelette immense peut aussi faire penser à un grand huit sur lequel on s’amuse à se faire peur. Les côtes de l’animal sont en écho aux voussures métalliques du Grand Palais. La bête renvoie peut-être à la voracité de la mondialisation, basée sur les échanges extérieurs, notamment maritimes, qui ont permis de faire chuter la composante transports dans le coût des produits et permis les montages dans les pays à bas salaires.

Les panneaux de présentation de l’exposition décrivent la prouesse technique de l’exposition ainsi que les intentions de l’artiste. En complément, les tableaux de chiffres sur les composantes de l’œuvre et les échanges de la Chine avec le reste du monde expriment le constat de l’artiste : le monde contemporain est pensé sur le quantitatif, l’économie étant devenue le moteur et la valeur suprême des sociétés. Le fait que cette exposition ait comme sponsor principal, en tant que fournisseur de la grue et d’un grand nombre de conteneurs, l’armateur international localisé à Marseille, CMA-CGM, ajoute à l’ambiguïté permanente de ce coup esthétique .

L’admiration que l’on a pour cette Monumenta ne peut cacher une certaine gêne.
 

Formellement cette œuvre entend se mesurer au bâtiment et notamment aux voussures de fer de la voûte. Mais les côtes de l’animal ne peuvent répondre visuellement que dans des conditions d’ensoleillement particulières. Par temps maussade (ce qui a été souvent le cas en 2016), la confusion entre bête, grue et conteneurs domine. La disposition souvent aléatoire des couleurs des montagnes de conteneurs accentue le désordre, avec cependant des touches d’humour au deuxième degré, comme le nom peint d’une des compagnies. La vue de l’œuvre depuis le balcon du Grand Palais, on peut juger le mieux de l’intention de Huang Yong Ping, et des rapports d’échelle des différents éléments.
 

Dans la mesure où l’artiste ne se veut pas moraliste, l’œuvre semble hésiter entre une mise en scène chinoise d’un paysage économique et de l’animal, une réflexion sur l’histoire des empires et une volonté d’amuser le visiteur comme dans Jurassic Park. Dans les Monumenta précédentes, le visiteur pouvait découvrir des univers mentaux plus denses (Ilya et Emilia Kabakov, lire V&D , A. Kiefer), vivre des expériences humaines fortes (A Kapoor, —lire V&D—, C Boltanski, —lire V&D—). En revanche, celle de D Buren (lire V&D) avait laissé une impression de superficialité et de limitation au seul jeu visuel.
 

Le titre de l’exposition « Empires » ne renvoie pas aux identités profondes qu’ils recouvrent et que les historiens ont récemment approfondies : la non-viabilité de ces formes politico-économiques aux échelles de l’histoire, la violence des marges, la culture des centres du pouvoir.
  Si, il y a cent ans, le mouvement Dada avait inventé le collage, puisait dans le monde industriel des images, se voulait une contestation collective des codes bourgeois et appelait à un autre ordre politique tout en ouvrant la porte à ce qui est devenu le surréalisme, « Empires » ne semble retenir que le premier élément en 3D pour le mêler aux symboliques chinoises.

Par ses caractéristiques, Monumenta 2016 est bien dans l’excès de réalisation, mais reste dans un en-deçà, très loin de l’œuvre fascinante de la Nuit Blanche 2013 du même artiste (Lire V&D).

Jean Deuzèmes

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