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Caroline Delieutraz. Au creux de nos mains.



Jeux de main et questions d’identité. Une Installation vidéo, ayant eu lieu du 22 au 29 mai 2011 à l’église Saint-Merry

Caroline Delieutraz a proposé une installation vidéo collaborative à Saint-Merry du 22 au 29 mai 2011. Elle a passionné les visiteurs.

C’est une curieuse et nouvelle approche de l’art lié à Internet et à la vidéo, où l’invitation du public à participer à l’œuvre prend une place singulière.

Marguerite Lantz, animatrice des Rendez-vous contemporains, les « cousins germains » de V&D en art contemporain à Saint-Merry, s’entretient avec l’artiste.

V&D a observé l’artiste produisant l’œuvre et s’est laissé séduire par les vertiges du sens de ce travail, apparemment simple et modeste, mais d’une intelligence et d’une sensibilité étonnantes.

Le projet de Caroline Delieutraz et sa réalisation. L’utilisation d’une technologie au service d’une rencontre éphémère.

Au creux de nos mains est un projet vidéo débuté en 2008 fondée sur un seul et même geste universel : ouvrir et fermer sa main sur un petit objet. A l’église Saint-Merry, il s’agit d’une installation vidéo collaborative. L’objectif étant de réaliser, en collaboration avec la communauté de l’église et les visiteurs, une collection de vidéo-gestes. L’expérience du visiteur est au centre du dispositif. Il s’agit de créer un décalage entre le geste effectué lors de la prise de vue et le geste tel qu’il est restitué, lors de la projection. Ainsi, l’installation donne à voir au-delà des limites de nos perceptions habituelles. Cette exploration se fonde sur trois procédés : le ralenti des images permis par un appareil photographique numérique qui filme à 100 images / seconde, le changement d’échelle, qui résulte du grossissement par la projection du détail filmé, et la basse définition qui met en avant la texture de l’image numérique, celle-ci se confondant avec la peau à la surface de l’image. (Caroline Delieutraz)


Entretien avec l’artiste

Marguerite Lantz : Peux-tu présenter en quelques mots "Au creux de nos mains" ?


CD : Il s’agit d’un projet vidéo collaboratif fondé sur un geste universel : ouvrir et fermer sa main sur un petit objet.

ML : D’où t’es venue l’idée de ce projet ?


CD : C’est en filmant avec un téléphone, je cherchais à obtenir une sorte de « vision tactile ». Filmer avec la main est devenu filmer sa main, puis filmer les mains.

ML : As-tu déjà présenté une version de ce travail ? Dans quel cadre ? Quel a été ton contact avec le public ?


CD : En réalité, dans la première version de ce projet en 2008, j’ai réalisé « Au creux de nos mains » avec les personnes, plus ou moins proches, que je rencontrais au jour le jour. Comme je filmais avec un téléphone, je pouvais interrompre pour un moment ce pourquoi nous étions rassemblés, puis je montrais immédiatement la vidéo qui venait d’être filmée via l’écran du téléphone.

ML : Qu’est-ce que cela peut apporter de particulier de faire "Au creux de nos mains" dans une église ?


CD : « Au creux de nos mains » revêt une dimension spirituelle. Souvent les objets que l’on trouve au creux de nos mains sont liés à des croyances, ce sont des objets symboliques qui rassurent.

ML : Quelles sont les thématiques que tu abordes habituellement (dernièrement) dans ton travail ?


CD : La collecte est un des gestes qui caractérise ma pratique. Je travaille aussi beaucoup sur et avec Internet, je m’intéresse particulièrement à la manière dont les images circulent sur le réseau.

ML : Qu’y a-t-il au creux de tes mains ?

CD :

J’ai une petite collection de dés à laquelle je tiens.


Une œuvre poétique qui interroge secrètement les questions d’identité

Cette œuvre va puiser à de nombreuses sources, c’est pourquoi elle est fort riche : l’art conceptuel (un rituel d’invitation et d’action précisément décrit), l’art de la performance (non pas ici de l’artiste mais de l’invité), l’art vidéo (puisqu’il s’agit de microfilms qui forment ensuite un film), l’art Internet, car c’est typiquement le style de produit que l’on peut retrouver sur You tube. Cette œuvre est tout cela et bien autre chose.

Une invitation et une rencontre

Tout commence par une invitation. Un papier, une affiche : un lieu, un horaire. Bref : un rendez-vous !

D’autres artistes et notamment Sophie Calle (Les dormeurs) avaient déjà eu ce type d’approche en invitant des inconnus, qui devenaient l’objet de leur œuvre. Il reste généralement des photos de personnes dont on voit les visages et des textes. Ici, point !

Avec Caroline Delieutraz, c’est une église qui est le lieu du rendez-vous ; mais dans le résultat final, l’artiste n’apparaît pas plus que le lieu. Il s’agit apparemment d’anonymat généralisé. Dans les faits, l’artiste a reconstitué un espace intime (une lampe de chevet et un tapis de table), au cœur du claustra pour prendre ses films et pour mettre en confiance.

Caroline Delieutraz et Martine Chittofrati. Deux artistes

Il y a bien rencontre. L’invité parle avec l’artiste, se laisse prendre en film, pour le plaisir de montrer quelque chose de soi, mais on ne saura rien de l’échange qui est gratuit. De cette rencontre avec des mots, il reste des images muettes qui vont intriguer et attirer les spectateurs ignorant de la scène originelle.

À la fin de la saisie d’images, la relation s’arrête, l’un et l’autre ne se rencontreront probablement plus. De cette rencontre immatérielle, éphémère, faite de mots, sans lendemain, comme on en a tant, subsiste une trace matérielle et permanente que l’artiste met subtilement en scène : une séquence de film, apparemment anonyme sauf pour celui qui s’y reconnaît. Pour faire de ce presque rien une œuvre il faut le talent de l’artiste.

Il reste aussi des traces imaginaires dans la tête de l’invité ; peut-être aussi dans celle de l’artiste qui se souviendra de tel ou tel détail dans la prise de vue.

La main et l’identité

Ce n’est pas une performance habituelle, puisque l’artiste n’est pas le centre du film, ce sont des inconnus invités ; on ne voit pas leur visage mais une main et une seule. Elle dit la personnalité ; les voyantes en font même un commerce très lucratif ! Les mains peuvent tout dire de l’individu, disent aussi les scientifiques (les empreintes) ainsi d’ailleurs que les personnes amoureuses…

Ici, la main n’est pas seule elle renferme un trésor, ou un objet familier que l’invité tire de sa poche. Ainsi on voit par ricochet le fond d’une poche ou d’un sac ; c’est aussi un creux, qui renferme et se découvre.

De l’histoire de l’objet, on ne connaît rien pas plus du rapport entre l’objet et l’invité !

Cette œuvre parle bien d’identité puisque l’invité présente sa main et l’objet à filmer, ce qui donnera une séquence à côté d’autres saynètes du même type. Elles sont bien toutes différentes. Tout au plus pourra-t-on imaginer l’âge de l’invité (e) et son genre. L’identité est suggérée.

Si la main est le personnage central, on n’est pas dans la suite de l’affirmation de Andy Warhol « tout le monde a droit à 15 minutes de célébrité dans sa vie » quand il parlait des nouvelles formes de média -la télé ou la vidéo et encore moins dans le reality show du monde de l’image surabondante. La personne filmée n’a pas d’avatar comme sur Internet. Ici tout se passe dans le (petit) secret de la relation à l’artiste, non pas de main à main (l’artiste n’a pas à toucher l’objet), mais de mains à regard via la technologie de la caméra. Pour être vue d’une autre manière, la main a besoin de la caméra, celle de l’artiste, comme antérieurement elle avait besoin de l’art (peinture, sculpture). Nous sommes des hypermodernes toujours à l’affût de la poésie.

La magie de l’image et la remontée inconsciente du temps

L’œuvre est d’autant plus forte qu’elle utilise la technique du ralentissement d’images comme dans les œuvres de Bill Viola. Elle étire le temps de la rencontre.

Avec le passage à l’écran, la petite main devient immense et tout change ! On passe au monumental, mais toujours de manière décalée, car le regard colle à la peau avec ce grossissement ; la basse définition de l’image numérique transforme celle-ci en peau, c’est la surface de l’image.

Cette question du « Je » filmé par la main renvoie bien sûr au jeu enfantin, celui du trésor – ou considéré comme tel - que l’on trouve, que l’on saisit et que l’on fait sien en refermant la main. Celle-ci enferme quelque chose dont on devient propriétaire et dont va trouver une valeur d’échange, en la montrant aux autres : une bille, un insecte, un Pokémon, la liste est infinie et n’est limitée que par la taille de la main ! L’œuvre est donc l’occasion d’un bref temps de retour imaginaire dans notre enfance. On ne s’y attendait pas en répondant à l’invitation.

Avec sa caméra et son protocole, Caroline Delieutraz apparait comme une sorte de magicienne  : du temps bref, elle fait du temps long ; d’une identité forte, la main et l’objet, elle tire une image unique mais dont on ne sait rien et qui fascine ; de l’histoire de ces rencontres elle fait un film sans histoire dont on suit tout passionnément, une sorte de driping vidéo, ou encore de mouvement observé des algues sous l’eau ; de la rencontre gratuite elle fait une œuvre riche d’imaginaire pour chacun, car avec sa lenteur elle est fondamentalement douce. L’œuvre nous a permis de nous arrêter.

Ici tout est jeu, tout est Je.

[(
Caroline Delieutraz est diplômée l’université Paris 8 et des Arts Décoratifs. La plupart du temps, elle surfe et bricole sur Internet. A deux ans, elle joue le rôle du bébé dans un film d’horreur. Aujourd’hui, elle travaille souvent avec le collectif Microtruc qui s’emploie à expérimenter les nouveaux outils de communication dans un esprit « low tech ». Une fois par an, elle édite des petits livres générationnels avec Les Analogistes et plus rarement elle performe au sein du duo Les KKliniques. Récemment, elle expose dans l’espace virtuel du Jeu de Paume avec le collectif Microtruc, elle est co-commissaire de l’exposition Captures à la Tapisserie et participe au Speed Show vol.5 « Open Internet ». Elle chronique également régulièrement son quotidien informatique dans le webmagazine de la Gaité Lyrique. )]

Visionner le film sonorisé (1’30) de Caroline Delieutraz


Voir site du collectif de l’artiste

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